Professeur Aimé Bonny: «L’étude Discovery est mort-née à cause de l’effet Raoult» (exclusif)

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Très remonté contre le professeur Didier Raoult, qui «aurait dû tester avant son protocole, car il en avait le temps», le cardiologue camerounais Aimé Bonny, spécialisé dans le traitement de l’arythmie cardiaque, explique au micro de Sputnik France pourquoi l’étude Discovery est devenue mort-née après que l’on a imposé le rajout de la chloroquine.

L’étude Discovery est un essai clinique annoncé en mars 2020 par l'Inserm (organisme public de recherche). Son but est de tester des traitements contre le SARS-CoV-2, responsable de la maladie du Covid-19. Or, en dehors de la France, les autres pays européens n’ont pas suivi après que l’hydroxychloroquine (l’un des quatre protocoles attribués aléatoirement aux patients, avant que ceux-ci et leur médecin ne soient informés sur la thérapie reçue), préconisée par le professeur Didier Raoult, y a été intégrée in extremis.

Au départ, les tests devaient porter sur le Remdesivir (un antiviral conçu pour Ebola) et le Lopinavir en combinaison avec le Ritonavir (un médicament contre le VIH appelé Kaletra). Mais avec le battage médiatique que le protocole proposé par le chef de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection (IHU) de Marseille a suscité, la chloroquine, dont l’hydroxychloroquine est un dérivé, a été imposée dans l’essai clinique.

Interrogée dimanche 24 mai sur France Info, la Pr Odile Launay a appelé à la patience. «C’est une très grosse étude, la plus importante publiée sur la chloroquine. La seule réserve, c’est que c’est une étude rétrospective», a expliqué cette infectiologue de l’hôpital Cochin à Paris. Elle a toutefois reconnu que «ce type d’étude comporte un certain nombre de biais puisqu’on peut penser que les patients qui ont été traités à la chloroquine ne sont pas exactement les mêmes que ceux qui n’ont pas été traités», a-t-elle précisé.

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Avec 750 patients français et seulement un luxembourgeois, sur les 3.200 Européens initialement prévus, Discovery n’a pas, pour l’instant, tenu ses promesses. Très critique à l’égard du protocole du Pr Raoult, qui consiste à associer de l’hydroxychloroquine (antipaludéen) avec de l’azithromycine (antibiotique), un cardiologue camerounais, le Pr Aimé Bonny, avait déjà averti sur les conséquences néfastes de cette combinaison.

Aujourd’hui, il est encore plus critique sur la manière dont l’étude Discovery a été menée à cause de qu’il appelle l’effet Raoult. Tandis que, dans le même temps, les auteurs de l’étude ont essayé de «torpiller» ce protocole, affirme-t-il, puisque seul le bras chloroquine (et non  pas l’association antibiotique + antipaludéen recommandée par le Pr Raoult) y a été introduit.

Invité Afrique de Sputnik France, le 20 mai, aux côtés du Pr Ndèye Coumba Touré Kane, une virologue sénégalaise spécialiste du VIH-Sida, et de l’infectiologue congolais Jérôme Munyangi, qui coordonne la task force «Artemisia for Africa», le Pr Aimé Bonny a regretté, à l’instar de ses copanélistes, que ce manque de rigueur scientifique n’ait toujours pas permis de trancher en ce qui concerne l’usage de la chloroquine. 

«Même si Discovery parvient à son terme avec le nombre d’inclusions nécessaires, on ne pourra toujours pas répondre à la question de savoir si le protocole du Pr Raoult est efficace ou pas. En France, il y a de surcroît un sérieux vice de forme dans la manière dont cette étude est conduite: les patients sachant que la chloroquine y est désormais incluse ont tous voulu la substance miracle!», a déploré au micro de Sputnik France le cardiologue camerounais.

«Raoult a tous les défauts de l’Afrique»

Si Discovery est mort-née, c’est bien parce que les patients ont refusé de «prendre autre chose que la chloroquine», insiste-t-il. Mais aussi parce que la France n’a pas pu s’accorder avec les autres pays européens. Ceux-ci, par conséquent, ont préféré aller dans l’étude Solidarity de l’OMS, qui comprend dix États, dont un seul sur le continent, à savoir l’Afrique du Sud, mais n’a pas de bras chloroquine dans son protocole.

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«Je reproche à Raoult d’avoir prétendu que l’on était en guerre et qu’il n’y avait pas le temps. C’est faux! Pour preuve, nous sommes encore en plein dans la pandémie… Lui, qui est un éminent scientifique, est alerté depuis décembre-janvier sur ce virus. Il aurait largement eu le temps de tester son protocole et d’y apporter une réponse définitive», a critiqué le Pr Bonny.

Si le débat continue de faire rage en France, il est tout aussi animé ailleurs. Une nouvelle publication d’une étude menée dans un hôpital de Wuhan (Chine) et portant sur 62 patients infectés suggère que le potentiel de l'hydroxychloroquine comme traitement contre le virus a été «partiellement confirmé». Certes, ce travail n'a pas encore été relu par le comité de lecture d'une revue scientifique, mais la méthodologie utilisée semble bonne.

À tel point que l’OMS a décidé lundi 25 mai de suspendre provisoirement les tests de l'hydroxychloroquine et de la chloroquine dans la lutte contre le Covid-19, a fait savoir le directeur général de l’organisation, Tedros Adhanom Ghebreyesus.

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En Afrique, où la chloroquine est bien connue car utilisée depuis soixante-dix ans dans le traitement de la malaria, de nombreux médecins hospitaliers avouent prescrire l'antipaludéen «faute de mieux». D’autant que cette molécule est, en outre, très bon marché au vu des autres médicaments venant d’occident.

«Chacun fait sa cuisine dans son coin»

Le Pr Bonny ne dément pas la dimension économique de la chloroquine «qui peut avoir son utilité», reconnaît-il, à condition que la recherche soit conduite «de façon randomisée à l’aveugle et avec un effet placebo». Ainsi, ni les patients ni les médecins ne sauront si le malade reçoit de la chloroquine ou un placebo et on pourra véritablement connaître son efficacité. Ce qui n’a pas été le cas, rappelle-t-il, dans les essais cliniques mis en place à l’IHU de Marseille.

«Raoult a fait toutes les erreurs des Africains (en matière de recherche) car il ne respecte pas les standards de publication. Le journal scientifique dans lequel il a finalement fait paraître ses résultats se situe en troisième division. Or, si on veut aller en Coupe du monde, il faut montrer que l’on est en Champion‘s League», ironise le professeur Bonny au micro de Sputnik France.

Des protocoles pour des remèdes miracles, il y en a à foison en Afrique: au Bénin, au Burkina Faso, au Cameroun, au Gabon, au Togo. Mais malheureusement, aucun de ces traitements n’est crédible. «Pour la bonne raison qu’il y a zéro publication africaine dans des journaux scientifiques sérieux», martèle-t-il.

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Il déplore par ailleurs, comme dans le cas du Covid-Organics à Madagascar dont le Président Andry Rajoelina ne cesse de vanter les mérites auprès de ses pairs, qu’un amalgame soit fait entre la religion, la politique et la science. «Ce sont là des dimensions incompatibles», insiste-t-il. Pour lui, il est grand temps que la recherche en Afrique «apprenne à lutter avec les mêmes armes que celles utilisées par les scientifiques du monde entier», préconise-t-il.

«Tout le monde fait sa cuisine dans son coin, mais il n’y a pas vraiment de sérieux dans la manière dont la recherche est menée –on parle de sauver des vies humaines! De surcroît, si on accepte aveuglément des médicaments comme la chloroquine pour soigner le Covid-19, on prend le risque d’être déjugé plus tard», déplore le cardiologue camerounais.

Auteur d’une tribune libre intitulée «Raoult, futur prix Nobel de médecine ou gourou?», ce scientifique de haut vol, désireux de continuer à exercer entre Paris et Douala, ne fait pas que poser la question. Il y répond en affirmant que «la science a besoin de preuves». Sans cela, certains chercheurs risquent, un jour très prochain, de devoir rendre des comptes, prévient-il.

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