Pourquoi la Turquie voit son «union avec l’Afrique plus que jamais nécessaire»

© Sputnik . Sergueï Gouneïev / Accéder à la base multimédiaRecep Tayyip Erdogan
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À l’instar de la Chine et de l’Inde, la Turquie s’est lancée à la conquête de l’Afrique. Entre le besoin pour Ankara d’offrir à ses entreprises des points de croissance loin de ses frontières et sa volonté de défendre des intérêts stratégiques en mer Méditerranée, les pays africains ont l’occasion de diversifier leurs partenariats.

À l’occasion de la journée mondiale de l’Afrique célébrée ce 25 mai, Mevlüt Çavuşoğlu, le ministre turc des Affaires étrangères, a affirmé que «l’union avec l’Afrique est maintenant plus que jamais nécessaire». Une déclaration mystérieuse qui pourrait être en lien avec l’engagement militaire turc en Libye, mais qui prouve surtout la détermination de la Turquie à s’implanter sur le continent en développant de nouveaux partenariats. À cette fin, la machine diplomatique tourne, depuis plusieurs années, à plein régime: de 12 ambassades en Afrique en 2009, ce pays en compte 42 en 2020.

«Nous nous efforçons d’étendre davantage nos relations économiques et commerciales avec l’Afrique, d’accroître notre aide humanitaire et au développement, ainsi que le monde des bourses d’études supérieures et des vols de (notre compagnie nationale) Turkish Airlines», écrivait le chef de la diplomatie turque dans un message adressé aux dirigeants africains à l’occasion de la journée mondiale de l’Afrique.

Des volumes d’échanges en progression constante

Après avoir longtemps (et vainement?) espéré une adhésion à l’Union européenne (UE), la Turquie s’est donc ouverte à l’Afrique. Les échanges commerciaux (excédentaires) ainsi établis avec les pays du continent ont pris du volume entre 2009 et 2018: 121 milliards de dollars d’exportations et 59 milliards de dollars en importations, selon l’agence de presse turque Anadolu (AA). Un business à 66% réalisé avec les États du Maghreb, dont l’Algérie.

«Le nombre de visites mutuelles de haut niveau entre les années 2015 et 2019 a été supérieur, à lui seul, à 500. Notre volume d’échanges bilatéraux a été multiplié par six au cours de ces 18 dernières années. Aujourd’hui, la Fondation Maarif de Turquie gère 144 établissements d’enseignement et 17 internats à travers l’Afrique», a ajouté le chef de la diplomatie turque.

Pour l’heure, c’est avec les géants économiques du continent (Afrique du Sud, Algérie, Nigeria, Éthiopie, Maroc) que les échanges commerciaux sont les plus substantiels. Mais les relations avec d’autres pays comme le Sénégal montent en puissance. Ce sont des entreprises turques qui ont ainsi pris le relais des Saoudiens de Bin Laden Group pour achever la construction de l’aéroport international Blaise Diagne mis en service en décembre 2017.

Savoir faire des affaires avec la 13e puissance économique mondiale

Avec ses 80 millions d’habitants, la Turquie, 13e puissance économique mondiale, membre du G20 et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), a de quoi séduire et se constitue petit à petit une carapace et une dimension à la hauteur des ambitions proclamées par le Président Reccep Tayyip Erdogan, note pour Sputnik l’ingénieur économiste Mbaye Sylla Khouma, spécialiste des partenariats publics privés (PPP).

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«Le tissu industriel turc est composé à 99% de petites et moyennes entreprises (PME), exactement ce dont les pays africains ont besoin. C’est là le grand intérêt de l’Afrique à coopérer avec ce pays. En misant sur le transfert de technologie, elle a favorisé l’arrivée massive d’entreprises étrangères, dont 5.000 allemandes, dans son tissu économique.»

Selon Khouma, les dirigeants africains devraient se donner les moyens de tirer profit de l’expertise turque en sachant négocier ferme et sans états d’âme des projets utiles qui font avancer leur pays, en particulier dans des domaines stratégiques. Sans cette vision sur les rapports de force, ils finiront par tout donner pour ne recevoir que peu en retour.

«Le challenge pour l’Afrique, c’est de s’inspirer des Turcs en réussissant ce que ces derniers ont obtenu avec les grands groupes occidentaux: le transfert de technologie. Il me paraît incongru, par exemple, que les groupes turcs interviennent dans de grands projets d’infrastructures sans être en partenariat avec des champions locaux», souligne l’économiste sénégalais.

Le transfert de technologie, la clef d’un partenariat équitable

Savoir construire des aéroports, des stades, des centres de conférences de standing mondial… devrait être l’un des bénéfices que des entreprises africaines pourraient arracher aux Turcs dans le cadre d’une coopération gagnant-gagnant dans plusieurs domaines. Sans complexe. 

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«À côté des PME, il existe de grands conglomérats qui sont autant de champions nationaux dans l’agriculture, les infrastructures, l’électronique. Des marques comme Beko ou la compagnie Turkish Airlines ont conquis le monde. Des pays africains doivent pouvoir emprunter ces chemins du succès. La Turquie, faut-il le rappeler, fait partie des États qui étaient presque au même niveau de PIB (produit intérieur brut) que les nations d’Afrique en 1960. Aujourd’hui, elle est la 13e puissance économique mondiale.»

L’irruption de la Turquie en Afrique ne se limite pas seulement à gagner des marchés, elle a également des soubassements stratégiques et sécuritaires. Après avoir aidé la Somalie à rétablir un semblant d’État, Erdogan y a obtenu une base militaire à Mogadiscio, la capitale. Mais ce qui a davantage frappé les esprits des observateurs, c’est l’engagement des militaires turcs dans le chaos libyen aux côtés du Gouvernement d’union nationale (GNA) dirigé par Fayez el-Sarraj et reconnu par les Nations unies. Une décision qu’explique HasniAbidi, directeur du centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen:

«Le déclencheur de ce volontarisme turc en Libye, ce sont les manœuvres entre l’Égypte, Israël, la Grèce et Chypre sur ce qu’on appelle "le forum du gaz au Moyen-Orient". La Turquie a réalisé qu’elle était pour la première fois hors-jeu dans une zone importante et stratégique.»

«Évidemment, le seul moyen pour la Turquie d’être présente, de ne pas être exclue d’abord de cette région méditerranéenne de l’est, mais aussi d’un enjeu économique important –puisqu’il s’agit d’un gazoduc destiné à l’Europe–, c’est d’avoir un pied-à-terre dans cette zone», poursuit-il.

Mais pour les Africains, les priorités avec Ankara ne devraient pas changer sur le fond: tirer profit d’un partenariat naissant pour hisser le niveau de développement de leurs pays.

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