Mort de George Floyd: les Sénégalais sont «indignés», mais «aujourd’hui, ils ont faim», selon un ex-ministre

© REUTERS / NICHOLAS PFOSIMémorial pour George Floyd
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Pour Moustapha Guirassy, ex-ministre de la Communication, des Télécommunications et des Tics, les Sénégalais sont tout autant choqués que le reste du monde par le meurtre de George Floyd, mais ils doivent penser à leur survie. Au micro de Sputnik, il explique pourquoi après deux mois de couvre-feu ils manifestent leur ras-le-bol.
«J’ai été horrifié comme le reste de la planète. C’est terrible de voir des images qui soient extraordinairement vilaines comme celles-là; et affligeant qu’en ce XXIe siècle, on puisse encore atteindre à la dignité humaine avec autant de méchanceté», regrette au micro de Sputnik France l’ex-ministre sénégalais de la Communication, des Télécommunications et des Tics, Moustapha Guirassy.

Invité Afrique de Sputnik France, ce responsable politique sénégalais, aujourd’hui à nouveau député maire dans son pays après avoir été ministre, dit que la vague de protestations et d’émeutes une semaine après la mort de George Floyd aux États Unis «mobilisent tout autant les Sénégalais que le reste du monde».

Mais le couvre-feu imposé depuis le début de la pandémie au Sénégal remet aujourd’hui en cause la survie des populations «parce qu’elles sont actives essentiellement dans le secteur informel» et elles le manifestent, précise le leader de SUD (Sénégalais unis pour le développement), parti qu’il a créé en 2018.

«Deux mois de couvre-feu, c’est trop! Et même si les Sénégalais sont tout autant indignés et préoccupés par les émeutes raciales en France et aux États Unis, aujourd’hui, ils ont faim. Après deux mois de mobilité réduite à cause du coronavirus, particulièrement dans les régions, beaucoup ont décidé d’exprimer leur ras-le-bol dans la rue», précise cet élu de Kédougou (sud-est du Sénégal), sa région d’origine.

Après la mort le 25 mai de l'Afro-Américain George Floyd, «asphyxié» sous le genou d’un policier suite à une interpellation brutale à Minneapolis (Minnesota), l’Amérique s’est embrasée. À Paris, 20.000 jeunes sont descendus dans la rue le 3 juin pour protester contre ce crime racial et réclamer justice pour Adama Traoré, jeune Malien mort en juillet 2016 après une interpellation par les gendarmes du Val d’Oise.

«Au-delà de la question raciale, il y a un problème de gouvernance»

Pour ce pédagogue, en plus de son implication dans les affaires politiques de son pays, les affrontements raciaux qui prennent le pas dans les médias ne sont pas la vraie cause de ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux aux États-Unis.

«Quand je vois les blancs [américains, ndlr] mobilisés derrière les noirs, je me dis que ce n’est pas qu’une question raciale, mais aussi de système, car poser la question quant aux affrontements raciaux ne permet pas d’aller très loin», constate-t-il.

En revanche, la poser selon les carences d’un système politique permet, selon lui, d’aborder la question sous l’angle économique, sociologique et surtout de gouvernance. Il est alors possible d’envisager des solutions «qui vont transcender la seule question raciale».

Pour étayer ses propos, le PDG de l’Institut africain de management (IAM) puise dans sa propre expérience: «J’ai tellement d’amis blancs qui ne me voient pas comme un noir et moi je ne les vois pas comme des blancs quand nous faisons des choses passionnantes ensemble», argue-t-il.

Mais il justifie surtout la nécessité de «dépasser ce discours sur les races» par l’exploitation politique qui en est faite aux États-Unis, et notamment par les partisans du camp présidentiel.

«Ce problème [de racisme, ndlr] existe, bien sûr. Mais il peut être résolu si on permet aux noirs [américains] d’accéder à un meilleur statut social en termes économiques, politiques et surtout d’avoir accès à de meilleures écoles», affirme Moustapha Guirassy.

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De surcroît, si les réseaux sociaux constituent «une caisse de résonance indispensable dans la lutte contre les violences raciales», reconnaît-il, ils sont aussi un lieu de désinformation auquel certaines publications liées à la mort de George Floyd n’échappent pas.

L’Afrique guettée par l’infodémie

Sur cette question du rôle de transmetteur de la haine raciale par les réseaux sociaux, le fringuant ex-ministre des Tics qu’il fut ne tarit pas.

Pendant la crise du coronavirus, l’Organisation mondiale de la santé n’a eu de cesse d’alerter sur les fake news (infodémie), notamment concernant les vaccins. «Nombre de ces fake news ont failli déstructurer, démanteler, voire déstabiliser certains pouvoirs», déplore Moustapha Guirassy. Ce qui est d’autant plus grave que les enjeux sont aujourd’hui planétaires.

«L’Afrique est devenue un enjeu géopolitique crucial, particulièrement dans cette ère post-Covid dans laquelle nous entrons. Pour certaines puissances, montrer que nos partenaires traditionnels ont de mauvais desseins à notre égard, est un moyen de se repositionner chez nous», renchérit-il.

Pour lui, la seule façon de stopper cette infodémie «est d’informer juste et vite!», ce qui relève avant tout de la responsabilité des gouvernements et des acteurs privés, comme les géants du Web — GAFA.

«Force est de constater que lorsqu’on n’occupe pas l’espace digital, on laisse la place aux autres de faire des fake news. Les réseaux sociaux sont devenus des territoires digitaux que l’on ne peut plus occulter, car ils sont des lieux de vie», explique-t-il.

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Seulement, l’Afrique manque cruellement de production de contenus, et c’est bien là son plus grand problème, assure-t-il, car elle est ainsi sujette à la désinformation.

Ce qui est d’autant plus grave, selon lui, que cette infodémie passe désormais par les langues locales.

«Facebook avait pris du retard au moment du scandale des Rohingas en Birmanie, mais ils se sont rattrapés pendant le coronavirus. Ils ont pris les devants vis-à-vis des auteurs de fake news sanitaires véhiculées en langue locale», souligne-t-il.                                       

Pour cet éducateur qui a expérimenté la maladie après avoir été contaminé début mars, l’importance d’être transparent et honnête vis-à-vis de ce qu’il qualifie de «pire épreuve de sa vie» n’est plus à démontrer. «J’ai préféré donner l’exemple et cela a été un déclic pour le Sénégal», dit-il non sans fierté, d’autant que cela a encouragé d’autres responsables à être plus courageux, conclut-il.

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