Afrique: le consommer local, un moyen pour lutter contre l’insécurité alimentaire?

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En désorganisant la production et la commercialisation de denrées de base, le Covid-19 a accru les risques de famine. Déjà en proie aux conflits armés, déplacements de population et au changement climatique, l’Afrique doit investir dans son agriculture. La fondatrice d’Afrique Grenier du monde, Charlotte Libog, donne à Sputnik la marche à suivre.
«Le problème de l’Afrique, c’est que nous consommons ce que nous ne produisons pas et nous produisons ce que nous ne consommons pas», a martelé au micro de Sputnik France Charlotte Libog, une entrepreneure camerounaise experte en agriculture et e-commerce.

Jamais la résilience des systèmes alimentaires dans le monde n’aura autant été mise à rude épreuve que depuis la pandémie de Covid-19. Avec les restrictions de déplacement, les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement et l’arrêt de nombreux sites de production agroalimentaire, la disponibilité de nombreuses denrées de base a considérablement diminué.

En Afrique, la situation est encore pire, du fait de la très grande dépendance aux importations, dont les volumes devraient encore augmenter d’ici à 2025 pour atteindre 110 milliards de dollars (environ 97 milliards d’euros), selon la Banque africaine de développement (BAD).

Or, si l’on prend en compte la dépréciation des monnaies nationales, la hausse automatique des prix exclura de fait les populations aux revenus les plus faibles.

L’insécurité alimentaire, une menace réelle

Dès 2019, un rapport commun des deux plus grandes agences de l’Onu pour les questions de sécurité alimentaire, le Programme alimentaire mondial (PAM) et la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), alertait sur le fait que 73 millions d’Africains souffraient d’insécurité alimentaire aiguë. Depuis, deux invasions successives de criquets ont ravagé les cultures de l’Est du continent.

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Le Covid-19 pourrait devenir un ingrédient supplémentaire dans le cocktail déjà toxique des conflits armés, des déplacements de population et du changement climatique sur le continent.

Pour les 65% de travailleurs africains, qui opèrent dans le secteur agricole, la peine est double: les chaînes d’approvisionnement en intrants et semences sont perturbées et l’accès aux marchés rendu plus compliqué.

«Face à la crise sanitaire, de nombreux pays africains ont vu leurs exportations baisser de manière drastique, ainsi que leurs importations de denrées venant de l’étranger. Il est donc urgent de revoir le modèle économique relatif à la politique agricole et agroalimentaire du continent», a averti au micro de Sputnik France Charlotte Libog.

Rendre à la production «ses lettres de noblesse»

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En 2003 à Maputo (Mozambique), les dirigeants africains avaient lancé un programme ambitieux pour le développement de l’agriculture africaine. Avec un objectif d’allocation minimale de 10% des dépenses publiques dans le secteur agricole, ce plan panafricain devait permettre d’atteindre 6% de croissance annuelle pour le PIB agricole.

Dix-sept ans après, des pays comme le Mali, le Rwanda ou le Togo qui ont respecté cet objectif de 10% observent des résultats probants, avec une baisse du taux de malnutrition compris entre 2,4 et 5,7% par an.Cependant, à l’échelle continentale, la balance agricole demeure déficitaire et la situation nutritionnelle peine à s’améliorer.

«Malgré son potentiel énorme, l’Afrique reste aujourd’hui le seul continent importateur net de denrées alimentaires. Booster la production locale afin de lui redonner ses lettres de noblesse, en matière de sécurité et de souveraineté alimentaire, doit être notre priorité à tous», considère l’experte camerounaise.

Selon la Banque mondiale, l’Afrique abritera plus de 2 milliards de personnes en 2050.

«Il nous faut intensifier le développement des chaînes de valeurs durables à travers un renforcement de l’intégration régionale. Cette réorientation stratégique doit poursuivre un objectif: favoriser la production locale et régionale, sans être pour autant au détriment du consommateur africain», préconise Charlotte Libog.

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Avec la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), dont l’entrée en vigueur était prévue le 1er juillet, mais qui sera sans doute reportée, les responsables africains tablent sur un développement de l’agrobusiness qui devra gagner en compétitivité.

«C’est en s’unissant que les pouvoirs publics, le secteur privé et la paysannerie y parviendront», prône cette entrepreneure spécialisée dans le commerce du moringa, un arbre très résistant originaire d’Inde, aujourd’hui cultivé dans de nombreux pays tropicaux d’Asie et d’Afrique.

Ce sont les fruits du moringa ainsi que ses feuilles, plus prisées en Afrique, qui sont utilisés pour leurs vertus nutritionnelles depuis des décennies par les ONG dans des plans de lutte contre la malnutrition.

Or, parmi les nombreux leviers à activer «au plus vite» pour éviter une nouvelle catastrophe, Charlotte Libog met en tête de liste le soutien à l’agriculture familiale, ainsi qu’une révision des mécanismes de financement, surtout en faveur des agricultrices.

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