Interdite, la conservation traditionnelle des corps a la peau dure au Togo

© Photo Pixabay / Punnamjai / NeemNeem
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Au Togo, depuis 2009, l’exploitation des morgues par des particuliers est placée sous autorisation stricte du gouvernement. Mais cela n’empêche pas les morgues traditionnelles de continuer d’exister. Dans les villages, certains vantent d’ailleurs des méthodes simples et présumées efficaces pour conserver un corps aussi longtemps que nécessaire.

Au Togo, le recours à des morgues modernes et agréées, considérées comme un luxe ou une perte d’argent dans certaines localités, n’empêche pas les moyens ancestraux de conservation des corps de mener la belle vie. Et pourtant, ces pratiques, qui s’assimilent à une forme de momification, ne sont pas autorisées.

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Dans le nord comme dans le sud du pays, chaque groupe ethnique a une méthode traditionnelle pour conserver, au même titre que les morgues modernes, les corps des défunts, le temps de préparer les funérailles.

Kpondavé, un village du sud Togo, situé au bord du fleuve Mono, à une soixantaine de kilomètres de la capitale Lomé. Ici, grâce à une méthode simple, dont les habitants vantent l’efficacité, les populations peuvent conserver aussi longtemps que possible un corps sans vie, en attendant le jour de l’enterrement.

«Quand on nous sollicite pour la préparation des corps, nous utilisons une technique simple et efficace que nos parents nous ont léguée. Dans un premier temps, nous administrons au corps sans vie, par voie orale, un mélange de produits à base d’huile de ricin. Cette huile a le mérite d’empêcher la décomposition du corps à partir des déchets et tout ce qu’il peut y avoir dans le ventre de la personne décédée. Ensuite, le corps est entièrement couvert par des feuilles de neem et de la boue» a confié à Sputnik Nyinè Nouléamessi, spécialiste «morguier» traditionnel.

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Grâce à cette méthode simple, Nyinè assure que le corps peut rester intact «le temps nécessaire pour la famille du défunt d’organiser les funérailles». Celles-ci prennent généralement plusieurs jours, voire des semaines chez les animistes, où ces techniques de conservation traditionnelle sont les plus prisées.

Contrairement aux morgues modernes, les familles ont ici le choix entre aménager un espace au domicile du défunt ou garder le corps dans une morgue traditionnelle, généralement installée au domicile des spécialistes «morguiers» du village, comme ils sont appelés sous ces cieux.

Lorsque le corps est gardé dans la maison du défunt, la disposition du lieu de conservation peut se faire d’une drôle de façon. Le corps est souvent disposé sous la forme de banc fait en terre cuite, devant les habitations endeuillées… et les visiteurs présentant leurs condoléances pourraient même s’asseoir dessus, sans se douter de rien.

«Pour certains, à leur demande, on conserve le défunt sous forme d’un siège et les invités ou visiteurs s’asseyent dessus. C’est sans effet sur eux, si ce n’est la proximité toujours gardée avec la personne décédée, jusqu’à son enterrement.
Mais nous surveillons ce siège. Si la boue se fendille un peu, on y verse simplement de l’eau et un peu de boue. Rien que ça, sur toute la durée de la conservation. Le jour de l’enterrement, le corps est ressorti intact, lavé et exposé comme si le décès venait juste d’avoir lieu», détaille Nyinè Nouléamessi.

Cette pratique ne coûte à la famille du défunt que quelques bouteilles de Sodabi (la boisson locale, une solution alcoolique forte) que l’on apporte souvent au «morguier» et quelques 10.000 FCFA, soit 15 euros qu’on lui verse. Une rétribution plus économique que les dépenses que demande généralement le transport du corps jusqu’au Centre Hospitalier Régional le plus proche qui soit doté d’une morgue moderne frigorifique, voire jusqu’à une morgue privée. À cela s’ajoutent les frais de dépôts et d’entretien (14.000 FCFA, soit environ 22 euros pour seulement la première semaine), qui grimpent à raison de 6.000 FCFA (10 euros) environ par jour après cette première semaine.

Une pratique clandestine, «lucrative» et «dangereuse»

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Dans le sud tout comme dans le nord Togo, quoi qu’interdites par le Code de la Santé datant de 2009, les morgues traditionnelles continuent de se développer dans la clandestinité.

Si à l’intérieur du pays, la traque de ces morgues traditionnelles est légère, dans Lomé, la capitale, les autorités s’avèrent plus appliquées. En 2018, en pleine ville, une maison entière transformée en morgue privée traditionnelle a été démantelée par la gendarmerie. Des dizaines de corps sans vies y avaient été trouvés, et ses exploitants arrêtés.

«C’est une activité lucrative pour certains, mais ceux qui sont dans cette pratique savent qu’ils sont dans l’illégalité. Et c’est pour éviter tout ça que les prix à la morgue sont aussi fixés d’un commun accord avec le gouvernement, telle une mesure sociale. Ce qui ne représente rien du tout comparé aux coûts liés aux dispositions et mesures de conservations et d’électricité» a confié au micro de Sputnik le médecin-colonel Adom Wiyao, directeur du CHU Sylvanus Olympio de Lomé, le centre qui abrite la plus grande morgue moderne du pays.

Selon le Code de la Santé au Togo, l’installation d’une morgue peut se faire dans une préfecture ou dans une commune, où la manipulation du corps d’une personne décédée est subordonnée à une autorisation préalable du ministre de la Santé. Toute infraction est punie conformément à la loi.

Le Togo étant en pleine décentralisation depuis l’élection en 2019 de nouveaux maires d’arrondissement et de communes, le médecin-colonel Adom Wiyao pense que ces nouvelles autorités peuvent être d’une grande aide pour la poursuite de la lutte au nom de «l’hygiène, la sécurité et de l’assainissement publics.»

«Maintenant qu’on a des structures décentralisées, c’est aux maires qu’il revient la responsabilité de faire cette lutte pour aider le gouvernement togolais. Interdire au nom de la loi pour des raisons de santé publique, de sécurité et d’hygiène. Parce que tout le monde n’est pas formé pour toucher les corps comme le sont les pompes funèbres», a-t-il conclu refusant de se prononcer sur l’efficacité des méthodes traditionnelles.

L’alerte donnée par le docteur Adom Wiyao prend tout son sens alors que le Togo fait face, à l’instar de la plupart des pays du monde, à la pandémie de Covid-19. Le danger que pourrait constituer cette pratique sur la santé publique n’est pas anodin, dans le cas d’un décès lié à cette maladie et qui échapperait à la vigilance des autorités togolaises, se retrouvant ainsi dans l’une de ces morgues traditionnelles.

C’étaient d’ailleurs des considérations similaires qui avaient conduit, en 2014, le gouvernement du Bénin voisin à ordonner la fermeture des morgues traditionnelles dans tout le pays. Et pour cause: «les conditions peu hygiéniques dans lesquelles les morguiers traditionnels gardent et traitent les corps des défunts dans les maisons peuvent favoriser la propagation de certaines maladies, notamment celles qui ont emporté les malades défunts», selon une source officielle citée par l’agence de presse officielle chinoise Xinhua.

Quoiqu’elles soient combattues par la loi et fragilisées par le vent de modernité qui souffle sur ces pays africains, ces techniques traditionnelles de conservation de corps ne semblent pas près de s’évanouir. Pluricentenaires, elles semblent au contraire avoir la peau dure, presque cadavérique.

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