Covid-19: sale temps pour les ONG africaines

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Affaiblies par l’irruption du coronavirus sur le continent, les ONG africaines engagées et spécialisées dans le développement communautaire ont vu leurs capacités d’action réduites. Les financements extérieurs plombés, elles doivent inventer de nouvelles stratégies pour survivre d’abord et élaborer ensuite des perspectives créatrices d’autonomie.

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Son siège aux HLM Rufisque (à une trentaine de kilomètres de Dakar) est fermé, les dernières factures d’eau et d’électricité restent impayées, ses membres ne peuvent plus honorer leurs cotisations mensuelles. Les conséquences inattendues du Covid-19 sont passées par là, au grand dam de son président, Serigne Sarr, qui s’est confié à Sputnik.

«Le Covid-19 a totalement déréglé notre fonctionnement. Nous recevions des subventions de la part de certaines organisations non gouvernementales (ONG) étrangères, mais la source s’est tarie brutalement. En particulier, notre principal partenaire espagnol –qui devait nous aider à finaliser des projets importants de puits et d’adductions d’eau dans des zones rurales déjà identifiées– a dû quitter le pays quand la pandémie s’est installée. Ce programme est à l’arrêt et je ne sais pas s’il pourra reprendre.»

Si aucun pays ne disparaîtra de la carte du monde à l’issue de la crise sanitaire qui bouleverse la planète depuis décembre 2019, des organisations de la société civile (OSC) africaine comme l’Addea ne peuvent en dire autant. Déstabilisées par le Covid-19 dans leur fonctionnement général, elles en subissent les contrecoups et sont contraintes de trouver des palliatifs pour subsister en attendant de pouvoir élaborer des stratégies de survie à long terme.

Dans une enquête réalisée auprès de 1.015 OSC dans 44 pays africains, Epic Africa et @African NGOs –deux entités panafricaines travaillant à la promotion des ONG sur le continent– estiment que la situation générale des OSC est critique.

«L’impact global immédiat de la pandémie a été rapide, général et déstabilisant. 98% des participants ont indiqué avoir été affectés négativement d’une ou de plusieurs façons. Seulement 2% ont indiqué un impact minime ou nul. La plupart des participants (84,48%) ont reconnu avoir été largement pris au dépourvu par les perturbations causées par le Covid-19. L’impact a été ressenti notamment au niveau des financements, des opérations et des activités», lit-on dans le rapport intitulé "L’impact de la Covid-19 sur les organisations de la société africaine: enjeux, réponses et opportunités" récemment publié.  

​C’est dans les opérations et programmes des organisations de la société civile africaine que les conséquences du coronavirus ont été les plus dramatiques, note l’enquête. Avec la mise en œuvre des mesures de confinement par les États, les restrictions sur les déplacements du personnel ont touché 73,97% des OSC et imposé des diminutions d’interactions directes avec les communautés à 79,35% d’entre elles. En conséquence, 69,34% des OSC ont dû procéder à des réductions ou annulations de leurs opérations quand, en parallèle, 31,54% devaient faire face à une hausse de la demande de services émanant des populations.

«Avant l’épidémie et le confinement qui a suivi […], nous étions sur le point de recevoir quelques bailleurs de fonds dans notre centre de transformation agroalimentaire et notre mini-laboratoire alimentaire, ainsi que d’acheter et d’établir un bureau officiel pour nos opérations. Nous avons dû geler ces projets, ce qui aurait été un investissement dans la croissance de l’organisation. Cela a eu un effet domino. Nous avons dû annuler les primes annuelles comme mesure de réduction des coûts et diminuer la production dans le centre de transformation alimentaire», se désole un responsable d’ONG cité dans l’enquête.

Financées de l’extérieur pour l’essentiel, les ONG africaines ne roulaient déjà pas sur l’or avant l’irruption du coronavirus sur le continent. Selon Epic Africa et @African NGOs, «près de 50% des participants ayant un budget annuel moyen inférieur à 100.000 dollars (environ 55 millions de francs CFA), la perte de financement pourrait avoir des conséquences dévastatrices» sur leurs projets et programmes et sur l’attitude de leurs partenaires.

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«Selon 46,18% des OSC interrogées, leurs bailleurs de fonds les avaient informées que le Covid-19 pouvait impacter leur capacité à poursuivre leurs efforts de soutien. Et plus inquiétant, 77,97% ont estimé que le Covid-19 allait avoir un impact dévastateur sur la pérennité de nombre d’entre elles.»

Entre réduction des coûts de fonctionnement, développements de projets moins onéreux, adoption de méthodes de travail plus conformes au contexte sanitaire, etc., les OSC semblent condamnées à réinventer leur avenir. Mais pour l’heure, il s’agit tout d’abord de s’adapter à la situation. Ainsi, si 75,36% d’entre elles n’envisageaient point de faire du télétravail avant le Covid-19, aujourd’hui 67,83% ont dû recourir à ce système, avec les désagréments liés à l’impréparation face à ce nouveau dispositif. C’est le temps des ruptures.

«Jusqu’à présent, nous avons reporté la mise en œuvre de certaines activités et élaboré un plan d’intervention Covid-19 complet pour lequel nous recherchons des fonds supplémentaires. Nos donateurs sont pour la plupart favorables à une réorientation du financement vers nos activités en réponse à Covid-19 à court/moyen terme. Mais si la crise se poursuit au-delà de juin ou juillet, nous devrions commencer à mettre en œuvre des mesures de réduction des coûts», explique un autre responsable d’ONG concerné par l’enquête.

Les OSC ayant réussi à tirer leur épingle du jeu ne sont pas légion. Ce sont surtout celles appartenant aux 25% d’ONG qui ont pu intégrer des coalitions ou établir des partenariats avec d’autres ONG africaines étrangères «afin de mieux coordonner les actions spécifiques au Covid-19 dans leur secteur». Ce qui a fait défaut, c’est le soutien des pouvoirs publics «pour atténuer l’impact de la pandémie sur leurs opérations ou leurs activités».

«Il est temps pour les OSC africaines de s’interroger sur la pérennité de leurs modèles et d’apporter des changements nécessaires ainsi que de hiérarchiser les activités dans le but d’optimiser leurs opérations futures», conseille une participante à l’enquête d’Epic Africa.
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