Présidentielle ivoirienne: le projet controversé d’un candidat pour légaliser la polygamie

© AFP 2023 KAMBOU SIAL'affiche du candidat à la présidentielle ivoirienne Mamadou Koulibaly de 2015
L'affiche du candidat à la présidentielle ivoirienne Mamadou Koulibaly de 2015 - Sputnik Afrique
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Légaliser la polygamie, ce projet de l’ancien président de l’Assemblée nationale Mamadou Koulibaly, candidat à la présidentielle d’octobre, qui est actuellement sur toutes les lèvres des internautes ivoiriens, semble diviser autant qu’il passionne.

Légiférer sur la polygamie et engager un processus de régularisation des mariages coutumiers et religieux pour les rendre formels et protéger les femmes et les enfants, si c’est une proposition parmi tant d’autres du programme que soumet aux Ivoiriens le candidat à la présidentielle du 31 octobre 2020, Mamadou Koulibaly, c’est manifestement celle qui retient le plus l’attention.

Sur les réseaux sociaux, le débat entre anti et pro-polygamie fait rage depuis plus d’un an maintenant, avec l’adoption d’une loi relative au mariage. Mais une résurgence particulière est observée ces derniers jours.

De part et d’autre, les arguments pour tirer la couverture à soi ne manquent pas.

Saisir le phénomène

La loi relative au mariage adoptée par l’Assemblée nationale le 26 juin 2019 dispose que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ayant chacun 18 ans révolus, célébrée devant un officier de l’état civil. Elle ajoute, en guise de rappel, que «nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution du précédent». 

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En réalité, l’interdiction de la polygamie remonte au Code civil de 1964 qui avait fait de la Côte d’Ivoire «le premier État d’Afrique francophone à adopter une mesure aussi radicale».

Toutefois, la sociologie du mariage dans le pays contraste grandement avec les exigences de cette loi, du moins au regard des données statistiques recueillies lors du dernier recensement général de la population et de l’habitat (RGPH), mené en 2014.

En effet, selon le RGPH 2014, la proportion des unions coutumières s’élève à 79,1% et celle des mariages religieux à 28,4% contre seulement 8,4% pour les mariages légaux. Mais il faut noter que plusieurs unions sont célébrées selon deux ou trois de ces modèles.

Par ailleurs, la loi précise que seul le mariage validé par un officier de l’état civil a des effets légaux. Cela implique que la majeure partie des unions célébrées dans le pays sont illégales.

Une enquête menée en 2015 par l’Institut national de la statistique (INS) a établi que les ménages polygames sont plus exposés à l’indigence que les autres. «Les individus vivant dans les familles élargies présentent plus de risque d’être pauvres car le taux de pauvreté pour ce type de ménage est de 52,6% et 38,8% des nécessiteux font effectivement partie d’un tel foyer», a indiqué l’enquête.

Une pratique tolérée mais taboue

De fait, les unions traditionnelles multiples ont toujours été tolérées en Côte d’Ivoire. Il est ainsi courant de rencontrer des ménages où, en plus de son épouse légale, l’époux entretient ou vit avec une ou plusieurs femmes qu’il a dotées ou épousées, conformément à sa coutume ou sa religion.

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Cette réalité n’empêche cependant pas un certain tabou autour du phénomène. Au micro de Sputnik, le sociologue burkinabè Wilfried Sanou livre l’explication suivante:

«Dans nos pays africains, la polygamie est encore fortement ancrée dans les mœurs, en particulier en milieu rural, mais porter le sujet sur la place publique se révèle paradoxalement tabou. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela, notamment le fait que la polygamie est une réalité sociologique qui touche à l’intimité des personnes, mais aussi parce qu’elle se heurte parfois au poids de la religion et des traditions».

Pour Mamadou Koulibaly, il faut mettre fin au «confort hypocrite d’une loi insensée qui n’a fait l’objet d’aucun référendum».

«Une réforme de la loi sur la famille et sur le mariage est absolument nécessaire pour les conséquences de ses deux institutions sur la démographie, la santé, l’éducation, l’emploi, la retraite, la sécurité et la pauvreté. Je propose un traitement des causes et non des effets», a-t-il déclaré dans un Tweet le 9 septembre.

Interrogé par Sputnik, Paul Kwadjané Agoubli, le délégué national chargé de la communication de Liberté et démocratie pour la République (Lider, parti de Mamadou Koulibaly), explique que «légaliser la polygamie, ce n’est pas favoriser les maîtresses comme certains l’affirment, c’est mettre la lumière sur une pratique derrière laquelle bien souvent des gens se réfugient pour fuir leurs responsabilités».

«Il est apparu dans de nombreux cas que lorsque l’on a légalisé la pratique, elle a eu tendance à reculer. De plus, il s’agit d’une loi qui sera votée, cela signifie que ceux qui n’y sont pas favorables auront le choix de dire non», a-t-il déclaré.

En tout état de cause, il n’est pas certain que toutes les explications que publie Mamadou Koulibaly sur les réseaux sociaux suffisent à calmer les ardeurs concernant un débat qui a démarré sur les chapeaux de roues et qui devrait se poursuivre encore longtemps.

Du moins, jusqu’au premier tour de l’élection présidentielle fixé au 31 octobre 2020.

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