L’équation complexe de la reconstruction de l’Extrême-Nord du Cameroun

© AFP 2023 MARCO LONGARIUn homme sous la pluie au Cameroun
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Déjà classée la plus pauvre du Cameroun, la région de l’Extrême-Nord, qui continue de subir les assauts de Boko Haram et fait face à une crise humanitaire, a été victime de graves inondations. Même si Paul Biya vient d’ordonner un plan de reconstruction de ce territoire, le débat reste vif sur la prise en considération de cette partie du pays.

Prise en tenaille entre les attaques de la secte islamiste nigériane Boko Haram, les catastrophes naturelles et son économie précaire, la région de l’Extrême-Nord du Cameroun broie du noir. Alors qu’elle fait déjà face à de nombreux défis de développement, la situation a empiré depuis la fin août dernier avec de graves inondations. Les pluies torrentielles y ont causé d’importants dégâts matériels, détruisant au passage des voies de communication, des infrastructures et des plantations.

​Début septembre, le Président Paul Biya a dépêché pas moins de sept de ses ministres à Maroua, la capitale régionale, pour évaluer l’ampleur des dégâts et apporter dans certains cas des denrées de première nécessité aux victimes de ces pluies diluviennes. Dans la foulée, les émissaires du gouvernement ont annoncé de nombreux projets pour la zone: reconstruction des ponts, édification de barrages artificiels, création d’un fonds de développement des céréales et des légumineuses dans le programme économique et budgétaire de 2021.

Une région délaissée?

Un déploiement de Yaoundé qui cache mal la précarité ambiante d’un territoire en proie à de nombreuses crises, dont la plus tragique est orchestrée par Boko Haram.

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D’ailleurs, après la mise en place par le gouvernement d’un plan de reconstruction et de développement dans les régions séparatistes du Nord-Ouest et du Sud-Ouest en début d’année, des voix se sont élevées dans le septentrion pour crier à la discrimination. Les populations s’interrogeaient sur l’absence d’un plan de reconstruction de la région de l’Extrême-Nord, prise dans l’étau des terroristes de Boko Haram depuis 2011.

Des plateformes comme le «Mouvement 10 millions de Nordistes» de Guibai Gatama, leader de la société civile locale, ont interpellé le chef de l’État, lui demandant de «mettre en place urgemment un plan de reconstruction de la région de l’Extrême-Nord». Outre la crise sécuritaire, le territoire baigne dans une misère endémique. Pour Njoya Moussa, analyste politique, «les régions du nord de la quasi-totalité des pays francophones d’Afrique ont pratiquement toutes le même problème».

«Puisqu’on est gouverné dans une logique de centre périphérique, plus vous êtes éloignés de Yaoundé, moins vos problèmes sont pris en compte, moins l’on est au courant de ce que vous vivez et moins on est regardant sur les solutions à apporter aux problèmes que vous rencontrez», considère-t-il dans une déclaration à Sputnik.

Répondant aux multiples plaintes des populations de cette partie du pays, présentée comme l’un des principaux viviers électoraux du parti au pouvoir -pour y avoir gagné de nombreux scrutins avec une large majorité-, Paul Biya a ordonné fin août la mise en place d’un plan de reconstruction, même si de nombreuses interrogations demeurent au sujet du montant de l’enveloppe qui sera alloué et des composantes de ce plan. Un projet qui rentre dans la même logique que beaucoup d’autres, initiés en faveur d’autres régions et qui, de l’avis de Njoya Moussa, aura «très peu d’efficacité parce que comme tous les autres plans, c’est un projet qui est ordonné et implémenté depuis la capitale».

«Avant ce programme, il y a eu le plan d’urgence pour le Grand-Nord, qui n’a produit aucun résultat. Tout ce que l’on a initié comme projet de reconstruction au Cameroun ne produit rien parce qu’on est enfermé dans une bureaucratie -ou disons plutôt dans l’inertie. Tant que l’on sera dans cette logique bureaucratique là, je ne pense pas que l’on puisse en tirer une certaine efficience», commente l’analyste.

L’interminable lutte contre Boko Haram

Pour le docteur Frank Ebogo, expert en relations internationales et études stratégiques à l'Université de Yaoundé 2, auteur de l’ouvrage Les mobilisations collectives anti-Boko Haram au Cameroun (Ed. Publibook, Paris, 2019), il est difficile que ce plan aboutisse dans le contexte actuel sans remplir certaines conditions.

«Il s’agit d’un défi. Pour que ce plan réussisse, il faudrait d’abord que la situation sécuritaire puisse être maîtrisée, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui», souligne le géostratège au micro de Sputnik.

Si la reconstruction annoncée apporte une lueur d’espoir aux populations, la région, frontalière du Nigeria reste néanmoins confrontée à la menace Boko Haram. Bien que le conflit ait graduellement baissé en intensité, après avoir atteint un paroxysme en 2014 et 2015, les offensives récurrentes rappellent que le mouvement djihadiste est loin d'être défait.

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Depuis le début de ce mois de septembre, de nombreuses attaques y ont été enregistrées. Dernier cas en date: deux militaires ont trouvé la mort le 28 septembre à Zeleved dans l’assaut de leur poste par la secte. Quelques jours plus tôt, le 12 septembre, au moins cinq civils ont été tués dans un attentat-suicide perpétré par le groupe terroriste dans la même localité.

En dépit de l'affaiblissement de Boko Haram au Cameroun, la situation humanitaire ne s'améliore pas dans l'Extrême-Nord. La région est la plus pauvre du pays. Avant les atrocités de la secte, 74% de la population vivait déjà, sous le seuil de pauvreté. De plus, le territoire doit faire face à l’afflux de milliers de réfugiés qui fuient les atrocités du groupe terroriste dans le bassin du lac Tchad, occasionnant dans la foulée une crise humanitaire. Une autre équation à résoudre avant tout chantier de reconstruction efficace, souligne Frank Ebogo.

Des voies de sortie

«Il faut régler la question des réfugiés. Et en plus, vous ne pouvez pas développer des localités qui sont dépeuplées parce qu’elles ont fui les affres de Boko Haram. Le défi serait d’abord de sécuriser cette zone, d’encourager le retour des populations, le retour de l’administration et même des ONG», explique le géostratège.

Comme pistes de solutions à déployer pour sortir cette région de sa précarité, Njoya Moussa suggère «l’implication des populations dans tous les projets de développement».

«Il faut signaler que le net recul de Boko Haram est essentiellement le fait des comités de vigilance [groupes d’autodéfense constitués par les populations dans le cadre la lutte antiterroriste]. L’armée ne vient qu’en appui de ces comités. Transformer ces derniers en comité de développement apportera également des résultats dans ces localités», ajoute-t-il.

Avec plus de 1,2 million de votants inscrits sur les quelque 6,6 millions aux dernières élections dans le pays, l'Extrême-Nord, bastion stratégique pour la présidentielle, évolue toujours dans l’abîme du sous-developpement. La lutte contre Boko Haram n’a fait qu’empirer la situation économique déjà précaire des quatre millions d’habitants de la région.

Malgré les annonces de projets par Yaoundé, les populations continuent de vivre le calvaire et les ONG sur le terrain, toujours préoccupées par la situation, n’ont de cesse d’alerter sur la nécessité d’intensifier la réponse humanitaire.

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