Un gardien égorgé par un détenu djihadiste, le Maroc sous le choc

© Photo Pixabay / vero_vig_050Prison (image d'illustration)
Prison (image d'illustration) - Sputnik Afrique
S'abonner
Les Marocains n’en reviennent toujours pas. Un terroriste nouvellement incarcéré, se réclamant de Daech*, vient d’égorger un jeune gardien à la prison de haute sécurité de Tiflet II près de Rabat. La vidéo de cet abominable crime a fuité et crée une véritable onde de choc sur la Toile. Analyse.

Les images sont effroyables. Mardi 27 octobre, le soir tombait sur la prison de haute sécurité Tiflet II quand Habib El Herrass était en train de reconduire Abderrazak A. au cachot numéro 10. Le jeune gardien savait ce nouveau prisonnier extrêmement dangereux puisque classé A (catégorie des détenus les plus redoutables). Mais au vu de la docilité qu’il affichait, le surveillant pénitentiaire était loin de se douter de son plan macabre.

Guantanamo detention center - Sputnik Afrique
L’incroyable histoire du dernier détenu marocain «oublié» à Guantánamo
Arrivé devant la porte bleue de sa cellule d’isolement, celui que l’on surnomme «Lhaych moul triporteur» (le sauvage au triporteur), en raison d’un tricycle qu’il utilisait pour vendre du poisson, a sorti un morceau de fer qu’il cachait sous sa manche. En un éclair, il a frappé le gardien violemment à la gorge, l’a mis à terre et l’a traîné à l’intérieur du cachot où il l’a séquestré. Filmée par les caméras de vidéosurveillance, cette scène insoutenable de moins d’une minute a fuité le 28 octobre sur les réseaux sociaux. Elle continue à horrifier les internautes marocains qui la partagent massivement.

L’horrible assassinat a été révélé officiellement la veille par le biais d’un communiqué du procureur du roi près la cour d’appel de Rabat. On y apprend que la victime, Habib El Herrass, 27 ans et père de deux enfants, a succombé à ses blessures peu de temps après son évacuation à l’hôpital. Selon la même source, trois autres gardiens ont été blessés par l’assassin en tentant de libérer leur collègue.

«Le Parquet général a ordonné à la police judiciaire l’ouverture d’une enquête minutieuse à ce sujet pour déterminer la responsabilité juridique», précise le même communiqué.

Bouleversés par cette tragédie, les internautes continuent de rendre hommage à Habib El Herrass. Ils adressent surtout des messages de condoléances à sa famille et ses proches en condamnant ce meurtre odieux.

«Cette photo est celle du regretté Habib, il est l’un des fonctionnaires les plus gentils, les plus merveilleux de toutes les prisons marocaines, je n'oublierai jamais sa sympathie et son inépuisable bonté. Je ne l’ai connu que pendant un an et demi. Et tout au long de cette période, jamais, même pas un seul jour, il ne m’avait manqué de respect. Que son âme repose en paix», témoigne le journaliste marocain Hamid Elmahdaoui sur Facebook.

Il a été libéré en juillet dernier de la prison Tiflet II où il était emprisonné après avoir été condamné dans le sillage du Hirak, la contestation sociale dans le Rif, au nord du Maroc, entre 2016 et 2017.

Adorateur de la mort

Contacté par Sputnik, le criminologue marocain Hatim Souktani affirme que le crime commis par Abderrazak A., 29 ans, témoigne surtout de l'état de dangerosité de ce dernier.

«Dans le quartier où il vivait, dans la ville de Témara (au sud de la capitale), on le surnommait ‘Lhaych’, c'est-à-dire, le monstre ou le sauvage. Cette qualification a été confirmée dans l’horrible vidéo du crime qu’il a commis sur le brave gardien pénitentiaire Habib. Les gestes rapides de cet assassin, sa force surprenante et surtout la froideur avec laquelle il a commis son acte exécrable sont effroyables. Il faut le surveiller de très près et étudier profondément son cas durant l’enquête de personnalité car il pourrait récidiver», alerte-t-il.

L’assassin de Habib El Herrass n’est autre que «l’émir» (le chef) d’une dangereuse cellule terroriste affiliée à Daech*. Il a été interpellé le 10 septembre dernier avec quatre autres membres de son groupe dans une opération menée simultanément dans les villes de Témara, Skhirat, Tiflet et Tanger.

Les forces du BCIJ en action - Sputnik Afrique
Terrorisme: coup de filet hautement symbolique du «FBI» marocain
Selon le Bureau central marocain d’investigation judiciaire (BCIJ), que l’on surnomme le «FBI marocain», ces terroristes étaient sur le point de commettre de graves attentats au Maroc. Ils allaient cibler des «personnalités publiques et militaires et des sièges de services de sécurité». Lors de son arrestation, leur «émir» avait opposé une résistance farouche aux éléments des forces spéciales antiterroristes venus l’arrêter. Il avait même tenté de se faire exploser à l’aide d’une bonbonne de gaz.

En analysant les éléments du dossier de «Lhaych», l’expert marocain en criminologie, qui est aussi professeur vacataire à l'université Abdelmalek Essaâdi de Tétouan, revient sur la radicalisation du meurtrier:

«Une radicalisation lente, violente et assoiffée de sang. La catégorie de criminels à laquelle appartient ce tueur ne s'identifie et ne se sent valorisée que dans le terrorisme et dans les bains de sang. Pour elle, la religion n'est qu'un prétexte pour passer à l’acte et commettre des actes abjects, lâches et monstrueux», décrypte le professeur Souktani.

La cellule démantelée avait tout pour provoquer un carnage. Le 16 septembre dernier, des substances explosives et inflammatoires, dont des cocktails Molotov, ont été trouvées par le BCIJ dans le parking de l’immeuble où se trouve l’appartement de la sœur du tueur. Ces matières étaient stockées dans un véhicule frigorifique lui appartenant.

Alerte maximale

Pour Said El Akhal, chercheur marocain spécialisé dans les questions des mouvements djihadistes, l’affaire de meurtre du gardien de la prison de Tiflet II pose une série d’interrogations:

«Comment le terroriste a-t-il pu quitter sa cellule et se déplacer librement sans aucune mesure de sécurité? Comment a-t-il réussi à se procurer l’arme du crime, cet énigmatique objet en fer qu’il a utilisé pour tuer la victime? Où était le personnel chargé de surveiller les caméras de sécurité de la prison?»

«Autant de questions que seule l’enquête approfondie désormais ouverte pourrait élucider. En attendant, ce crime très grave prouve une fois de plus que le danger terroriste n’est pas du tout neutralisé, même quand des extrémistes sont derrière les barreaux. Ce crime confirme aussi la dangerosité des criminels de Daech*», poursuit-il.

Les premières auditions d’«El Haych moul triporteur» devant la justice ont déjà eu lieu les 19 et 22 septembre derniers sans apporter aucune nouvelle révélation sur la cellule terroriste.

La prison d'Ouchaka à Casablanca, Maroc - Sputnik Afrique
Le vrai du faux d’une extradition top secrète de deux «gangsters» israéliens du Maroc
Souktani insiste, lui aussi, sur la particularité du profil criminel d’Abderrazak A. «Les personnes comme Lhaych peuvent se montrer gentilles et même dociles, mais il ne faut jamais baisser sa garde face à eux. Cette facette est souvent trompeuse. C’est pourquoi les gardiens de prison et les autorités doivent veiller au maintien d’un niveau de vigilance élevé. Surtout dans le contexte mondial actuel qui est très tendu. Si on baisse la garde, on met des vies humaines en péril. C’est aussi simple que cela. Ce qui est arrivé à ce pauvre gardien de prison en est la preuve.»

«Ce drame doit interpeller les autorités et les inciter à prendre de nouvelles mesures plus musclées et plus restrictives, mais toujours en harmonie avec les droits des détenus. Comme par exemple, la mise en place de la vidéosurveillance dans tous les locaux des prisons avec des surveillants toujours en alerte. Les fouilles pluriquotidiennes doivent être systématiques et permanentes. En tout cas, un audit de sûreté s’impose après cette tragédie», conclut l’auteur marocain.

Les proches de Habib El Herrass ont reçu, jeudi 29 octobre, les condoléances du roi du Maroc lui-même. Dans son message, le souverain a condamné «cet acte criminel abject» dont a été victime «le fonctionnaire innocent». Dans sa lettre, le roi Mohammed VI salue les grands sacrifices consentis par les fonctionnaires et membres des différents services, ainsi que les forces sécuritaires pour accomplir leur devoir professionnel, national et humain consistant à préserver la sûreté et la sécurité de la patrie et des citoyens.

Pour rappel, la dernière attaque terroriste qu’ait connue le royaume chérifien était un double attentat survenu en décembre 2018. Deux touristes scandinaves –Louisa Jespersen, une étudiante danoise de 24 ans, et Maren Ueland, une Norvégienne de 28 ans– avaient été égorgées au sud de Marrakech. Les auteurs de ce crime odieux appartenaient à une cellule inspirée par l’idéologie de Daech*.

Auparavant, le Maroc n’avait plus connu d’acte terroriste majeur depuis avril 2011, quand une bombe avait été actionnée à distance dans un café en plein cœur de la place Jemaa el-Fnaa, haut lieu touristique de la ville de Marrakech. L’explosion avait fait 17 morts et 20 blessés. Cet attentat et celui de 2003, qui avait tué 55 personnes –12 kamikazes compris– sont les plus meurtriers dans l’histoire du pays. *Organisation terroriste interdite en Russie.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала