À Abidjan, le drame d’une famille de chimpanzés condamnée à disparaître

© Sputnik . Roland KlohiUne vue sur le parc du Banco, à Abidjan.
Une vue sur le parc du Banco, à Abidjan. - Sputnik Afrique
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La diffusion, par l’Office ivoirien des parcs et réserves, des images d’un groupe de chimpanzés en apparente bonne santé dans le parc du Banco situé à Abidjan a réjoui les internautes. Un enthousiasme que ne partage pas tout à fait Sarah Crawford, une amoureuse des primates, qui les sait condamnés.

Les images de ces chimpanzés déambulant paisiblement dans le parc national du Banco ont été l’une des grandes attractions sur les réseaux sociaux en cette journée dominicale du 29 novembre. Les internautes ont découvert, ébahis, que cette aire protégée en plein cœur d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne, abritait une famille de ces grands singes.

Le Banco (3.400 ha) a beau être la deuxième plus grande forêt tropicale urbaine au monde (après celle de Tijuca à Rio de Janeiro au Brésil) et disposer d’immenses potentialités touristiques, nombreux sont les Abidjanais qui confient craindre de s’y aventurer, de peur d’y faire une mauvaise rencontre. Redouté pour être un repère de criminels, la légende (urbaine) attribue à ce parc l’existence de… génies malfaisants. La vue de ces primates sympathiques a quelque peu tempéré l’image négative qui colle à cette réserve naturelle.

Une chose est certaine toutefois, voir ces chimpanzés n’a pas été une surprise pour Sarah Crawford, une Américaine installée en Côte d’Ivoire et qui dirige depuis 2017 «Akatia», une ONG spécialisée dans la conservation de ces grands singes. Et ce ne fut pas non plus une joie.

«On est, certes, contents de les savoir en pleine forme et en vie, mais c’est toujours un déchirement pour nous de les voir. Le fait est que la population de chimpanzés qu’on retrouve dans le parc du Banco n’est en réalité pas viable car ces primates, tout comme les êtres humains, ne s’accouplent pas dans leur famille d’origine», fait-elle savoir au micro de Sputnik.

Ainsi, qu’il n’y ait qu’une seule famille dans cette forêt primaire privée de corridor (de liaison avec un autre habitat) signifie tout simplement que c’est une population où il n’y aura jamais de reproduction et qui est inévitablement appelée à disparaître.

© Sputnik . Roland KlohiUn panneau dans le parc du Banco, à Abidjan.
À Abidjan, le drame d’une famille de chimpanzés condamnée à disparaître  - Sputnik Afrique
Un panneau dans le parc du Banco, à Abidjan.

D’ordinaire, les femelles adolescentes (de six à douze ans) changent de groupe afin de pouvoir se reproduire. Mais là, elles ne disposent malheureusement pas de cette possibilité.

Pour l’heure, aucune solution n’est envisagée au problème des chimpanzés du Banco.

«Les solutions potentielles sont en fait assez radicales. Elles impliquent par exemple d’endormir des femelles du Banco afin de les transporter dans un autre habitat. Et vice versa. C’est une option dangereuse car ce n’est jamais sans risque d’endormir des animaux sauvages. Mais c’est de notre responsabilité d’essayer», déclare Sarah Crawford.

Ainsi, dans la forêt abidjanaise du Banco, les chimpanzés jouent leur survie. C’est aussi le cas dans toute la Côte d’Ivoire.

Une espèce plus que jamais menacée

La situation est «particulièrement critique», comme le souligne la présidente de l’ONG Akatia. La perte progressive de leur habitat est un «réel drame» pour ces chimpanzés. Il ne resterait qu’un millier de ces primates en Côte d’Ivoire. L’espèce a perdu 90% de sa population (plus de 12.000) au cours de ces vingt dernières années.

L’essentiel des singes qui subsistent est concentré dans les parcs nationaux de la Comoé (1.148.756 ha) et de Taï (508.186 ha).

«De ce que nous savons, mais ne sommes pas en mesure de le confirmer parce que la dernière étude nationale sur les chimpanzés date de 2012, seules ces deux populations sont véritablement viables. Dans le parc d’Azagny (19.400 ha), il devrait y en avoir une cinquantaine, ce n’est pas assez», précise Sarah Crawford.

Les chimpanzés sont une espèce clé pour la biodiversité. Infatigables marcheurs, ces animaux peuvent parcourir une cinquantaine de kilomètres en une journée et disséminer tout au long de leur voyage des graines via leurs excréments.

En Côte d’Ivoire, le plus célèbre d’entre eux se nomme Ponso. Ce mâle d’environ 46 ans est l’unique rescapé d’une vingtaine de singes de laboratoire utilisés par le New York Blood Center pour des recherches médicales au Liberia. Dans les années 1980, une partie de ces primates avait été relâchée dans ce pays, et une autre sur une petite île déserte du sud-ouest de la Côte d’Ivoire, à 130 km d’Abidjan.

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La disparition progressive au fil des années des compagnons de Ponso illustre, à certains égards, le destin tragique qui menace son espèce qui, du reste, est soumise à la pression grandissante du braconnage en Afrique de l’Ouest.

En effet, ces dernières années, la Côte d’Ivoire, où la viande de brousse (et donc de singe) reste prisée, tend à devenir une plaque tournante du trafic international de chimpanzés dans cette partie d’Afrique. Les bébés qui se retrouvent en vente clandestine à Abidjan ou à l’intérieur du pays proviennent ainsi parfois du Liberia ou de la Guinée. «Dès lors, ne pas trouver une solution au problème du trafic des chimpanzés en Côte d’Ivoire reviendrait à voir s’épuiser leur population en Afrique de l’Ouest», alerte Sarah Crawford.

Des solutions existent

Selon la présidente d’Akatia, en Guinée et au Liberia, deux pays frontaliers à l’ouest de la Côte d’Ivoire, les contrôles douaniers et les mesures de protection des animaux ont été renforcés ces dernières années.

«La Côte d’Ivoire est un peu à la traîne mais fort heureusement, les choses bougent», indique-t-elle.

En effet, le pays s’est notamment doté en 2019 d’un code forestier pour la préservation, la réhabilitation et la valorisation des forêts –dont la superficie totale est passée de 16 millions d’hectares en 1960 à moins de 3 millions aujourd’hui–, et dispose désormais d’une brigade spéciale de surveillance et d’intervention (BSSI) forte de 650 soldats et commandos, chargés de traquer braconniers et pilleurs.

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Par ailleurs, il existe actuellement un projet de corridor écologique entre le parc de Taï en Côte d’Ivoire, et celui de Grebo Khran (96.000 ha) au Liberia. Cette «passerelle pour la vie», comme certains l’appellent déjà, devrait favoriser les déplacements transfrontaliers des différentes espèces (en particulier les primates) qui peuplent ces deux aires protégées. Mais avant de voir le jour, ce projet salutaire devra encore être délesté de plusieurs contraintes comme le dédommagement des populations installées sur le tracé prévu du corridor.

De son côté, l’ONG Akatia –qui en baoulé, la langue d’une des plus importantes ethnies de Côte d’Ivoire, signifie chimpanzé– s’est donné pour mission d’appuyer le gouvernement ivoirien dans sa politique de conservation de ces primates et dans sa lutte contre le trafic des espèces menacées.

Akatia compte établir un sanctuaire où accueillir les bébés chimpanzés orphelins qui auront été saisis par les autorités ivoiriennes. À cet effet, le ministère des Eaux et Forêts va mettre à la disposition de l’ONG 4.500 ha de la forêt classée de Yapo-Abbé située à 30 km d’Abidjan, mais la convention de création du refuge tarde à être signée.

Et en attendant que tous ces projets soient opérationnels, la population de chimpanzés poursuit son inquiétant déclin.

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