Algérie: #mansinach, la campagne qui fait revivre la mémoire des victimes du terrorisme

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Le drapeau de l'Algérie - Sputnik Afrique, 1920, 24.03.2021
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De nombreux témoignages avec le hashtag #mansinach (nous n’avons pas oublié) ont inondé la Toile à l’occasion de la journée contre l’oubli des victimes du terrorisme en Algérie. Lancée par l’association Ajouad Algérie Mémoires, cette campagne intervient au moment où les islamistes de l’organisation Rachad se montrent particulièrement actifs.

Les Algériens n’ont pas oublié la terreur islamiste des années 1990. À l’occasion du 22 mars, journée contre l’oubli des victimes du terrorisme, des témoignages avec le hashtag #mansinach (nous n’avons pas oublié) ont inondé Twitter et Facebook.

La date du 22 mars et la campagne #mansinach ont été initiées par Ajouad Algérie Mémoires, une association créée en 2010 par des familles victimes du terrorisme. Elle est présidée par Nazim Mekbel, fils du journaliste Saïd Mekbel, éditorialiste et directeur du journal Le Matin qui a été assassiné le 3 décembre 1994 à Alger.

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Contacté par Sputnik, Nazim Mekbel indique que depuis 2011 la commémoration du 22 mars se déroulait dans un «cadre intimiste» mais qu’elle a pris une dimension plus importante cette année grâce au lancement de #mansinach.

«C’est un militant d’Ajouad qui a lancé l’idée de ce hashtag, car Twitter est beaucoup plus accessible aux jeunes. Par le passé, nous organisions partout dans le monde des rencontres, conférences, débats, recueillement avec des familles de victimes, quelques amis et des adhérents. Il y avait toujours les mêmes personnes qui relataient toujours les mêmes histoires, les mêmes faits. Cette année, le citoyen lambda s’est emparé de cette journée et tant mieux. C’était d’ailleurs le but de notre démarche initiale. Que cette journée devienne citoyenne et non plus juste militante», précise-t-il.

«Une guerre contre les civils»

Nazim Mekbel estime que les nombreux témoignages viennent confirmer que ce qui s’est passé durant les années 1990 en Algérie «n’était pas une guerre civile mais une guerre contre les civils».

En Algérie, pays qui lutte contre le terrorisme islamiste depuis plus de 30 ans, la question de la mémoire des victimes a été pourtant occultée totalement par les autorités.

Une situation qui a provoqué une forme «d’amnésie collective» contre laquelle lutte quotidiennement Ajouad à travers son groupe Facebook. L’association y publie tous les jours les noms et les photos de citoyens, de militaires et de policiers qui ont été assassinés par les groupes terroristes. Des ressortissants étrangers figurent également parmi les victimes.

Pour Nazim Mekbel, l’occultation de cette mémoire par les autorités répond à une volonté «d’obtenir la paix sociale».

«Il fallait faire cesser la folie meurtrière mais aux dépens de qui? On aurait aimé que les actions de pardon se fassent comme au Maroc ou en Afrique du Sud. Mais ce n’est pas le cas». Pour lui, «le vécu de la société civile a été ignoré». Nazim Mekbel reconnaît que la situation est très complexe et qu’elle ne concerne pas uniquement l’État mais l’ensemble de la société algérienne.

«Il y a d’autres raisons plus complexes, comme par exemple les disparus. Depuis près de 20 ans, on parle des disparus enlevés par les services de sécurité, c’est un fait connu et reconnu. Cependant, personne ne mentionne toutes ces personnes enlevées par les groupes terroristes, notamment les femmes qui ont vécu l’innommable. Ce n’est pas l’État qui ne veut pas en parler, mais une certaine société qui a encore mal de ce passé, qui le vit comme une honte et qui préfère dire: «li fet met» (le passé est mort). Sans compter que, dans beaucoup de familles, vous aviez souvent un membre dans chaque camp», souligne le président de l’association Ajouad.

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Cette année, le 22 mars est célébré dans un contexte très particulier marqué par la présence des islamistes dans le champ politique du Hirak, le mouvement citoyen, né en février 2019 en contestation du système politique. Regroupés essentiellement au sein de Rachad, une organisation non-agréée en Algérie, créée en 2007 par d’anciens responsables et militants du Front islamique du salut (FIS), parti politique islamiste dissout en mars 1992 et dont de nombreux militants ont ensuite rejoint les groupes terroristes.

À la tête de Rachad, on retrouve Mourad Dhina, membre de la direction du FIS et diplômé du Massachussetts Institute of Technology (MIT) qui vit en Suisse depuis 1997 avec le statut de réfugié politique. Dhina est également directeur de l’ONG Al Karama, une association «de défense des droits de l’homme» dont le siège est à Genève, considérée comme une officine de l’organisation internationale des Frères musulmans*. Co-fondateur d’Al Karama, le Qatari Abdul Rahman Omeir al-Naimi intéresse depuis quelques années les services de renseignements suisses pour ses activités en lien avec le financement d’organisations terroristes. Il est notamment soupçonné par le Trésor américain d’avoir versé des fonds au Front al-Nosra*, la branche syrienne d’Al-Qaïda*.

Révisionnisme islamiste

Plutôt discrets au début du Hirak, les islamistes de Rachad tentent de prendre la direction depuis la reprise des manifestations en février dernier. Appuyée par la télévision Aures TV, son bras médiatique, et par les vidéos quotidiennes de Larbi Zitout, exilé à Londres et recherché par la justice algérienne, Rachad tente d’imposer les mots d’ordres et les slogans des marches du vendredi. Depuis quelques semaines est apparu le slogan «moukhabarat irhabia» (services de renseignements terroristes) à travers lequel l’organisation de Mourad Dhina accuse l’armée d’être l’auteur des crimes et attentats commis en Algérie depuis une trentaine d’années. Nazim Mekbel explique que cette stratégie révisionniste «n’a rien d’étonnant».

«Les dirigeants du FIS ont rejeté, depuis le début, la faute sur les services de sécurité. Abassi Madani [président du FIS, ndlr] disait que les milices de jeunes islamistes qui terrorisaient les étudiantes étaient des communistes déguisés qui voulaient discréditer leur cause. Abdelkader Hachani, [un des membres fondateurs du FIS, ndlr], disait que l’attaque du poste frontalier de Guemar [le 28 novembre 1991, ndlr] était un règlement de compte entre militaires. Le premier à dire que les actes terroristes sont le fait des services a été Anouar Haddam [exilé aux États-Unis, ndlr] en 1994. Mais le comble est la reprise de la déclaration de Redha Malek [ancien chef du gouvernement, ndlr] qui lors des obsèques du dramaturge Abdelkader Alloula le 16 mars 1994 avait dit "la peur doit changer de camp" pour valider cette version. Or, que voulait dire cette phrase prononcée lors de l’enterrement d’un homme de théâtre si ce n’est que le citoyen sans défense ne devait plus craindre pour sa vie mais que c’était aux terroristes d’avoir peur!», rappelle Nazim Mekbel.

Catégorique, Nazim Mekbel considère que remettre en cause la phrase prononcée par Redha Malek «c’est être du côté des assassins!». Pourtant, certains n’hésitent pas à apporter leur soutien publiquement à Rachad. C’est le cas de la direction du Mouvement démocratique et social (MDS, parti de gauche) qui a accueilli dans son siège des représentants de cette organisation islamiste ou encore du journaliste El kadi Ihsane, directeur de Radio M qui a signé mardi un texte dans son blog intitulé «Pourquoi la place de Rachad doit être protégée dans le Hirak». Le jour même, un jeune militant était agressé à Béjaïa (250 kilomètres à l’est d’Alger) pour avoir crié «Rachad irhabia» (Rachad terroriste) lors d’une marche. De quoi embarrasser, sans doute, ceux qui réfutent que la violence soit un mode d'action inscrit dans l'ADN de ces islamistes.

Un internaute exprime son soutien avec le militant agressé

*Organisation terroriste interdite en Russie

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