Le refus de l’agrément à des partis aura des «conséquences graves sur la situation politique» algérienne

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«Au vu des dispositions de la Constitution, le ministère de l’Intérieur n’a aucun droit de refuser l’agrément à des partis politiques», affirme le docteur Messaoud Dilmi à Sputnik, mettant en garde contre le risque d’une abstention record et d’un discrédit des prochaines législatives dont les conséquences seront «graves».

Jeudi 11 mars, le Président algérien Abdelmadjid Tebboune a signé un décret convoquant le corps électoral aux élections législatives anticipées du 12 juin. Depuis cette annonce via un communiqué de la présidence de la République, la scène politique algérienne connaît une effervescence avec la reprise des marches populaires hebdomadaires du Hirak en toile de fond, mouvement populaire du 22 février 2019 qui a mis fin à 20 ans de pouvoir de l’ex-Président déchu Abdelaziz Bouteflika.

En effet, des partis politiques qualifiés de «pro-pouvoir» par la rue - dont le FLN, le RND, le MSP et El Bina - ont annoncé leur participation à ces élections. A contrario, des partis «d’opposition», tels que le PT et le RCD, ont annoncé le boycott du rendez-vous électoral. D’autres partis, comme le FFS, Jil Jadid, le MDS ou l’UCP ne se sont pas encore prononcés.

Alors qu’un sérieux risque d’une abstention record plane sur ces élections à l’instar de ce qui s’est passé lors du référendum sur la nouvelle Constitution en décembre 2020 - 23,14% de participation -, le ministère de l’Intérieur vient de surprendre l’opinion publique en refusant d’autoriser la création de plusieurs nouveaux partis politiques de dimension nationale, qui auraient pu participer activement à mobiliser la population à aller aux bureaux de vote.

Dans un entretien accordé à Sputnik, le docteur Messaoud Dilmi, spécialiste en sociologie politique, estime que «la décision du ministère de l’Intérieur, si elle n’est reconsidérée, va contribuer à discréditer ces élections auprès des opinions nationale et internationale, et ce pour plusieurs raisons».

Une décision contraire «aux dispositions de la Constitution»

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«Il faut avoir à l’esprit le contexte dans lequel interviennent ces élections», affirme le docteur Dilmi, rappelant que «le Président Tebboune qui a été élu en décembre 2019, porté par la dynamique du Hirak, avait promis de créer une "nouvelle Algérie" avec de nouveaux visages n’ayant pas participé à l’ancien système de l’ex-Président déchu Abdelaziz Bouteflika qui a mis le pays à genou».

Ainsi, pour arriver à cet objectif, le chef de l’État a proposé et fait adopté par référendum une nouvelle Constitution qui, selon M.Dilmi, «consacre d’une manière on ne peut plus claire la liberté d’expression, de fonder des partis et de participer à la vie politique et publique nationale».

En effet, les articles 35, 52 et 57, pour ne citer que ceux-là, disposent que: «Les droits fondamentaux et les libertés sont garantis par l’État. Les institutions de la République ont pour finalité d'assurer l'égalité en droits et en devoirs de tous les citoyens et citoyennes en supprimant les obstacles qui entravent l'épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous à la vie politique, économique, sociale et culturelle». «La liberté d’expression est garantie. Les libertés de réunion et de manifestations pacifiques sont garanties, elles s’exercent sur simple déclaration». «Le droit de créer des partis politiques est reconnu et garanti. L’État assure un traitement équitable à l’égard de tous les partis politiques. L’administration doit s’abstenir de toute pratique de nature à entraver ce droit. Une loi organique détermine les modalités de création des partis politiques et ne doit pas comporter de dispositions de nature à remettre en cause la liberté de leur création».

Ainsi, le docteur Messaoud Dilmi explique qu’«au vu des dispositions de la Constitution, le ministère de l’Intérieur n’a aucun droit de refuser l’agrément à des partis politiques et sa décision se tient en porte-à-faux avec l’esprit même du texte fondamental censé jeter les bases d’une nouvelle République». «Si elle n’est revue, cette décision jettera l’anathème sur ces élections avec toutes les conséquences graves sur la situation politique, économique et sociale du pays», ajoute-t-il.

«Une erreur stratégique»?

En prévision de ces élections, notamment après avoir convoqué le corps électoral, le Président Tebboune a entamé une série de consultations avec les partis politiques et certains représentants de la société civile, décriés par la rue algérienne qui les pointe comme étant «un ramassis d’opportunistes ayant largement pris part à l’ancien pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika».

Par ailleurs, le conseiller du Président chargé du mouvement associatif et de la communauté nationale à l'étranger, Nazih Berramdane, a annoncé la création du rassemblement de la société civile Nida El Watan - usurpé du nom d’un parti crée en 2015 par l’ex-ministre du Trésor Ali Benouari et qui est toujours en attente d’agrément - pour encourager les acteurs du monde associatif à participer aux élections dans le cadre de listes indépendantes.

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À ce propos, en tant qu’observateur de la scène politique algérienne, le docteur Dilmi estime que «la société civile a tout à fait le droit de participer aux élections et d’être représentée dans la prochaine assemblée».

«Néanmoins, en faire d’elle un choix stratégique pour qu’elle soit majoritaire dans cette institution sensible, en écartant les partis politiques dotés de programmes clairs et capables de faire de l’opposition au pouvoir, est une erreur stratégique monumentale», avertit-il, soulignant que «la vie démocratique, dans tous les pays du monde, s’organise autour de partis tenus de rendre des comptes devant leurs électeurs, à l’instar de ce qui se passe en Tunisie, par exemple, en dépit de tous les problèmes politiques que connaît ce pays».

«Le pouvoir, à sa tête le Président Tebboune, a tout à gagner en ayant une opposition forte, responsable, propre, crédible et positive, car elle sera d’un apport crucial pour résoudre les problèmes majeurs et urgents auxquels fait face le pays, tout en s’assurant un important soutien populaire».

Un gouvernement faible «ne réglera rien»

Frappée de plein fouet par la crise économique et financière depuis la chute des prix du pétrole en 2014, l’Algérie fait face à la même situation que celle des années 1990 et ce après avoir dépensé 1.000 milliards de dollars pendant les 20 ans de pouvoir de l’ex-Président déchu Abdelaziz Bouteflika dont plus de 700 milliards de dollars ont financé les importations des biens et services.

Dans ce contexte aggravé par la crise du Covid-19, alors que les réserves de change du pays sont passées de près de 200 milliards de dollars en 2014 à environ 44 milliards de dollars à fin 2020, le docteur Messaoud Dilmi alerte que «si le gouvernement qui sera issu des prochaines législatives n’a pas le soutien du peuple, ou voire accablé par un manque de légitimité en raison de l’injustice que subissent des partis ou d’un taux élevé d’abstention, il ne réglera strictement rien».

En effet, selon lui, «étant donné que l’économie du pays est dépendante des hydrocarbures et que nos réserves de change fondent rapidement, l’Algérie aura besoin plus que jamais des investissements étrangers pour: rétablir nos réserves en pétrole et en gaz gravement altérées par l’ancien pouvoir, lancer l’industrialisation du pays dans le cadre de partenariats gagnant-gagnant avec transfert du savoir-faire scientifique et technologique et trouver des débouchés à l’exportation de la production nationale, notamment dans le domaine agricole».

«Or, en cas de manque de visibilité et de stabilité politique, sociale et juridique, aucun investisseur étranger, notamment dans les hydrocarbures, ne prendra le risque de mettre son argent en Algérie, dans un contexte où le climat des affaires ne s’y apprête pas du tout et ce quelles que soient les lois qui seront adoptées à cet effet», conclut-il.

En plus de Nida El Watan d’Ali Benouari, l’Alliance nationale pour le changement (ANC), dirigée par le colonel à la retraite Abdelhamid Larbi Chérif et présente dans 48 wilayas (régions) du pays, n’a également pas reçu d’agrément.

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