Terrorisme: que se passe-t-il vraiment au Mozambique?

© AP PhotoDes réfugiés trouvent abri dans un centre à Afungi, au Mozambique, après avoir fui les attaques à Palma dans le nord du pays, le 2 avril 2021
Des réfugiés trouvent abri dans un centre à Afungi, au Mozambique, après avoir fui les attaques à Palma dans le nord du pays, le 2 avril 2021 - Sputnik Afrique, 1920, 09.04.2021
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Les dirigeants d’Afrique australe se sont réunis au Mozambique, jeudi 8 avril 2021, pour discuter de la réponse à donner à la violence des groupes extrémistes dans la province de Cabo Delgado, où des dizaines de personnes ont été tuées ces derniers jours. Le chercheur Patrick Mbeko fait le point sur les enjeux relatifs à cette crise pour Sputnik.

Quelle réponse à donner face aux assauts répétés des groupes intégristes dans la région septentrionale de Cabo Delgado au Mozambique? C'était principalement l'objet de la réunion, à Maputo jeudi 8 avril, de cinq dirigeants de la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA).

Il s'agissait du Président du Mozambique Filipe Nyusi, du Président du Botswana Mokgweetsi Masisi, du Président du Malawi Lazarus McCarthy Chakwera, du Président de l’Afrique du Sud Cyril Ramaphosa et du Président du Zimbabwe Emmerson Mnangagwa.

Parmi les participants au sommet figurait aussi Hussein Ali Mwinyi. Le président du gouvernement révolutionnaire de Zanzibar, représentait la présidente de la Tanzanie, Samia Suluhu Hassan.

Dans un communiqué publié suite à cette rencontre, les chefs d’État «ont noté avec inquiétude les actes de terrorisme perpétrés contre des civils innocents, des femmes et des enfants» à Cabo Delgado et ont réaffirmé leur détermination à ne pas laisser de tels actes se poursuivre. Une équipe d’experts techniques sera envoyée dans le nord du Mozambique pour évaluer la situation et recommander les mesures à prendre d’ici le 29 avril, date à laquelle une autre réunion des chefs d’État est prévue. L’objectif de la CDAA: lutter efficacement contre les groupes intégristes qui pullulent au nord du Mozambique afin d’empêcher une contagion sur le plan régional.

Fin mars, des militants islamistes soupçonnés d’être affiliés au groupe terroriste État islamique* ont attaqué la ville côtière de Palma, située dans la province de Cabo Delgado, faisant des dizaines de morts et de blessés parmi les civils et les forces de sécurité. Environ 11.000 personnes ont été déplacées à la suite de cette attaque qui a duré près d’une semaine en raison de l’emprise exercée sur la ville par les militants islamistes.

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Si les forces gouvernementales mozambicaines affirment avoir totalement repris le contrôle de la ville de Palma après avoir infligé d’importantes pertes aux djihadistes, il reste à se demander si la réponse régionale qui se prépare dans les laboratoires de la CDAA permettra de venir à bout du problème terroriste dans le pays.

Un mouvement islamiste aux contours flous

La province de Cabo Delgado connaît depuis longtemps une certaine instabilité, mais l’insurrection impliquant des militants islamistes a véritablement commencé en octobre 2017, lorsque les terroristes ont pris d’assaut la ville de Mocimboa da Praia pendant 48 heures et volé de l’armement, avant de disparaître dans la brousse à l’arrivée des renforts des forces de sécurité. Depuis lors, l’insurrection s’est transformée en une guérilla typique. Au début, les assaillants visaient les petits villages à la tombée de la nuit. Puis, ils ont commencé à mener des assauts pendant la journée. À partir de 2019, ils se sont mis à cibler les petites villes, les avant-postes de l’armée et les grands tançons routiers. Dans la même année, ils ont prêté allégeance au groupe État islamique*. L’année 2020 a marqué un basculement dans la stratégie des militants islamistes qui se sont mis à attaquer les capitales de district, tout en diffusant des vidéos articulant un programme djihadiste clair.

Qui sont ces islamistes et d’où viennent-ils?

Ce sont des jeunes musulmans de la région nord du Mozambique qui ont construit leurs propres mosquées et se sont distancés des institutions de l’État et de la société en général pour construire une contre-société gouvernée par les principes de la charia. Ils n’ont rien à voir avec la majorité musulmane soufie de Cabo Delgado ni le Conseil islamique wahhabite du Mozambique (CISLAMO), qui s’est opposé à eux dès le début. Selon certaines recherches, ils ont été radicalisés sous l’influence de prédicateurs du Kenya et de Tanzanie. Les habitants de la région appellent ce groupe «Al Shabab» (qui signifie «les jeunes»), bien que rien ne permette de penser que celui-ci soit lié au groupe terroriste somalien éponyme, affilié quant à lui à Al-Qaïda*. Il peut s’agir d’un sous-groupe radicalisé d’Ansar al-Sunna (les Partisans de la tradition), ou d’un groupe entièrement différent, mais en l’absence de communications officielles du mouvement islamiste, il est difficile de discerner son affiliation précise. Néanmoins, la préoccupation du groupe pour la pratique religieuse est claire.

Un gouvernement dépassé

Bien que tenant un discours agressif, la secte des Shabab l’était moins dans la pratique à ses débuts, aux alentours de l'année 2014, quand la présence d'un premier noyau a été relevée. À partir de 2017, elle a basculé dans une violence qui a pris des proportions de plus en plus inquiétantes au fil des années. Si les raisons de ce passage à la violence massive restent floues, il n’en demeure pas moins qu’elles trouvent une partie de son explication dans l’opposition et la répression accrue dont la secte a été l’objet tant de la part des autorités mozambicaines que des organisations musulmanes dominantes du pays.

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D’octobre 2017, année de la première attaque violente, à octobre 2018, la secte islamiste a attaqué diverses localités du nord du Mozambique. Au moins 37 événements violents ont eu lieu pendant cette période dans 20 endroits différents de la province de Cabo Delgado. La plupart étaient des attaques contre des civils, mais il y a eu aussi des affrontements violents avec les forces de sécurité. Le cycle de violence s’est poursuivi en 2019 et 2020 avec de plus en plus d’intensité. Selon l’Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED), qui surveille la violence politique dans le monde, plus de 570 incidents violents ont eu lieu dans la province entre janvier et décembre 2020.

Les groupes de défense des droits de l’homme ont fait état de destructions importantes dans tout le nord du Mozambique par les militants islamistes. Ces derniers n’hésitent pas à se livrer à une forme de théâtralisation de leurs abominations en les filmant. L’événement le plus horrible a été la décapitation de 50 personnes sur un terrain de sport au cours d’un week-end. Le bilan de la dernière attaque visant la ville stratégique de Palma le 24 mars dernier n’est pas encore connu, mais la capacité du groupe djihadiste de s’emparer de la ville et de la tenir pendant plusieurs jours témoigne de sa détermination et de sa force de frappe.

Dépassé par les événements, le gouvernement mozambicain est incapable d’enrayer la spirale de la violence. Les forces de sécurité sont constamment sur la défensive face à des militants islamistes lourdement armés. Le conflit a déjà causé la mort d’au moins 2.600 personnes et poussé 670.000 autres à l’exode. Reconnaissant qu’il avait un sérieux problème, Maputo a fait appel à la société militaire privée russe Wagner. Près de 200 «conseillers» militaires de la firme ont débarqué dans le pays depuis 2019. Bien qu’ils aient apporté avec eux des drones et des analyses de données, ils semblent eux aussi dépassés par la réalité de l’écosystème troublé du Mozambique...

La tentation des solutions trop faciles

C’est peut-être la raison pour laquelle les pays de la CDAA ont décidé de se saisir du problème. Après avoir souvent ignoré la main tendue de ses voisins, plus particulièrement de l’Afrique du Sud, le Mozambique n’a d’autre choix que d’accepter l’aide de l’organisation régionale. Cette dernière arrivera-t-elle pour autant à relever le défi afin d’épargner à l’Afrique australe la contagion islamiste?

Une chose est certaine: il faudra éviter de succomber à la tentation de solutions trop faciles se résumant uniquement à l’option militaire. D’autant moins que cette option n’a pas permis d’enrayer le problème. Du moins jusqu’à présent. Mieux, c’est le contraire qui semble s’être produit puisque la répression du pouvoir central n’a fait que radicaliser davantage le mouvement islamiste.

De plus, si l’islam est un facteur clé, sinon le facteur central, de l’insurrection islamiste, il n’en demeure pas moins vrai que la pauvreté, la marginalisation et le manque de perspectives chez les jeunes musulmans de la région ont contribué à leur radicalisation, la religion ne servant que de «point de ralliement» ou de couverture. Cabo Delgado est l’une des provinces les plus pauvres du Mozambique et l’une des régions où les méga-découvertes de gaz ont créé des attentes non satisfaites. Le fait que les islamistes aient lancé leur dernière attaque sur Palma le jour même où la multinationale française Total a annoncé la reprise de la construction de son mégaprojet gazier censé être opérationnel en 2024 n’est pas un hasard de l’Histoire.

Il est donc essentiel de comprendre le contexte dans lequel la menace a émergé pour élaborer une réponse appropriée. Les dirigeants de la CDAA devront faire preuve de clairvoyance dans la manière dont ils vont aborder ce dossier. Le fait que les intégristes mozambicains aient fait allégeance à l’État islamique*, et que ce dernier ait revendiqué un certain nombre d’attaques dans le pays, ne devrait pas amener les pays de la CDAA à privilégier nécessairement et uniquement l’option militaire. D’abord parce que rien ne prouve hors de tout doute que l’État islamique* est lié aux attaques dont il se réclame. Aussi parce que le groupe islamiste mozambicain est resté silencieux, ne donnant pas les raisons de ses attaques, de son haut degré de brutalité ou de ses objectifs généraux.

Le flou est si total qu’il conduit non seulement à une variété de questions sur le groupe, sa taille et son organisation, mais il ouvre aussi la voie à toutes sortes d’interprétations, à de la désinformation, mais aussi et surtout à de la récupération. On sait par exemple que le groupe État islamique* fait souvent de la récupération en s’attribuant des attaques dont il ne serait pas toujours l’auteur et qu’aucune autre faction n’aurait revendiquées. On sait aussi que certaines grandes puissances profitent de la présence présumée du groupe djihadiste dans certaines régions stratégiques du globe pour s’y inviter et positionner leurs dispositifs militaires. La province de Cabo Delgado en est une.

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Le 10 mars, le gouvernement américain a désigné l'organisation «Al Shabab» au Mozambique comme une «organisation terroriste étrangère» affiliée de l’État islamique*. Il a déployé dans le pays des instructeurs des forces spéciales avec pour mission officielle de soutenir les forces anti-terroristes mozambicaines. Le Portugal, ancienne puissance coloniale, a également promis d’envoyer des instructeurs pour épauler l’armée mozambicaine.

Quoi qu’il en soit, il appartient au gouvernement mozambicain et à ses alliés de la CDAA de privilégier une approche multidimensionnelle qui alterne le bâton et la carotte. Une approche qui prend en compte aussi bien la menace djihadiste que les problèmes sociaux auxquels sont confrontés des jeunes gens pour qui l’islamisme est la seule solution aux maux de la société mozambicaine. Après tout, l’insurrection, en dépit de l'angle de tir alarmiste des médias mainstream qui n'y voient qu'une nouvelle manifestation de l'internationale terroriste, reste une crise interne née d’un ensemble de griefs qui pèsent depuis longtemps sur la région appauvrie de Cabo Delgado.

*Organisation terroriste interdite en Russie

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