La Chine peut-elle jouer un rôle dans la résolution du conflit au Sahara occidental ?

© Sputnik . Igor Mikhalev / Accéder à la base multimédiaDes chameaux
Des chameaux - Sputnik Afrique, 1920, 23.04.2021
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Dans des entretiens à Sputnik, un ex-ministre et un ex-colonel algériens estiment que la Chine ne peut pas aider à résoudre le conflit au Sahara occidental et à rapprocher l’Algérie et le Maroc. En cause: des raisons directement liées à l’empire du Milieu et à la nature des relations algéro-marocaines.

Le conflit au Sahara occidental dure depuis 1975. Le Front Polisario soutenu par l’Algérie se bat pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination conformément aux résolutions du Conseil de sécurité de l’Onu qui a validé à cet effet la création de la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (Minurso). De son côté, le royaume chérifien revendique sa souveraineté sur le territoire du Sahara occidental depuis 1975 suite à la marche verte lancée par feu le roi Hassan II. Par ailleurs, il propose comme solution un plan d’autonomie, sous sa souveraineté, de ce territoire soutenu par certains pays comme la France.

Suite à l’intervention le 13 novembre des Forces armées royales (FAR) marocaines pour prendre le contrôle du passage frontalier de Guerguerat, le Président de la République arabe sahraouie démocratique Ibrahim Ghali a signé un décret mettant fin à l’engagement de la RASD à respecter l’accord de cessez-le-feu avec le Maroc signé en 1991. Une situation qui risque de provoquer l’embrasement général de cette région extrêmement sensible pour la stabilité et la sécurité de l’Afrique du Nord et du Sahel.

Dans ce contexte, la Chine – qui renforce de plus en plus ses positions économiques et stratégiques en Algérie et au Maroc, notamment via son projet de la Route de la soie – peut-elle jouer un rôle pour rapprocher ces deux pays dans le but de trouver une solution viable et acceptable pour toutes les parties dans le conflit au Sahara occidental?

Dans deux entretiens à Sputnik, l’ex-ministre algérien de l’Industrie puis du Commerce, Nour-Eddine Boukrouh, également analyste politique et auteur, et l’ex-colonel des services de renseignement algériens, Abdelhamid Larbi Chérif, affirment que «Pékin ne peut pas jouer ce rôle» et ce pour plusieurs raisons.

«La Chine n’a pas d’état d’âme»

«La célèbre prophétie attribuée à Napoléon 1er, qui a dit selon certains historiens en 1816 à Sainte-Hélène: "Laissez donc la Chine dormir, car lorsque la Chine s'éveillera, le monde entier tremblera", est en train de se réaliser sous nos yeux», rappelle M.Boukrouh, soulignant que «la Chine s’est réveillée, nous y sommes!».

«La Chine a pris sa place dans le monde moderne. C’est une ancienne civilisation qui a contribué à la marche de l’humanité à travers l’histoire et qui a réalisé beaucoup de choses en termes de civilisation, de culture et de découvertes», poursuit-il, soutenant qu’«aujourd’hui, elle se dispute la place de première superpuissance mondiale aux États-Unis».

Dans le même sens, l’ex-ministre rappelle qu’en Afrique du Nord, deux pays ont un potentiel important concernant les richesses naturelles et démographiques: l’Algérie et le Maroc. «Tout comme en Asie, la Chine qui s’étend en Afrique même militairement, à l’instar de sa base à Djibouti, a vendu ces dernières années beaucoup d’armements de même type au Maroc et à l’Algérie simultanément».

Nour-Eddine Boukrouh ajoute que «la Chine n’a pas d’état d’âme, elle ne s’embarrasse pas des questions des droits de l’homme ou du droit des peuples à l’autodétermination».

«Elle fait la politique de ses intérêts et elle ne cherche pas à défendre les idéaux universels, qui n’intègrent pas sa vision du monde et qu’elle considère par ailleurs comme attentatoires à sa culture et à sa façon de concevoir la politique et les relations internationales», estime-t-il, ponctuant qu’«elle est dans une démarche servant sa position d’empire du Milieu».

L’exemple de sa diplomatie au Proche-Orient

Pour étayer son propos, M.Boukrouh cite la démarche diplomatique de la Chine dans le conflit israélo-palestinien. «Dans le cadre de sa rivalité avec les États-Unis, alors que ces derniers sortent de la région du Moyen-Orient, la Chine a débarqué avec tout son poids et a proposé de recevoir Israël et l’Autorité palestinienne pour des pourparlers de paix».

«En tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, la Chine n’a jamais voté contre Israël. Au contraire, elle a toujours eu de bonnes relations avec, lui vend des armes comme elle en vend à son pire ennemi, l’Iran», constate-t-il.

«Elle fera exactement la même chose au Maghreb concernant la question du conflit au Sahara occidental». Selon lui, «les Chinois considèrent ce conflit comme une question totalement secondaire».

Enfin, Nour-Eddine Boukrouh affirme que les «Chinois s’installeront au Maroc et en Algérie, voire au Sahara occidental, si le Front Polisario les y invite dans le cadre d’une stratégie de conquête de nouveaux espaces économiques et stratégiques vitaux, sans que la question de la résolution du conflit sahraoui n’apparaisse sur son agenda».

«Dans le contexte de la sévère crise économique et sociale qui frappe le monde, aggravée par l’impact de la pandémie de Covid-19, l’Algérie et le Maroc ont besoin de la Chine qui est prête à leur prêter de l’argent et à investir dans beaucoup de projets structurants […]. C’est sa façon de voir les choses qui s’imposera à ces pays», conclut-il.

«L’héritage historique commun entre l’Algérie et le Maroc»

Pour sa part, Abdelhamid Larbi Chérif souligne qu’au-delà du conflit au Sahara occidental, qui constitue l’un des problèmes les plus épineux qui «empoisonne les relations entre les deux voisins, l’héritage historique commun entre l’Algérie et le Maroc est également chargé d’événements qui rendent le chemin d’un rapprochement semé d’embuches».

En effet, «alors que le soutien de feu le roi Mohamed V à la guerre de libération algérienne, notamment en recevant à Oujda l’une des deux composantes de l’Armée de libération nationale (ALN) stationnées aux frontières, pouvait être une base importante pour la construction de relations solides entre les deux pays, l’invasion marocaine du territoire algérien en 1963, soit une année après l’indépendance, pour s’emparer des régions de Tindouf et Béchar, a sabordé ce possible élan».

Il rappelle d’ailleurs qu’«un second conflit frontalier de basse intensité a eu lieu entre les deux pays en 1975, ajoutant son fardeau au premier».

Ainsi, depuis 1975, les deux pays n’ont cessé de s’opposer sur les plans politique, économique et financier, jusqu’au sommet maghrébin qui s’est tenu en juin 1988 à Zéralda, en Algérie, suivi de celui de Marrakech en février 1989, qui ont lancé le projet de l’Union du Maghreb arabe (UMA). La situation s’était détendue jusqu’en 1994, année de la fermeture des frontières entre les deux pays décidée par les autorités algériennes en réponse à l’instauration du visa par le Maroc aux voyageurs algériens suite aux attentats terroristes ayant frappé la ville de Casablanca.

«Un sérieux problème de sécurité nationale»

«Outre le problème du trafic de cannabis en provenance du Maroc, dont actuellement la concentration de la substance active n’a rien à envier aux drogues dures comme la cocaïne et l’héroïne, Rabat n’a pas encore mis de côté ses ambitions expansionnistes, comme nous pouvons le lire dans la Constitution marocaine», déclare M.Larbi Chérif.

En effet, l’article 42 de la Constitution marocaine stipule que le roi est «le garant de l'indépendance du royaume et de son intégrité territoriale dans ses frontières authentiques».

«Comment peut-on interpréter l’affirmation de "frontières authentiques" si ce n’est par le fait que le Maroc, à l’instar d’Israël, ne reconnaît pas ses frontières. Ainsi, jusqu’où iront ces frontières naturelles? Cela pose un sérieux problème de sécurité nationale à tous les pays limitrophes du royaume», ajoute l’ex-officier supérieur.

«Le conflit au Sahara occidental est une question de décolonisation inscrite à l’Onu, elle doit être résolue dans ce cadre afin de pouvoir une bonne fois pour toutes apaiser cette région qui est cruellement pénalisé par ce problème», explique-t-il. «L’UMA pourrait devenir un espace ayant les capacités de peser face à l’Europe au sein du bassin méditerranéen, une fois que ce conflit serait réglé à jamais».

Suite à la signature de l’accord de paix entre le Maroc et Israël en décembre 2020, le chef du gouvernement marocain Saad Dine El Otmani a assuré lors d’un entretien que son pays ne sera en aucun cas une source de menace à ses voisins.

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