Comment les mines de RDC sont devenues le théâtre des rivalités sino-américaines

© AP Photo / Ludovic Marin / PoolFélix Tshisekedi
Félix Tshisekedi - Sputnik Afrique, 1920, 27.07.2021
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Le gouvernement de Félix Tshisekedi s’est engagé à revoir les contrats miniers conclus avec la Chine sous la présidence de Joseph Kabila. Derrière cette volonté de corriger ce qui a été dénoncé par les ONG se profile une rivalité sino-américaine qui ne dit pas son nom. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.

La couleur avait été annoncée depuis le mois de mai dernier. Lors d’une visite dans la riche région minière du Katanga, dans le sud-est de la République démocratique du Congo (RDC), le Président Félix Tshisekedi a promis d’assainir le secteur minier congolais en révisant les contrats miniers jugés problématiques. Le chef d’État a promis de le faire au nom des Congolais qui «croupissent encore dans la misère».

«Il n’est pas normal que ceux avec qui le pays a signé des contrats d’exploitation s’enrichissent alors que notre peuple reste pauvre», avait-il déclaré. Et d’ajouter: «J’en ai vraiment assez ! [...] Je suis très sévère avec ces investisseurs qui viennent pour s’enrichir seuls. Ils viennent les poches vides et repartent milliardaires».

Dans le viseur du Président, les contrats conclus avec la Chine par le gouvernement de l’ancien Président Joseph Kabila. Pour Félix Tshisekedi, il est donc temps que la RDC réajuste les contrats conclus autrefois avec les firmes étrangères pour sceller des partenariats «gagnant-gagnant». Une sorte de «processus de rectification des fameux contrats chinois», insiste le ministre des Finances de RDC, Nicolas Kazadi en intervenant sur les ondes de Radio France Internationale (RFI) dans un programme consacré au programme triennal avec le Fonds monétaire international (FMI), le 23 juillet 2021.

«Le contrat du siècle»

Pourtant, au moment de sa conclusion, en septembre 2007, on n'hésitait pas à parler du «contrat du siècle» en raison de son importance. D’une valeur initiale de 9 milliards de dollars apportés par la China EXIM Bank, l’accord conclu entre la RDC et la Chine conférait aux partenaires chinois des droits miniers sur le cobalt et le cuivre de la région du Katanga, la plus riche du pays, au point qu'elle contribue à hauteur de plus 50% au budget du pays. En échange, Pékin, via un consortium des sociétés chinoises (Sinohydro et China Railway Engineering Corporation), devait réaliser des travaux d’infrastructures —des milliers de kilomètres de routes et de chemins de fer, des infrastructures de voiries, une trentaine d’hôpitaux de 150 lits et 145 centres de santé— pour une valeur estimée à près de 6 milliards de dollars. Les 3 milliards de dollars restants devaient être investis dans des opérations minières au Katanga.

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Au sein de la Sicomines (Sino-congolaise des mines, entreprise créée conjointement par un consortium d’entreprises chinoises et la Gécamines, société commerciale de droit privé détenue par l’État congolais) chargée d’administrer les projets d’investissement, les entreprises chinoises détiennent 68 % des actions, les 32 % restants étant propriété de Gécamines.

Ce méga-contrat, renfermant plusieurs accords (si bien qu'on parle plutôt de contrats chinois, au pluriel) est le plus ambitieux des accords «minerais contre infrastructures» conclus par la Chine en Afrique. Outre la création de nouvelles infrastructures, l’accord avec Sicomines devait donner un coup de fouet à la croissance économique de la RDC. Les volumes de production minérale convenus devaient contribuer à l’augmentation des exportations, des recettes fiscales et des entrées en dollars américains. Mais plus d'une décennie après sa mise en œuvre, autant dire que l’accord peine à répondre aux attentes...

La colère de l’Occident

À l'époque, la signature de cet accord commercial d’un genre particulier n'avait pas reçu partout un accueil euphorique. Dans un premier temps, le FMI avait tenté de le court-circuiter au prétexte que la RDC ne pouvait pas conclure un nouvel arrangement avec un créancier alors qu’elle devait déjà à des créanciers occidentaux près de 12 milliards de dollars. Si les arguments du FMI et d'acteurs occidentaux n’étaient pas dénués de tout fondement, il n’en demeure pas moins vrai que leur crainte était aussi motivée par des enjeux géopolitiques relatifs à la signature de l’accord.

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En effet, les Occidentaux avaient accompagné la transition politique en RDC, financé les élections à hauteur de 450 millions d’euros et cautionné la parodie électorale qui avait maintenu Joseph Kabila au pouvoir en 2006 en espérant que ce dernier allait faire la part belle aux multinationales occidentales qui rêvaient de mettre la main sur les riches concessions minières du pays. Il s’agissait pour eux —notamment pour les États-Unis, le Canada et la Belgique— de contrôler les réserves stratégiques de cuivre, de cobalt et d’autres minerais du Katanga tout en en limitant l’accès à la Chine.

En logeant les Chinois à la même enseigne que ses bienfaiteurs occidentaux, Joseph Kabila s’est inscrit en porte-à-faux avec ceux qui l’avaient fait roi. Plusieurs observateurs estiment que cela a contribué au désamour entre Kinshasa et les capitales occidentales. La révision d’un certain nombre de contrats miniers en défaveur des compagnies, le plus souvent occidentales, n’a pas arrangé les choses. «Une fois élu, en 2006, Joseph Kabila a commis une série d’entorses au contrat tacite passé avec les Occidentaux», expliquera une source de la majorité présidentielle, sous le couvert de l’anonymat, à Jeune Afrique...

La revanche par Tshisekedi interposé

Il faudra attendre l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi en janvier 2019 pour que les choses commencent à bouger. Le nouveau Président congolais s’est positionné comme le partenaire par excellence des Occidentaux, notamment des États-Unis. Le chef de l’État congolais consulte régulièrement l’ambassadeur des États-Unis à Kinshasa, Mike Hammer, considéré comme une sorte de Président bis dans le pays. Récemment, il a même surpris l’opinion publique en affirmant s’en remettre au diplomate américain pour s’informer sur les violations des droits de l’homme commises en RDC.

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Tout ceci témoigne de l’influence grandissante des États-Unis en RDC. D’ailleurs, l’Oncle Sam n’est pas étranger au changement de paradigme politique observé ces derniers mois dans le pays. C’est en effet grâce à lui que Félix Tshisekedi a pu se défaire, non sans difficultés, de l’étouffante tutelle de son prédécesseur qui avait gardé la haute main sur les différents leviers du pouvoir. Désormais seul au volant de la RDC, le chef de l’État congolais peut manœuvrer à sa guise sans perdre de vue les desiderata des Américains. Depuis plusieurs mois, ceux-ci usent de toute leur habileté pour l’amener à revoir les contrats chinois...

La réaction de l’Empire du milieu

En fait, ce sont les États-Unis qui ont poussé Félix Tshisekedi à renégocier les contrats miniers conclus avec la Chine par son prédécesseur. Le bras de fer entre Kinshasa et Pékin aura été «largement inspiré et épaulé par les États-Unis» révélait en mai dernier le magazine Africa Intelligence, réputé pour ses révélations sur les réseaux de pouvoir en Afrique. Les Américains s'en cachent à peine, à en juger par la réaction de l'ancien envoyé spécial US pour les Grands Lacs, l'ambassadeur Peter Pham, en partageant ce billet de la revue sur son compte Twitter.

Dans un environnement international concurrentiel où les deux grandes puissances se livrent une guerre commerciale sans merci, tous les coups sont permis. Si l’Empire du milieu s’est montré assez coulant jusqu’à présent, rien n’indique qu’il va observer les États-Unis manœuvrer contre ses intérêts sans bouger. Preuve que l’enjeu revêt une importance capitale aux yeux de Pékin, le Président Xi Jinping s’est entretenu au téléphone avec Félix Tshisekedi à ce propos, il y a quelques semaines. Au mois de juin dernier, c’est le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, qui s’est rendu en RDC pour discuter des relations sino-congolaises, annonçant dans la foulée l’annulation d’une partie de la dette de la RDC de l’ordre de 180 millions de yuans, soit plus de 28 millions de dollars américains.

Parallèlement aux ballets diplomatiques et à ce geste de bonne volonté, on assiste à un activisme de plus en plus offensif de l’ambassadeur de Chine en RDC, Zhu Jing, tant sur le terrain que sur les réseaux sociaux. Abordant sur sa page Twitter la question de la révision des contrats miniers conclus entre son pays et la RDC, le diplomate a prévenu: «La RDC et l’Afrique ne doivent pas être le champ de bataille des puissances». Comme pour dire que la Chine est parfaitement consciente du fait que le vent de changement dans le secteur minier qui souffle à la présidence congolaise vient d’horizons lointains...

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