RDC: Moïse Katumbi redistribue les cartes

© AP Photo / Themba HadebeMoïse Katumbi
Moïse Katumbi  - Sputnik Afrique, 1920, 27.08.2021
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Une récente interview de l’ex-gouverneur du Katanga Moïse Katumbi a suscité de nombreuses réactions en RDC. Membre de la coalition au pouvoir, sa sortie médiatique ne laisse pourtant pas de doute sur ses ambitions à l’approche du scrutin de 2023. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.
À Kinshasa et dans l’arrière-pays, une récente sortie médiatique de Moïse Katumbi, l'ancien gouverneur du Katanga, fait des remous, tant au niveau de la classe politique que de l’opinion publique. Interviewé le 20 août par le magazine Jeune Afrique, Katumbi affirme être fidèle à l’Union sacrée, la coalition au pouvoir que sa famille politique, Ensemble pour la République, a rejoint, il y a quelques mois. Mais ses ambitions personnelles à l’approche de la prochaine échéance électorale ne semblent plus faire mystère. Par-dessus tout, c’est un Moïse Katumbi pragmatique et calculateur qui a livré ses réflexions sur la gestion actuelle de la République, faisant comprendre aux uns et aux autres qu’en politique, rien n’est impossible à celui qui a de grandes ambitions.

De l’exil à l’Union sacrée

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Moïse Katumbi était l’un des gouverneurs, pour ne pas dire le gouverneur le plus puissant de la RDC sous le règne de Joseph Kabila. Il ne s’en est d’ailleurs pas caché lors de son entretien à JA. En rupture avec l’ancien Président et sa famille politique de l’époque (PPRD) en raison des dissensions majeures liées à l’organisation des élections en 2016, il avait pris le chemin de l’exil, à son corps défendant, et avait été écarté de la course à l’élection présidentielle de décembre 2018. Soutien de Martin Fayulu, candidat de la coalition Lamuka, lors de ce scrutin, il n’a jamais coupé les ponts avec son ami et allié, Félix Tshisekedi. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’ancien gouverneur a regagné la RDC au lendemain de l’arrivée au pouvoir de celui-ci.
Si Moïse Katumbi s’est montré particulièrement discret depuis qu’il a posé ses valises dans son fief à Lubumbashi, il n’a pas pour autant renoncé à son ambition de gravir un jour les marches du pouvoir. Cette appétence pour la fonction suprême est l’un des secrets de polichinelle de la République.
Depuis son retour, Katumbi s’est employé à créer les conditions devant lui permettre de mieux se positionner politiquement en prévision de la prochaine bataille présidentielle. Pour cela, il n’a pas hésité à apporter son soutien à Cap pour le changement (CACH) de Félix Tshisekedi alors en conflit ouvert avec le Front commun pour le Congo (FCC) de son partenaire Joseph Kabila, quitte à provoquer des remous au sein de la coalition Lamuka à laquelle il appartient pourtant. Avec les 70 députés d’Ensemble pour la République, il a rejoint «l’Union sacrée» mise en place par Tshisekedi au lendemain de sa rupture avec le FCC.
En procédant ainsi, à la grande colère de Martin Fayulu qui continue de réclamer la «vérité des urnes», Moïse Katumbi a fait d’une pierre deux coups: contribuer à la neutralisation de la mainmise du FCC sur les institutions; positionner Ensemble pour la République dans le jeu politique en intégrant le gouvernement d’union mis en place depuis mars 2021. Dans l’interview accordée à JA, l’ancien gouverneur affirme avoir décliné le poste de Premier ministre qu’on lui avait proposé, laissant la plupart de ses collaborateurs occuper des postes clés au sein du gouvernement du Premier ministre Sama Lukonde.

«Des lignes rouges»

«Nous n’avons pas rejoint la majorité pour applaudir. Il faut avoir le courage de dire tout haut ce qui ne marche pas», a affirmé Katumbi dans son interview. Et les griefs à l'encontre du gouvernement actuel semblent nombreux si l’on en croit l’ancien gouverneur. Mais encore faut-il savoir lire entre les lignes pour saisir la pensée profonde de l’homme, qui n’a pas hésité pas à parler de «justice sélective», de «chasse aux sorcières», de «condamnation inadmissible et injuste» pour décrire certains évènements survenus ces derniers mois en RDC. Qui plus est, il n’a pas non plus hésité à tracer des «lignes rouges», notamment en ce qui concerne le projet de loi Tshiani et la désignation du futur président de la CENI.
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Depuis l’interview accordée à JA, plusieurs personnes au sein de l’Union sacrée se demandent si Moïse Katumbi émet toujours sur la même fréquence que Félix Tshisekedi. Si l’ancien gouverneur ne fait pas mystère de sa proximité avec le chef de l’État congolais, il n’en demeure pas moins qu’il reste ouvert à toutes les éventualités en prévision de la prochaine échéance électorale.
Conscient d’évoluer dans un écosystème où les coups bas sont permanents, Katumbi se refuse en effet à fermer la porte à qui que ce soit. «Je ne peux pas exclure a priori une coalition avec qui que ce soit», a-t-il affirmé. Avec Vital Kamerhe et Jean-Pierre Bemba, les relations semblent être au beau fixe; avec le FCC de Joseph Kabila, tout est possible, puisque l’ancien gouverneur a affirmé qu’il n’y a jamais eu de problème entre lui et l’ancien chef de l’État. «Entre Kabila et moi, il n’y a jamais eu de problème. C’était avec son entourage que cela coinçait», a-t-il tenu à préciser, avant d’ajouter: «Il se passe la même chose au sein de l’Union sacrée».
Les mêmes causes produisant bien souvent les mêmes effets, il ne serait pas surprenant d’assister, d’ici à 2023, à ce genre de retournement de veste spectaculaire dont seuls les politiciens congolais semblent avoir le secret...

Les élections de 2023: «pas une option, mais une obligation»

Pour le moment, il ne faut pas tirer de conclusions hâtives. L’heure n’est pas encore à la rupture entre Ensemble pour la République et le reste de l’Union sacrée. Pour autant, chacun commence déjà à fourbir ses armes et à mettre en place ses stratégies. Si bien que Moïse Katumbi a décidé de recourir depuis quelques mois déjà à des firmes de lobbying américaines pour «magasiner» des soutiens à Washington en prévision de la prochaine présidentielle.
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Dans un climat de tension caractérisé par des dissensions relatives à la réforme de la CENI et au choix de son prochain président, certains, notamment dans le camp présidentiel, laissent planer le risque de report des élections. Une situation qui, si elle devait survenir, pourrait mettre à mal la cohésion déjà fragile de «l’Union sacrée». En 2015, Moïse Katumbi avait claqué la porte de la majorité présidentielle en accusant le pouvoir de Joseph Kabila d’avoir «tout mis en œuvre pour ne pas respecter la Constitution» de la République, en «entretenant retard, flou et illisibilité du cycle électoral et en élaborant une stratégie de glissement des dates des scrutins». L’histoire risque-t-elle de se répéter, cette fois avec Félix Tshisekedi? Interrogé sur sa candidature à la présidentielle de 2023, Katumbi répond que «la décision n’a pas encore été prise, ni dans un sens ni dans un autre».
Il est trop tôt pour le dire. Mais une chose est certaine, le président d’Ensemble pour la République a prévenu que cela constituait «une ligne rouge» à ne pas dépasser. Selon lui, l’organisation des élections «n’est pas une opinion, mais une obligation». Il a exhorté les institutions chargées de les organiser à «se conformer au calendrier électoral plutôt que d’essayer d’adapter la Constitution à je ne sais quel agenda politique».
En outre, l’heure est à une suspicion silencieuse au sein de l’Union sacrée. On se salue, on se tape dans le dos, tout en se regardant du coin de l’œil, histoire de surveiller les faits et gestes du ou des partenaire(s).
Que Moïse Katumbi ait souvent donné l’impression d’avoir un pied au pouvoir et un autre dans l’opposition n’empêche pas de voir dans sa sortie médiatique une stratégie de positionnement qui ne dit pas son nom en prévision de la prochaine échéance électorale qui s’annonce déjà orageuse. Conscient d’appartenir à une coalition décriée pour sa gestion calamiteuse du pouvoir, il préfère se positionner de sorte à ne pas être comptable de tous les griefs qui seront adressés à l’Union sacrée le moment venu. «En tant que membre de l’Union sacrée, nous assumerons notre part de responsabilité, mais seulement celle-ci», a-t-il affirmé dans son interview.
En politique, certains appellent ça être pragmatique, tandis que pour d’autres, c’est avoir du flair. C’est-à-dire être capable de humer l’air du temps afin d’anticiper certaines situations problématiques...
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