"Partition du Mali": quels sont les dessous géostratégiques des accusations de Bamako contre Paris?

Pourquoi le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, a plusieurs fois accusé la France de vouloir diviser le Mali, en séparant notamment le nord du pays? L’ex-colonel des services algériens Abdelhamid Larbi Chérif analyse auprès de Sputnik les enjeux et les dessous géostratégiques des déclarations du chef du gouvernement malien.
Sputnik
Lundi 7 février, devant des diplomates en poste à Bamako, le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, a à nouveau accusé la France d’avoir profité de sa présence militaire depuis 2013 au Mali pour faire avancer son plan de partition du pays.
En 2013, après la libération du nord du pays dans le cadre de l’opération Serval, selon lui, "l'intervention s'est muée dans un deuxième temps en une opération de partition de fait du Mali". L’armée française a permis "la sanctuarisation d'une partie de notre territoire, où les terroristes ont eu le temps de se réfugier, de se réorganiser pour revenir en force à partir de 2014 [l’année de départ de l’opération Barkhane, ndlr]", indique-t-il. Idem pour la Task Force Takuba. Pour lui, elle a été montée "pour diviser le Mali. C'est +le sabre+, en songhaï et en tamasheq [deux langues locales, ndlr], ça n'est pas un nom qui a été pris par hasard".
Alors que c’est la deuxième fois que le Premier ministre malien accuse la France de vouloir diviser le pays, quels sont les faits qui pourraient accréditer ces propos? Quelles sont les richesses minières, pétrolières et gazières du Mali? La guerre au Mali est-elle in fine une guerre pour l’accès et pour le contrôle des richesses du pays et du Sahel, sous couvert d’une guerre contre le terrorisme?
Pour répondre à ses questions, Sputnik a sollicité l’ex-colonel des services de renseignement algériens, Abdelhamid Larbi Chérif, expert en sécurité internationale et politiques de défense. Pour lui, "il faut bien se rappeler que c’est l’actuel ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui occupait le poste de ministre de la Défense durant tout le mandat de l’ex-Président François Hollande (2012-2017). Ainsi, nous ne pouvons que parler d’une continuité de la même stratégie politico-militaire de la France dans la région du Sahel. Le Drian a été le premier responsable du lancement des premières opérations extérieures de la France depuis la fin de la guerre d’Algérie en 1962. En effet, l’opération Serval, en 2013, puis Barkhane, en 2014, ont été mises en branle par Le Drian, qui avait estimé que les insurgés touareg du nord du Mali pouvaient mettre en péril la sécurité mondiale en raison du danger d’un endoctrinement wahhabite des habitants de la région. Ainsi, les rebelles du nord du Mali qui n’ont jamais menacé la France ou l’Occident, encore moins commis des actes terroristes sur leur territoire, ont servi de prétexte à des opérations militaires extérieures françaises, dont les plans étaient en réalité échafaudés bien avant pour des intérêts géostratégiques".

"Le plan de Nicolas Sarkozy" dénoncé

"En octobre 2021, dans un entretien à la Radio nationale algérienne, Choguel Maïga a affirmé qu’il +existait certaines zones dans le nord du pays qui sont interdites d'accès à l'armée malienne par la France, ce qui nous a créé un État à l'intérieur de l'État+", rappelle l’expert, soulignant qu’il "avait dénoncé le plan de l’ex-Président français Nicolas Sarkozy (2007-2012), +qui avait promis à des rebelles dans le nord malien de leur accorder un État indépendant [l’Azawad, ndlr]".

Et d’ajouter que "tous ces problèmes ont commencé à s’exacerber après l’intervention de l’Otan en Libye en 2011, sous instigation française, où des tonnes d’armes ont été déversées dans le pays pour se retrouver quelques moins après dispersées dans toute la région du Sahel, notamment au Mali, plus particulièrement dans le nord du pays. En 2013, +la France avait environ 10.000 hommes déployés en Afrique, a conclu huit accords de défense, 16 accords de coopérations militaires, neuf bases ou points d’appui notamment en Côte d’Ivoire, à Djibouti, au Tchad, au Sénégal et au Gabon et plus récemment au Mali ainsi qu’un dispositif de formation militaire sur le continent et en France qui permet de former 50.000 militaires africains par an+, selon un rapport d’information du Sénat français. Le document est daté de fin octobre 2013 et avait pour titre: +La présence de la France dans une Afrique convoitée+".

Le pétrole, le gaz, les terres rares, la trame de la présence militaire au Sahel?

À ce titre, l’ex-haut gradé rappelle "les propos tenus par feu Mouammar Kadhafi au Mali, lors d’une de ses visites dans le pays: +Le nord du Mali est très riche en ressources minières. Si vous ne preniez garde, un jour les Occidentaux vont venir s’installer définitivement pour exploiter vos richesses+".
À ce titre, il explique qu’"en dépit de sa position de troisième producteur d’or en Afrique, le Mali dispose d’un important gisement de pétrole, dont le principal bassin de Taoudeni se trouve dans le nord du pays. Ce bassin est constitué de 14 blocs et s’étend de la Mauritanie jusqu’à l’Algérie, en passant par le Mali, qui dispose de la part du lion dans ce gisement, comme le montre les cartographies établies par plusieurs bureaux d’études. En effet, une étude menée en 2006 par le consultant RPS Energy montre que Taoudeni est l’un des plus grands bassins en Afrique, aussi bien en pétrole qu’en gaz, présentant des similitudes avec les provinces riches en pétrole d'Algérie, du Niger, du Soudan et de la Libye. Cette région a connu des débuts d’activité pétrolière depuis l’année 2004, suite à l’adoption d’un code d’exploitation et la définition de 29 blocs explorables dispersés sur une surface de 700.000 kilomètres carrés. Au moins 15 sociétés étrangères se sont installées dans le cadre de contrat de partage de la production, dont la Sonatrach algérienne, l’australienne Baraka Energy, l’Heritage Oil du Qatar et la norvégienne Statoil. Cependant, toute cette activité s’est arrêtée en 2012, suite au déclenchement du conflit armé dans le nord du Mali".
Et de souligner que depuis "2012, deux organisations armées se partagent ce territoire du nord du Mali: la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA) et Al-Qaïda au Maghreb islamique* (AQMI), dont l’un des dirigeant n’est que Mokhtar Belmokhtar, un habitué des enlèvements d’Européens, dont les Français, dans la région, à qui Paris n’hésitait pas à payer des rançons à coup de dizaines de millions d’euros pour la libération des otages. Cet argent a permis à ce chef terroriste de développer son organisation et d’étendre sa zone d’influence. Cependant la CMA, qui a un projet politique qui revendique le droit du nord du Mali au développement et à la justice sociale, a participé aux accords de paix d'Alger de mai 2015, qui ont tenté de mettre fin à la guerre civile".
Outre les hydrocarbures, selon lui, "l’économie française reste très dépendante de l’Afrique, notamment sahélo-subsaharienne, en ce qui concerne les approvisionnements en métaux stratégiques pour son industrie de haute technologie: l’uranium, l’aluminium, le cuivre, le fer, les terres rares, le niobium, le tantale, le cobalt, le nickel, le coltan… Or, depuis l’arrivée de la Chine, de l’Inde, du Brésil, la Turquie, d’Israël et dernièrement de la Russie et de l’Iran en Afrique, la France se trouve complètement déclassée, aussi bien sur le plan économique que politique, militaire, culturel et même linguistique. En effet, depuis 2009, la Chine a dépassé les États‐Unis et est devenue le principal partenaire commercial de l’Afrique avec 38% des échanges, suivie de l’Inde (14%), du Brésil (7,1%) et la Turquie (6,5%)".

Conclusion

Enfin, l’interlocuteur de Sputnik estime que "les pays africains qui veulent se développer et faire de leur continent une puissance économique à l’horizon 2050, avec un marché de plus de deux milliards d’êtres humains, mais sans perdre leur identité, voient dans le modèle de développement chinois un exemple à reproduire chez eux. Ceci met très à mal l’idéologie de démocratisation à l’occidentale, qui n’arrive pas à résoudre ses propres problèmes, outre le fait qu’elle est porteuse de désordre et de guerre".

"Le gouvernement de transition à Bamako fait parfaitement cette lecture et comprend très bien les enjeux géostratégiques auxquels fait face son pays, ce qui lui donne la force, avec l’appui quasi absolu du peuple malien, de tenir tête à la France et l’obliger à respecter la souveraineté du Mali. Sous la direction du Président Assimi Goïta, qui a participe à la lutte antiterroriste dans le nord du pays, le Mali a scellé un accord de coopération militaire avec la Russie, l’allié stratégique de l’Algérie qui lui a apporté son soutien. Le Mali, l’Algérie et la Mauritanie pourront mener, dans un cadre trilatéral, l’exploitation du pétrole et du gaz du bassin de Taoudeni. Par ailleurs, la Chine et la Russie seront des alliés déterminants dans la recherche et l’exploitation minière", conclut-il, affirmant que "la France est tenue de revoir sa copie si toutefois elle veut rester en Afrique, et ce ne sont pas les États-Unis avec leur jeu trouble et sans état d’âme dans le continent qui vont l’aider. La leçon des sous-marins australiens est édifiante!"

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