Le projet Byzantin

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L'ambassadeur russe à Paris, le prince Kourakine, fait part des nouvelles étonnantes à l'Empereur Alexandre.

 

L'ambassadeur russe à Paris, le prince Kourakine, fait part des nouvelles étonnantes à l'Empereur Alexandre.  Ses sources d'information  à la cour de Bonaparte annoncent que Napoléon s'est enquis auprès de l'ambassadeur autrichien Metternich sur le lien entre l'Empereur autrichien Joseph II (l'oncle de Franz) et Catherine la Grande. Il y a eu aussi l'information que pendant le diner avec Metternich, Napoléon s'intéressait vivement à l'avis de celui-ci sur un certain « Projet byzantin » mystérieux.  

Metternich lui a répondu poliment qu'il savait peu de choses au sujet de la deuxième question, quant à la première - le lien entre Joseph et Catherine - encore moins.  Il prétendait que c'était des balivernes.  Pourtant, il y a eu une rencontre personnelle entre Joseph II et Catherine la Grande. Elle a eu lieu à Moguilev en 1780, huit ans après le partage de Rzeczpozpolita et l'adjonction  de la ville à la Russie. Alors, les deux empereurs avaient discuté le sujet de la renaissance de Constantinople en tant que ville orthodoxe et des Balkans.  

Les historiens modernes ont une théorie : Napoléon aurait pris soudainement intérêt à l'idée de Catherine sur « Le projet byzantin ».  

« Le projet byzantin » - c'est un des projets géopolitiques les plus énigmatiques de l'empire russe, conçu par Catherine la Grande. Ce fait en dit long sur sa portée : Paul Ier et Alexandre Ier, Nikolaï Ier y croyaient, comme Catherine qui l'avait initié. Donc, quatre souverains russes le trouvaient actuel pour leur époque. Qu'avait-il de si attrayant ?

Le projet « byzantin » ou  « grec »  qui a subitement éveillé l'intérêt de Napoléon, était exposé dans la lettre confidentielle de Catherine II à Joseph II du 21 septembre 1782. Mais ce qui était couché sur papier, flottait  déjà dans l'air deux années avant. Ensuite,  le secrétaire de Catherine, A. A. Bezborodko, a rédigé un brouillon, puis le prince Potemkine y a apporté des corrections. Le projet était géopolitique et prévoyait un redécoupage de la carte de l'Europe du Sud-Est. On lui a donné le nom de  « projet grec » car l'Europe rêvait alors de  l'ancienne Hellade, de sa culture, de ses idées philosophiques, elle étudiait l'expérience de la démocratie d'Athènes.

La diaspora grecque de l'empire osman s'adressait alors à l'impératrice pour lui demander de libérer leur patrie. La lettre de Catherine à Joseph commençait par des lamentations : la Porte empêchait le passage des bateaux russes à travers le Bosphore et les Dardannelles, incitait les habitants de Crimée à l'insurrection, lésait les droits autonomes des principautés de Danube. Ensuite, il y avait des assurances de paisibilité : « Je ne veux rien qui dépasse le cadre  des accords conclus, ne prévoyant pas l'élargissement  ultérieur de Russie vers le Sud ». Catherine II a  peint pour son correspondant royal le tableau de la destruction de l'empire Ottoman avec des couleurs noires :  les pachas  n'en faisaient qu'à leur tête,  les bandits pillaient les villes et les villages, les janissaires, terribles autrefois, s'occupaient de petit commerce, il était impossible de leur faire quitter les petites boutiques, les membres du Divan volaient le trésor public,  les chrétiens étaient prêts à l'insurrection. Ensuite, il y avait la partie la plus importante :  l'impératrice jugeait opportun de créer entre les trois empires - russe, ottoman et celui des Habsbourg une sorte d'empire-tampon, indépendant d'eux qui comprendrait la Moldavie, la Valachie, la Bessarabie  sous le nom de Dacie, Il serait dirigé par un monarque chrétien, cet empire ne devait jamais s'unir avec l'Autriche ou avec la Russie. Cette dernière se contenterait de la forteresse Otchakov près du Dnestr et d'une bande de terre entre les fleuves Boug et Dnestr.  Mais si, avec l'aide de Dieu, on réussissait à libérer l'Europe de l'ennemi des chrétiens  - là, Catherine avait choisi un ton pathétique, sa Majesté l'empereur Joseph II, ne consentirait-il pas à aider l'impératrice russe  à reconstruire l'ancienne monarchie grecque sur les décombres du règne barbare tombé, dominant ici, et moi, je m'engagerais à soutenir l'indépendance de cette monarchie renaissante de la mienne.

Il faut dire que l'Empereur autrichien n'a pas été séduit par les perspectives s'ouvrant devant lui du nouveau partage du monde, ou par le style de la lettre. Ni à Moguilev, ni plus tard, il n'a pas exprimé son empressement  de passer au stade actif de réalisation de ce projet même pour le bien d'une puissance amie. Donc, il fallait se borner d'un échange de messages qui comprenaient des engagements mutuels et des conversations sur une renaissance possible de Byzance. Des deux empereurs, c'est Catherine, ardente et animée,  qui semblait avoir perdu la tête, séduite, si on avait le droit d'employer une expression aussi familière dans ce cas. Elle était sûre que l'amitié avec l'Autriche ouvrirait devant elle les portes de Constantinople. Joseph, croyait-elle, avait les yeux d'un aigle. Même quinze ans après cette rencontre, elle écrivait à son correspondant parisien, le baron Grimm :  « Les Autrichiens avaient un aigle,  et ils ne l'ont pas apprécié ! »  Au lendemain de sa rencontre avec l'impératrice à Moguilev, Joseph écrivait au ministre de sa cour, le prince Kaunitz.  : « Il faut savoir que lorsqu'on a affaire à une femme, qui ne se soucie que d'elle-même et pense aussi peu de la Russie que de moi, il faut  flatter son amour-propre. Mais je lui ai promis un soutien dans le projet byzantin ». Catherine n'a pas vu la fausseté, elle a fait confiance à Joseph, elle s'est mise à rêver  et à agir espérant un coup de chance. Joseph l'observait et pesait ses paroles et ses actes. Mais finalement, le rêve a eu le dessus sur les calculs. Le plan de Catherine  de renaissance de Byzance a emballé ses héritiers, malgré eux. L'histoire de la sagesse humaine a reçu de telles leçons plus d'une fois.

Depuis l'arrivée au pouvoir  d'Alexandre Ier, les propos sur « l'Empire byzantin » ont repris. Pour cela, il y avait de fortes raisons. L'empire russe menait à nouveau des guerres contre l'empire Ottoman, avec succès, donc, certaines « têtes chaudes » se sont remises à couver le projet de « mettre le bouclier russe sur les portes de Tzargrad ». L'idée de la renaissance de Constantinople n'était plus purement abstraite, elle prenait une consistance, devenait  un autre as dans le jeu des Russes. Des vieux se souvenaient : le grand Souvorov avait coutume de dire que si Catherine  l'ordonnait, il prendrait Tzargrad. Tout cela inspirait forcément Alexandre. Il avait l'illusion de pouvoir créer son « empire universel ». Alors, le message du prince Kourakine  tombait bien : Napoléon, parait-il, était aussi emballé par cette idée. Mais n'était-ce pas un piège, un subterfuge du stratège génial ?   Alexandre se perdait en conjectures. Un peu moins de 790 jours séparaient la Russie de la guerre avec la France.  

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