François Fillon met à nu les malaises de l’UMP

François Fillon met à nu les malaises de l’UMP
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Il y a des jours où je comprends de moins en moins ce que sous-entend la sacro-sainte notion de démocratie. Hier encore, essayant de retrouver sur le site du Figaro l’intégralité de l’interview accordée par Assad à Georges Malbrunot, je me suis heurtée à une véritable confession de la part d’Alexis Brézet, directeur de la rédaction en question.

Face à cet élan d’autojustification à la limite pathétique, j’ai pour ma part éprouvé un sentiment de forte consternation. Interviewer Assad, mon Dieu, quelle horreur, autant interroger Pétain, Hitler ou … Staline (étrange voisinage) fussent-il vivants ! L’absurdité de ce raisonnement me semble à tel point patente que je ressens même une certaine gêne à le reproduire.

La semaine dernière, les médias français ont aspergé François Fillon de tous les griefs possibles lui reprochant de flirter avec le Front National. A vrai dire, j’ignorais que le FN fût un parti officiellement prohibé et ses électeurs, des lépreux. Mais la cerise démocratiquement modifiée sur le gâteau socialiste, c’est la réaction hautement hystérique de la société bien-pensante au discours prononcé par l’ex-Premier ministre à Novgorod, dans le cadre de la 10e édition du club Valdaï. Or, qu’est-ce que nous y avons vu, somme toute ? Un Fillon qui dénonce la politique ultra-atlantiste de Hollande en soutenant non pas tant Poutine, ou Lavrov, ou n’importe quel autre politicien russe, mais bien le bon sens dans toute son irréfragable accomplissement. Le Conseil de sécurité se décarcasse pour désigner le gazeur de Damas sans parvenir à le faire, cela, soit parce qu’il ne veut pas reconnaître l’évidente innocence du régime syrien dans cette affaire, soit parce qu’il est pour l’heure impossible de désigner le vrai coupable. Bref, comment agir en l’absence de preuves ? En deuxième lieu, du moment qu’al-Assad se dit inconditionnellement disposé à mettre sous contrôle son arsenal chimique, à quoi bon bombarder un pays à moitié détruit ?

A mon avis, le fait de décliner ces réalités banales ne signifie guère « collaborer » avec le régime d’un autre prétendu « tyran », à savoir Vladimir Poutine. Ou alors, il faudrait supposer que tous les pays non alignés sur l’axe Paris-Washington sont des hérétiques intraitables bons à être censurés quelle que soit la logique de leurs propos. De même faudrait-il supposer que toute vérité prononcée en dehors du territoire français, si elle contredit l’opinion du mainstream, est automatiquement un affront fait à la France. C’est ainsi que des lecteurs du Figaro, du Monde et du Nouvel Observateur sont arrivés à voir en Fillon un traître à la France, quelqu’un qui, s’il était joueur de foot, se complairait à marquer des auto-goals histoire de se faire apprécier de l’équipe adverse (d’après le commentaire éloquent d’un lecteur). Là encore, je ne savais pas que la France, c’est M. Hollande, et M. Hollande … la France.

Le cas Fillon, si curieux que cela puisse paraître, suscitant bien des polémiques, il faut se rendre à l’évidence : tout ne va pas si bien que ça au sein de l’UMP. Il y a, comme l’a si bien relevé mon collègue, le journaliste français Alexandre Latsa, un processus de mutation et de subdivision à l’intérieur de ce parti qui allie eurosceptiques et europhiles, gaullistes et non gaullistes, le programme de Dupont-Aignan étant de ce côté autrement plus proche du gaullisme authentique que ne l’est le prédécesseur de Hollande ou même Mme Alliot-Marie dont les prises de position se sont plus d’une fois écartées du gaullisme canonique. Le cas Fillon, contribuera-t-il à augmenter les multiples clivages qui marquent aujourd’hui le deuxième parti de France ?

Voici le point de vue de M. Dimitri de Kochko, journaliste et politologue.

La Voix de la Russie. « François Fillon a été tancé par la quasi-totalité des médias français pour son soutien à la politique du Kremlin vis-à-vis de la Syrie. Croyez-vous qu’il s’attendait à une telle réaction ?

Dimitri de Kochko. « Non, je ne crois pas que Fillon ait soutenu, comme l’ont prétendu les médias français, la politique du Kremlin … d’ailleurs, vous tombez dans le même travers que ces derniers. Fillon n’a pas soutenu la politique de Poutine. Il a désapprouvé publiquement, à l’étranger en plus (ce qui lui est reproché) la politique syrienne actuelle du Président français. Il a en réalité répété, comme il l’avait déjà fait dans des interviews antérieures à l’évènement, qu’il estimait bon de consulter la Russie avant de prendre des décisions d’attaque contre la Syrie, qu’il fallait respecter la légalité internationale et notamment celle qui est représentée par le Conseil de sécurité de l’ONU et son Assemblée, qu’il considérait qu’attaquer la Syrie n’avait rien de judicieux parce que ce n’était pas de la sorte qu’on allait aider la population civile. »

LVdlR. Comme on l’a fait en Irak, comme on l’a fait en Lybie ….

Dimitri de Kochko. « Absolument. Sachant qu’en Irak il y a déjà eu depuis le début de l’année près de 4000 morts, ce qui en dit long sur le succès de ce genre d’intervention. C’est bel et bien ce qu’à dit Fillon, il n’avait pas dit autre chose ! »

LVdlR. Sa pensée a donc été déformée par les médias français …

Dimitri de Kochko. « Elle a été exagérée pour l’accuser de … »

LVdlR. Poutinophilie ?

Dimitri de Kochko. « C’est ça, puisqu’il y a une propagande assez intensive contre la personnalité de Vladimir Poutine, alors rien que le fait de dire « ah, il soutient Poutine » revient à le cataloguer de méchant. Alors évidemment que toute cette situation est ambiguë parce que, d’un côté, on veut s’en prendre à un membre éminent du système politique français, à quelqu’un qui a été Premier ministre juste avant celui qui l’est maintenant et qui veut revenir à un modèle purement gaulliste au sein de l’UMP et, de ce point de vue-là, couper l’herbe sous le pied de Copé qui est son rival et qui lui était considéré comme représentant le courant chiraquien. En découle que le peu d’héritage gaulliste qui restait encore au sein de l’UMP est sauvé par Fillon, opposé en cela à Sarkozy (défendant à cor et à cri une intervention en Syrie) et à Hollande. D’un autre côté, il se fait que Fillon était Premier ministre auprès de quelqu’un qui a remis la France dans l’OTAN, position que le Président actuel veut sauvegarder de toute force au point de demander à M. Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères qui avait une vision assez claire des relations internationales, de lui écrire un rapport comme quoi il vaudrait mieux pour telle ou telle raison rester dans l’OTAN . Le pauvre a dû se tordre fortement les bras pour arriver à produire un rapport de ce type. Ces points posés, il ne faut pas oublier qu’il y a en ce moment une lutte accrue au sein de l’UMP dans la perspective des présidentielles de 17 … ce qui n’est pas un secret car lorsqu’il y a eu les primaires, on a vu ce que ça avait donné. L’UMP traverse aussi une autre crise, par exemple, la crise financière du fameux Sarkothon qu’on a appelé de la sorte pour ramasser les sous et là, manifestement, François Copé va faire un petit coup à Sarkozy en refusant d’utiliser ce Sarkothon pour payer toutes ses dettes par rapport à la campagne présidentielle puisque certaines d’entre elles n’étaient pas vraiment réglementaires par rapport à la campagne électorale. On peut donc s’attendre à du tirage parce que chacun a des amitiés dans la presse, naturellement. Or, comme vous le savez, toutes les deux semaines ou même plus régulièrement, on parle du retour de Sarkozy en politique, cela en sa future qualité d’homme providentiel. Bien entendu, il s’agit d’articles télécommandés. Ceci dit, cela signifie que le prédécesseur de Hollande n’a pas lâché la rampe et que donc aussi bien Copé que Fillon le considèrent comme un concurrent. Alors après, je dirais que Fillon a fait ses déclarations au club de Valdaï à un moment où il venait de faire une déclaration qui reflétait sa compréhension du rôle, de la place de certains candidats ou élus du FN. C’est ainsi qu’il passait une certaine ligne rouge comme dirait M. Obama par rapport à une partie du personnel politique. Mais, en revanche, il allait dans le sens d’une bonne partie des électeurs et des militants de l’UMP qui ont tendance à chercher un dialogue avec le FN. »

LVdlR. Des compromis ?

Dimitri de Kochko. « Des compromis électoraux dans certains endroits et disons que, plutôt que de s’en tenir au Front Républicain, c’est-à-dire tout sauf le FN, il y en a qui préfèrent trouver des bases communes avec ce dernier. La montée en puissance du Front National est à ce jour avérée dans la mesure où l’électorat populaire est très déçu par Hollande, ce qui était prévisible. Si on garde en vue que la personnalité même de Sarkozy est rejetée par la majeure partie de la population française, on en déduit que Marine Le Pen est sur la bonne voie (…). »

LVdlR. Pensez-vous que l’UMP, qui connaît aujourd’hui une nette scission, est viable dans son état actuel ? D’un côté, on relève des gaullistes purs et durs comme Mme Alliot-Marie …

Dimitri de Kochko. « Non, pas dans son cas, je dirais. Le vrai courant gaulliste est représenté par Dupont-Aignan, mais il a quitté l’UMP en 2007. Vous avez également des gens comme Yvan Blot, par exemple, mais qui sont plutôt déjà des barons de ce courant. Il y a sans doute un courant au sein de l’UMP qui est gaulliste mais je ne le crois pas très majoritaire, si ce n’est au niveau de la référence verbale. Mais il est évident qu’aujourd’hui, le grand problème de l’UMP (…), c’est de savoir si oui ou non elle va recourir au personnel politique du FN. Si oui, à quel niveau. Pour l’instant, le problème n’est visiblement pas tranché puisque, par exemple, dans le contexte de ce que vient de faire Fillon, la polémique persiste. Peut-être que le problème est résolu au niveau de l’électorat UMP, il est toujours rejeté dans une bonne partie de l’UMP qui doit représenter quelque chose comme 30% dans le personnel des élites françaises. Ceci dit, les choses vont sans doute se décider dans le contexte des tensions sociales qu’il va y avoir dans le pays (…) avec de plus en plus de gens qui se rallieront à la solution FN. Dans ce cas-là, une partie de l’UMP qui sera d’accord pour s’accrocher à la plateforme frontiste proposera un gouvernement de coalition parce que toute seule, Marine le Pen ne va pas s’en sortir (…). » T

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