« La Ronde de nuit » au « Théâtre du Soleil »

« La Ronde de nuit » au « Théâtre du Soleil »
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On lit sur le programme – « Création collective » Situation peu commune à l’époque de la lutte pour les droits d’auteur. Situation très commune dans la famille théâtrale d’Ariane Mnouchkine. Je dirais même que la troupe du Théâtre du Soleil est une commune théâtrale. On y met en commun les vies, les sensations, les sentiments, les expériences. Et, pourtant, rien d’anonyme dans ces spectacles, puisque tout le monde parle de la même et unique voix, à l’unisson.

Le spectacle présenté à partir du 7 novembre au Théâtre du Soleil est né d’un voyage à l’autre bout du monde. En 2005, Ariane Mnouchkine et ses comédiens s’embarquent en Afghanistan. Ils sont invités par la Fondation pour la culture et la société civile à Kaboul et par son directeur Robert Kluyver, pour y donner un stage. Il s’agissait là d’une session de travail pour comé­diens et ateliers d’apprentissage pour techniciens. Même dans un pays en souffrance la vie prend le dessus. Dans ce travail singulier ne, au milieu des ruines et des roses d’un jardin, une toute jeune troupe de théâtre afghane, mixte et courageuse. Elle prend le nom : le Théâtre Aftaab, un petit Théâtre du Soleil d’Asie centrale.

En sept ans, les comédiens du Théâtre Aftaab ont joué de nombreux textes français et étrangers : Roméo et Juliette, Le Tartuffe, Le Cercle de craie caucasien, L’Avare, Sophocle / Œdipe, Tyran, d’après Hölderlin de Heiner Müller. A l’automne 2012, le Théâtre Aftaab reprend sa collaboration avec Hélène Cinque pour une première création franco-afghane sur une proposition d’Ariane Mnouchkine : La Ronde de nuit.

Nous verrons une histoire des femmes et des hommes, à Kaboul, ou dans les campagnes alentour. Ils y vivent ou survivent, livrés à la guerre civile, à la dictature des talibans, aux répercussions internationales des attentats du 11 septembre sur l’image de leur pays... Ils essaient de préserver «l’humain» face à l’absurde et à la violence arbitraire. Dans cette tragédie contemporaine les faits réels se mêlent à la fiction, sur scène s’entremêlent poésie et réalisme, présent et passé, vie et théâtre.

« Ils ont pourtant une mine familière, - lit-on dans le texte d’Hélène Cixous, grande amie du théâtre du Soleil, par ailleurs, - Treize jeunes gens, qui nous regardent, avec un très léger retrait des yeux, avec une patience, qui ont de simples visages de livres. (…)Il y a dans chacun de nos évadés l’héroïsme modeste qui vient au secours de ceux qui, un jour, ont dit instinctivement non au massacre de l’esprit.

Et ce Non ! (…) J’entends chacun résonner comme le titre d’une tragédie de

Racine. Et chaque nom rappelle une blessure, une angoisse, des déchirements, plus d’un exil et plus d’une nostalgie »

N’est-ce pas le point de départ pour un manifeste théâtral ? N’est-ce pas un pivot de tout le spectacle ? Du théâtre même ? – demande-t-on à Hélène Cinque, le metteur en scène du spectacle La Ronde de nuit.

Hélène Cinque. De ce que j’entends, de ce que je me souviens de ce texte d’Helene m’a fait, à moi, c’était effectivement : « non » à la destruction de la culture, « non » à vouloir nous avilir par les talibans, « non » à cet Afghanistan qui n’en sort pas, c’est ça ! C’est « non » à notre statut dans l’enfer. C’est-à-dire : « on résiste, on est des résistants » On veut rêver, on veut croire, on veut aimer, in veut rire… on veut jouer ! Je l’ai toujours interprété et compris comme ça.

LVdlR. Comment vous avez senti ces gens qui, dans le pays en déconstruction et en permanente confusion, ou les guerres ne sont jamais arrêtées ? Comment vous avez découvert ces ilots de résistance intérieure, qui existent et qui veulent faire du théâtre « malgré tout » ?

Hélène Cinque. Je pense qu’ils veulent faire du théâtre, parce qu’ils ont découvert que c’est un endroit, un « pays », une planète, une terre ou ils vont bien, ou ils peuvent exprimer tout ce qu’ils ont besoin d’exprimer. Je pense que pour eux le théâtre est devenu un « essentiel », un endroit de lutte, de liberté et de vie, de pouvoir. Je voulais dire ça si simplement, mais ce n’est pas simple. C’est devenu leur « terre de liberté ».

Ensuite, effectivement, ils sont véritablement venus vivre en France, ils ont la liberté de vie au quotidien. (Le futur) est quasiment maintenant assure pour eux.

LVdlR. L’affiche me parait tout à fait parlante. Est-ce qu’il y a toujours des roulottes (devant le Théâtre du Soleil) ?

Hélène Cinque. Oui, il y a des roulottes, ils y sont toujours. Pour le moment. Il en a deux-trois qui ont trouvé un appartement. Les autres sont encore en roulottes, ils espèrent d’ici quelque temps de trouver un logement avec leurs femmes ou leurs petits amis.

Cette affiche, je l’aime beaucoup. Cette croisée des chemins et des aventures : il a « là-bas » qui ne les quittera jamais et il a « ici », ou c’est leur nouvelle maison, une sorte d’une nouvelle famille. Et il y a le sens du spectacle – il y a la nuit et quelques petites lumières dans ce fond de nuit. C’est leur vie.

LVdlR. Contrairement à ce qu’on peut imaginer, le théâtre dans ce cas, de ce spectacle précisément, n’est pas juste une image coupée du monde, c’est toute la vie qui devient théâtre.

Hélène Cinque. C’est tout à fait ça, ce spectacle par rapport à eux.

LVdlR. Comment vous avez travaillé les textes ? Comment les textes étaient apportés ?

Hélène Cinque. Le texte a été amené en improvisation. C’est-à-dire, tout était filmé, je ré-visionnais. On faisait les captations, on reprenait. J’écrivais les textes. On a écrit petit à petit, en improvisation, reprenant les impros, les retravaillant, les restructurant, les sculptant. Ecrire, écrire, écrire… Et ça, on a fait à toute fin. Le texte est venu à la fin.

LVdlR. Vous avez déjà joue la première série des représentations au printemps. Qu’est-ce que le spectateur d’aujourd’hui comprend à cette histoire des étrangers qui sont venus et vivent leur « autre » vie? Qu’est-ce qu’il y de plus actuel qui fait que les salles sont remplis à chaque représentation ?

Hélène Cinque. Je pense, ce qu’a ému le public – en tous cas, ce cent les retours que j’avais – c’est à la fois le rire et les larmes, le regard sur leur propre pays. Le courage de pouvoir rire aussi des problèmes, du choc des cultures entre là-bas et ici. La force qu’ils ont à avoir osé parler de leurs rêves, de leurs fantasmes, de leurs cauchemars. D’oser parler autant. D’oser autant dévoiler l’intime. Voilà ce qui a touché énormément le public.

LVdlR. Pensez-vous qu’il y a une solution pour rendre tout le monde heureux ? Comment le faire ?

Hélène Cinque. Je ne me permettrai pas de dire « oui, bien sûr il y a une solution » Non, le théâtre correspond pour certains. Il leur fait du bien, les sauve, ça les fait grandir, leur permet d’extérioriser les maux et les douleurs, les paroles aussi. Mais je ne dirai pas que c’est la solution pour tout le monde, je ne pense pas. Je pense qu’avec moi et Aftaab on a réussi par la parole, parce que je les embête et je les oblige de beaucoup puiser dans leurs sentiments, dans leurs émotions et les souvenirs. On travaille avec cette partition et je les embête pour aller travailler là-dedans. Les gens ne vont pas chercher dans ce puits de souffrances, mais je me permets de le faire, parce que je sais aussi écouter. On va puiser dans un puits qui est l’enfance. Et on rit ! Et on s’amuse ! Donc, il n’y a pas que de la douleur. A cote de la douleur il y a l’apaisement, pus que plus on parle – plus on dit, plus on sort, plus on est apaise. On rigole beaucoup. Ils ont une personnalité, un caractère, un monde très proches de l’enfance, même si ce sont des adultes maintenant. Mais ils ont besoin de jouer, besoin de rigoler.

LVdlR. Y-a-t-il une différence entre le travail sur le texte classique, de Tartuffenotamment, et ce texte improvisé ?

Hélène Cinque. Ils sont plus à l’aise dans l’improvisation, évidemment. Sauf, que j’espère on se retrouvera, moi et Aftaab… pardon, Aftaab et moi, nous reprendrons a un moment donne un beau texte, Shakespeare ou un autre auteur, pour voir comment depuis Tartuffe ils ont évolués. Parce que Tartuffe, quand même c’étaient leurs tout débuts, avec un énorme texte. Apres, il a eu Avare, mais c’était plus facile. Apres, ils ont travaillé avec Mathias Langhoff, je n’y étais pas, je ne sais pas sur quoi ils ont travaillé, comment s’est passe ce travail. Avec moi, on est plus dans l’improvisation. Je propose des thèmes – paf ! – ils se jettent à l’eau, ils sont tout le temps dans la proposition. Maintenant ils pourraient retrouver la même liberté avec un texte, une structure, un cadre beaucoup plus écrits. Complètement écrits. Et y trouver la liberté, les pouvoirs improviser.

LVdlR. Vous les ramenez à travers l’improvisation, à travers un texte fixe. C’est l’enseignement d’art dramatique que vous leur procurez quelque part ?

Hélène Cinque. Je pense, oui. Je peux me considérer un peu comme le professeur, leur professeur. Le temps qu’on travaille ensemble.

LVdlR. Vous comptez revenir en Afghanistan pour d’autres projets?

Hélène Cinque. Non. Moi, non. Moi, personnellement, non. Je leur ai dit déjà, j’ai trop peur. Et même eux me disent « il ne faut pas que tu reviennes » Je leur aie dit, très simplement et humainement : dans ma vie, pour ma famille, j’ai peur d’y aller, je n’ai pas envie. Ils ont tous partis trois, quatre, cinq mois à Kaboul, ils sont tous revenus en disant : « C’est horrible ! Je ne sais pas si je retournerais ! »

LVDLR. Dans quel sens?

Hélène Cinque. La vie. Le quotidien. La pression. La peur. La paranoïa. Les attentats. La misère. La situation de la femme. Certains sont revenus, en disant : « On est revenu encore plus en arrière. C’est une régression complète. » Beaucoup de violence. La police afghane fait n’importe quoi.

LVDLR. Cela ne les chagrine pas un peu qu’ils ne peuvent rien changer?

Hélène Cinque. Bien sûr ! Ils me disent : « Tu te rends compte ? Tout ça – pour ça… » Mais ils ne sont pas dans une discussion autour d’une table à se lamenter, de dire « c’est une horreur ! C’est une catastrophe ! » Tout de suite ils font des pirouettes et ils reviennent ici, ils sont heureux d’être là. Ils essayent d’oublier. Ils oublient.

LVDLR. C’est quelque part une échappatoire aussi, le théâtre… Et le théâtre pour vous – qu’est-ce que c’est?

Hélène Cinque. (Longue silence) C’est difficile comme question. C’est un endroit où la liberté peut naitre. Où la parole peut naitre. Où le sentiment a toute sa place. Pour moi c’est un métier. C’est un art. C’est un essentiel de ma vie. Et, en le disant, je me dis : c’est l’endroit du combat ! C’est l’endroit du combat ! C’est l’endroit où on peut faire face. Et dire tout ce qu’on veut.

Encore en 1984, dans un ouvrage « Le théâtre ou la vie », Ariane Mnouchkine nous propose des paroles très justes : « Dans le théâtre, ce sont toujours plusieurs histoires qui se racontent. Il n’y a pas de spectacle de théâtre sans histoire du théâtre à l’intérieur. Et même quand un spectacle raconte l’histoire d’une catastrophe, qui décrit la noirceur de la lignée humaine, il n’empêche que, du fait même que cette pièce existe, et que des êtres humains sont en train de la jouer, il y a déjà de l’espoir dans l’humanité. »

Les comédiens du Théâtre « Aftaab » jouent La Ronde de nuit en français, et en dari surtitré, du 6 novembre au 1er décembre 2013 au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie.

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