Des histoires d’espionnage à faire rêver la Comédie-Française

Des histoires d’espionnage à faire rêver la Comédie-Française
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Savez-vous quel est l’emblème de la Comédie-Française ? Une ruche et des abeilles. Sa devise, Simul et singulis, se traduit en français comme être ensemble et rester soi-même. C’est exactement ce climat d’institution foisonnante, chahuteuse, remueuse que donne l’UE dans son ensemble face au nouveau (ancien) grand scandale d’espionnage dont le renseignement américain est à l’origine.

Sauf qu’au fond, il y a un énorme problème : l’UE, feignant l’indignation à en devenir presque crédible sur ce point, ne parvient pas à rester ce qu’elle devrait être avant tout, c’est-à-dire une entité souveraine, libre de répondre en acte et non point seulement en parole aux excès des services de renseignements étrangers. Or, que voyons-nous ? Des jérémiades artistiques dignes des mises en scène de Molière et un Washington qui garde la cote en affirmant ce que bon lui semble, contre toute véracité et, parfois même, logique élémentaire. Le nœud de l’intrigue est des plus simples. Selon des sources aussi fiables les unes que les autres, les services de renseignement étasuniens viennent de reconnaître que oui, en effet, ils espionnaient bel et bien les pays de l’UE. En même temps, on vient d’apprendre que le général Keith Brian Alexander, directeur de la NSA depuis 2005, réfute cette dernière information en disant qu’en réalité les informations secrètes qui auraient été collectées essentiellement par les USA à l’insu des pays de l’UE sont des renseignements recueillis en collaboration avec les renseignements de l’UE et visant à garantir la sécurité des deux continents. Par conséquent, l’alerte donnée n’incombe qu’à l’incompétence, voire à la mauvaise foi d’une poignée de journaleux férus de scoops à dormir debout. Comment expliquer que le général Keith contredise si catégoriquement le renseignement aux destinées desquelles il préside ?

Je vous présente ici le point de vue de M. Richard Labévière, rédacteur en chef de Défense qui est la revue de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Richard Labévière. « Si vous voulez, dans cette affaire, les gens de la NSA, les responsables politiques américains au Congrès, les journalistes disent tout et n’importe quoi, tout et son contraire. Cela fait quinze ans qu’on écrit des papiers spécialisés sur le système Echelon, un système d’écoute planétaire organisé à partir des USA avec des stations de retransmission et d’écoute basées en Grande-Bretagne. Quand Mme Merkel crie au loup, il ne faut pas oublier qu’il y a six stations d’Echelon américaines sur le territoire allemand. Il y en a en Pologne, dans s’autres pays d’Europe centrale, il y en a en Australie, au Canada. Donc, le système d’écoute Echelon était conçu comme un système d’écoute planétaire bien avant le 11 septembre 2001. Qu’est-ce qui s’est passé après le 11septembre ? Un véritable traumatisme pour les Américains attaqués sur leur sol ? Le Président Bush de l’époque donne ordre aux seize agences de renseignement américaines dont la NSA d’écouter tout ce qui a trait ou serait même indirectement en rapport avec la sécurité et les intérêts américains que ce soit sur le sol américain ou dans le monde. Au stade où nous en sommes, la machine s’est emballée et la NSA a commencé à écouter tout et n’importe quoi, à stocker des données absolument incroyables en ciblant spécialement et en écoutant les chefs d’état, en écoutant les Nations-Unies à New-York, à Genève, en écoutant l’UE, etc. Il s’agit d’une réalité qui est symptomatique de la globalisation politique et économique. Ainsi, après les révélations d’Edward Snowden, le grand public qui n’était pas particulièrement au courant de ces mécanismes a été alerté par différents papiers dans le Spiegel, dans le Guardian etc. Cela a déclenché une espèce de campagne de communication, notamment en France où les responsables politiques du pouvoir exécutif sont parfaitement au courant de ce phénomène parce que les services de renseignement français, allemands, espagnols ou autres n’ont jamais ignoré la réalité de cette pratique d’écoute, leur niveau de collaboration et leur propre système d’écoute. En France, il y a un french Echelon avec, certes, des moyens beaucoup moins importants mais ayant certaines capacités. Il est dans la logique de la mondialisation, de la guerre économique de tous contre tous, que n’importe quel Etat puisse utiliser et optimiser au maximum ses moyens d’écoute et d’espionnage politique ou économique pour la défense de ses intérêts. C’est la dure loi du monde actuel qui est entièrement globalisé. Après, pour rassurer les opinions publiques, on va faire mine de s’indigner en disant que ce type de pratique est inadmissible, le Conseil européen va édicter un code de bonne conduite en fait absolument grotesque parce qu’inapplicable et incontrôlable. Simplement, si les responsables politiques, qu’ils soient Français ou autres Européens, étaient conséquents et avaient un peu de courage, il aurait fallu faire comme l’a fait la Présidente brésilienne Dilma Rousseff sur le plan diplomatique qui vient d’annuler en guise de protestation une visite d’Etat qu’elle devait faire aux USA, c’est tout ! Il faudrait que les pays européens dans leur accord cadré avec l’OTAN puissent aussi prendre un certain nombre de décisions symptomatiques pour essayer de redresser le rapport de force avec les USA qui ont les moyens techniques et humains les plus importants, c’est tout. Il s’agit, au-delà de tout le blabla des uns et des autres qui n’est ni tout à fait vrai ni tout à fait faux et qui enfonce les portes ouvertes, de réalités que les pouvoirs exécutifs, les classes politiques en Europe et les gens des services secrets européens connaissent parfaitement depuis des années».

 

Commentaire de l'auteur. Beaucoup de bruit pour rien, somme toute. Au-delà du « blabla » si justement mentionné par M. Labévière, des vertus de l’éclectisme moliéresque et shakespearien dans cette histoire d’espionnage qui n’en finira jamais, on s’aperçoit que les appréhensions des masses sont souvent à ce point instrumentalisées que parfois la presse française se laisse aller à des dérapages féeriques du type : le KGB revient espionner la France. Qu’importe que le KGB en tant que tel n’existe plus depuis voilà plus de vingt ans, car il est facile d’exhiber devant les âmes sensibles les spectres d’un communisme omniscient. Le jour où, en effet, cette même presse dira que oui, la France espionne les USA et qu’elle juge bon de le faire parce que tel est son droit légitime, le rapport de force sera peut-être rétabli. T

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