« Seul portique autorisé en Bretagne »

« Seul portique autorisé en Bretagne »
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Samedi dernier, pendant que la manifestation pour l'emploi se déroulait à Quimper, des anti-écotaxes ont mis le feu au portique de Saint-Allouestre, sur la quatre-voies entre Lorient et Rennes. Les pneus incendiés au pied du portique ont provoqué l'effondrement de la structure.

Mais qu’est-ce cet écotaxe qui provoque tant de réaction auprès des bretons ? Qu’est-ce qu’elle représenté d’aussi injuste pour pousser à l’affrontement ouvert ?

Nous avons recueilli le commentaire du Président de l’Association des entreprises bretonnes « Produit en Bretagne » Jacques Bernard.

LVdlR. Qu’est-ce c’est cette écotaxe qui nuit tellement aux bretons ?

Jackez Bernard. Pour être clair et faire simple pour les auditeurs, l’écotaxe ce n’est pas simplement une nuisance pour les bretons. C’est fondamentalement antirépublicain. C’est une taxe base sur le fait que vous habitiez plus ou moins loin des centres de consommation. Plus vous habitez loin, plus votre entreprise est loin, plus vous allez payer cher. C’est totalement antirépublicain, anti égalité. Evidemment, par la même occasion, ça met à mal tout le travail qui était lancé dès les années 1960 par le Président, Charles de Gaulle à l’époque, le Président de la République qui a mis en place la DATAR sur l’aménagement du territoire. C’est-à-dire, basé sur l’aménagement du territoire français, où on est basé sur l’égalité républicaine. Forcément, plus vous êtes loin – plus vous payez de taxes, c’est totalement l’antithèse d’aménagement du territoire ! On ne peut pas être dans un pays où il y a de telles inégalités qui viennent en plus s’ajouter à des difficultés économiques du moment!

LVdlR. Il y a une légende, comme quoi c’est Anne de Bretagne qui a négocié même la gratuite des autoroutes… Sans prendre en compte que les autoroutes, ce n’est pas Anne de Bretagne qui les a construites. Mais c’est une grande tradition. C’est, peut-être pour ça que les bretons étaient en première ligne de l’opposition à l’instauration de l’écotaxe?

Jackez Bernard. Je pense, que quelque part, dans l’inconscient des bretons… ou dans le conscient des certains bretons, il est possible qu’ils ont fait référence à Anne de Bretagne, parce que la Bretagne est rattachée à la France depuis 1532, ça fait bientôt 500 ans. Effectivement, dans ce traite a été stipulé que les routes de Bretagne resteraient libres d’accès et ne seraient soumis à aucun péage. C’était le cas jusqu’à aujourd’hui. Evidemment, on peut considérer, d’une certaine manière, cette écotaxe était une forme de péage. C’est peut-être pour ça les bretons ont pris conscience plus vite que d’autres. Mais, fondamentalement, je le répète, c’est une taxe injuste : le fait que vous habitiez loin des centres de consommation, vous produisiez loin des centres de consommation.

LVdlR. Il ne s’agissait pas de créer une sorte de portiques sur les autoroutes pour relever les taxes « à l’ancienne », mais des taxes appliquées sur la totalité du territoire. Maintenant, quand l’opposition bat son plein, quels sont les pronostics ? Comment le gouvernement va poursuivre sa démarche? Va-t-il la retirer ? Ou il va s’obstiner ?

Jackez Bernard. Comme je ne lis pas dans la boule du cristal et je ne suis pas magicien, je ne sais pas ce que pense le gouvernement, et encore moins – Jean-Marc Hérault. La seule chose que je peux dire : c’est une ineptie de mettre cette taxe en place définitivement. Tout simplement. Parce que cela ne correspond pas à une réalité. Je crois qu’il vaut mieux prendre le problème…

On nous dit que cette taxe est créé dans le cadre de Grenelle d’Environnement, que c’est une taxe « écologique » Ok, je l’entends, je le comprends. Mais où il est, le problème ? C’est l’alternative au transport routier. Ça n’a pas été réglé en France. Pour moi, fondamentalement, il s’agit maintenant de mettre vraiment, véritablement en place – le ferroutage, c’est-à-dire l’utilisation à la fois du transport routier et transport ferroviaire pour éviter que les camions n’encombrent les routes. Puisque c’était fait pour ça à la base. Prenons le problème dans le bon sens. Afin d’éviter mettre une taxe, proposons la mise en place urgente, URGENTE d’un plan de routage digne de ce nom en France.

LVdlR. Il y a aussi le canal de Nantes à Brest…

Jackez Bernard. Je vais prendre juste un parallèle. L’Allemagne doit avoir quelque chose comme 300 km de côtes, elle a 6 000 caboteurs. La Bretagne a 2 000 km de côtes, elle a deux caboteurs. Je vous le donne à réflexion. Vous voyez bien qu’il y a beaucoup de choses à faire – on peut passer par les côtes. On a beaucoup de systèmes. Mais encore faudra-t-il qu’il y ait une véritable volonté.

Je vais être très clair – ce n’est pas le gouvernement Hérault qui est responsable, ce sont tous les gouvernants qui dirigeaient la France depuis 30 ans. Aucun plan sérieux n’a été mis en place.

LVdlR. L’« écotaxe » taxe le transport routier, mais il y a eu d’autres projets qui ne sont pas encore menés jusqu’au bout. Tels que les énergies renouvelables – le système n’est qu’a son début. Pour le gaz de schiste on a pris la bonne décision de ne pas l’extraire par la méthode du coup hydraulique… Vous ne pensez pas qu’il faut prendre les mesures écologiques, ou « vertes » dans l’ensemble ? Et ne pas juste prendre les petits bouts et les aligner, tel un puzzle ?

Jackez Bernard. Je fais partie, avec mes collègues du « Produit en Bretagne », des militants pour la diversité, la diversification absolue de la fourniture énergétique. L’éolien marin en Bretagne c’est une réalité, elle va être mise en place. Ça, c’est une réponse. On a une énergie naturelle qui est la mer, une énergie motrice qui est la marée. L’éolien maritime est une vraie réponse.

On accuse toujours les agriculteurs-pollueurs, pour moi ce n’est pas vrai. Ce n’est pas la vérité. Et ils ont des alternatives avec la méthanisation, à condition qu’on autorise la capacité à méthaniser à la ferme comme cela se fait en Allemagne. En Allemagne, il y a de 6 000 à 7 000 méthaniseurs qui fonctionnent aujourd’hui dans leurs fermes. Chez nous il en a, allez, à tout cassé, une vingtaine. Il y a une marge de progrès considérable. Et on encourage à ça. On encourage à la diversification de la fourniture énergétique.

LVdlR. Peut-on dire deux mots de ce groupement qui a dit « non à l’écotaxe » ? Qui s’est réuni sous le label « Nous aimons la Bretagne »… Je suppose que « Produit en Bretagne » qui fête 20 ans cette année en était l’initiateur. Qui sont ces gens qui se regroupent sous « on » ?

Jackez Bernard. Dans« Nous aimons la Bretagne » sous « on » se trouvent les responsables économiques de tous les secteurs d’activité. Et c’est ce qui surprend toujours : à la fois des industriels, des agriculteurs, des transporteurs, des transformateurs, des métiers de service, des distributeurs. Nous sommes tous ensemble embarques dans cet… je n’aime pas le mot « combat »… simplement cette démarche lucide qui consiste à dire qu’une région ne peut vivre qu’à partir du moment où on est tous en phase, surtout pour la développer économiquement, et, en deuxième temps, la développer économiquement d’une manière intelligente et mesurée. Pas dans n’importe quel sens, pas n’importe comment. C’est bien nous, en tant que responsables de la vie sur nos territoires, responsables du développement économique qui avons décidé de dire : « Non ! Cette écotaxe n’est pas sensée. Ça va pénaliser toutes les entreprises qui ont décidé de rester ici, sur cette pointe en Bretagne. Nous sommes attachés à cette région fabuleuse qui est la Bretagne. Laissez-nous les moyens de faire ce qu’on a à faire ! C’est-à-dire le développement économique intelligent avec tous les acteurs économiques»

LVdlR. Dernière question : vous ne pensez pas que la décentralisation… plutôt le projet de la Loi de décentralisation que est en train d’être travaillé à l’Assemblée nationale, peut être une solution à ces travers ?

Jackez Bernard. Je suis un militant pur et dur de la décentralisation depuis toujours. Je pense que seule une France considérant que ses régions sont forts, fera une France forte à l’arrivée. Une France jacobine, ultra-jacobine comme elle l’est aujourd’hui, est totalement obsolète. C’est fini ! On le voit partout. La réalité est la régionalisation forte. Les régions fortes, qui ont les moyens de leur développement, qui puisent avec leurs élus du territoire, en proximité avec les acteurs économiques du territoire.

LVdlR. Tous ces évènements autour des écotaxes trahissent un malaise profond de la société, quelque peu enfoui jusqu’à ces derniers jours. L’Assemblée Nationale travaille depuis plusieurs mois sur le projet de la Loi de la décentralisation, mais le peuple et les élus locaux n’attendent pas, ne veulent plus attendre. Ils ont démarré les actions sur le terrain, les actions qu’on ne peut pas toujours qualifier de « pacifiques » Une manifestation massive des « Bonnets rouge » à Quimper ce week-end a montré la détermination des Bretons.

Nous avons posé la question de répartition des pouvoirs de décision entre le gouvernement et les forces de rue à Paul Molac, député de l’Assemblée Nationale.

Paul Molac. C’était un mot d’ordre des manifestations: « Vivre, travailler et décider au pays ! » Il y ce « décider au pays ». En Bretagne on a une conscience très importante de cet aménagement du territoire et d’une Bretagne qui ne marche pas à deux vitesses : une Bretagne de l’est qui se porte plutôt bien et une Bretagne de l’ouest qui soit à la traine. Ce qu’on attendait, nous, ce sont les pouvoirs pour la région. En particulier, les pouvoirs qui soient les pouvoirs réglementés à la région.

On voit bien que notre système centralisé est un peu bloqué. Dans la mesure où chaque fois qu’il y a le problème de ce type, ça remonte au gouvernement, et c’est au gouvernement de gérer tout ce qui se passe dans les régions. Parce qu’il n’y a pas d’échelon intermédiaire comme dans les autres pays d’Europe. Or, nous sommes dans la démocratie où les media ont beaucoup d’importance en France. A partir du moment où les medias ont beaucoup d’importance, ils sont concentres à Paris. Ils ont parfois une lecture partielle des choses. Et on voit bien qu’en ce moment c’est l’ensemble des choses. Qui fait que ça donne à la fois de la crédibilité aux gens du terrain qui soient relayés par les medias nationaux, et, en même temps, cela provoque l’embouteillage au niveau du gouvernement.

On voit bien que le problème de la décentralisation « à la française » est à inventer. Une partie des députés, nous militons pour ça : que la France s’engage dans une réforme qui serait de type fédérale.

LVdlR. En fait, cette Loi de décentralisation a un peu de retard ? Les gens ne veulent plus attendre ?

Paul Molac. Exactement. Nous avons un certain nombre de mesures pour les agriculteurs, par exemple. C’était annoncé depuis le mois de mars. Et pour l’instant on ne voit rien venir. On leur dit : cela va être fait au mois de janvier. Ils disent – comment cela se fait ? Tout le monde est d’accord et ça met pratiquement un an pour pouvoir déboucher. On voit bien : le système est un peu bloqué.

Au niveau de décentralisation – comme on a découpé le projet en trois parties et qu’on a commencé par la métropole, on n’a pas clarifié des choses. Les gens ne savent pas ce qu’il aura dans le deuxième projet, sur les régions. Et dans le troisième projet sur l’autonomie locale. Donc, « sans perspective, sans rien » - c’est un des aspects de cette crise. Ce n’est pas le seul, il ne faut pas le limiter à ça.

Et puis, évidemment, il a la première chose : les plans sociaux. Les entreprises ferment. Sur un territoire relativement restreint de Bretagne, essentiellement en Finistère. Cela provoque une peur, ces gens-là sont dans la détresse. Ils demandent qu’on trouve les solutions pour eux.

LVdlR. On dit que le problème économique n’est pas seulement le problème de la Bretagne, mais d’autres régions se taisent pour l’instant… Pour quelle raison, à votre avis ?

Paul Molac. Je pense que les bretons ont cette faculté de pouvoir s’unir à un moment donne au-delà de leurs différences. Dans la manifestation de Quimper les gens qui y allaient étaient de la droite à l’extrême gauche, et ils avaient les mots d’ordre que je vous ai donné : « Vivre, travailler et décider au pays »

C’est vraiment quelque chose de moteur dans la société bretonne. Ce qui me fait dire que les bretons sont un peuple. A partir du moment qu’on l’affirme, ils ont effectivement la « lutte des classes » qui parfois sont opposes. Mais il y a aussi des moments quand ils se sentent en état d’infériorité, en train de perdre leur substance, ils peuvent faire des actions collectives concrètes.

LVdlR. Rappelons quand-même que cette fameuse écotaxe, qui porte sur les camions, plus polluants que d’autres types de transport, a été mise en place sous Sarkozy. A l’époque, elle a été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

En principe, elle doit permettre de financer le rail ou le transport fluvial. Mais dans cette période de vache maigre le projet de toucher une avance sans un réel avancement est visiblement compromis.

 

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