Références étranges et souvenirs personnels

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Pour pénétrer leur monde il faut prendre son temps, avoir l’esprit disponible, dit un journal français à propos de deux artistes d’origine russe qui proposent actuellement au public parisien leur Étrange cité érigée dans la nef du Grand Palais. En effet Ilya et Emilia Kabakov sont maîtres de l’art conceptuel, un art à décoder, mais qui peut en fin de compte s’avérer spirituel et sensuel, politique mais aussi poétique.

L’exposition se tient dans le cadre de Monumenta, opération destinée à inviter chaque année un artiste d’envergure internationale à se produire sous la verrière du Palais, à occuper l’espace démesuré par un projet inédit. Pour cette sixième édition, le public découvre le dédale d’une ville utopique composée de huit constructions extraordinaires. Chaque bâtiment constitue un monde en soi, du Centre de l’énergie cosmique jusqu’au Musée vide, en passant par une bâtisse au nom mystérieux Comment rencontrer un ange ?

Ilya Kabakov, un des meilleurs artistes russes de nos jours, est connu pour ses installations hors du commun. Mais il semble que cette fois il a voulu construire plus qu’une installation. Lui et sa femme ont souhaité réaliser quelque chose de différent. L’Étrange cité c’est une façon d’insister sur l’expérience plutôt que sur le côté formel du travail en demandant aux visiteurs de ralentir leur course et d’en appeler à leurs émotions, sens et souvenirs. L’Etrange cité est donc une façon de réinterpréter l’imaginaire collectif avec tout ce que cela implique comme fantaisies et représentations sur la vie quotidienne, la culture, le présent et l’avenir.

Ilya Kabakov a franchi l’année dernière le cap des 80 ans. La plus grande partie de sa vie s’est passée en URSS et ses références se trouvent souvent là-bas. C’est pourquoi l’artiste prédilectionne les images de ce monde disparu vues sous un angle ironique. L’un des pavillons de la Cité présente quelques immenses toiles accrochées sens dessus dessous qui ressemblent aux flashbacks d’un vieux film. Une utopie renversée… L’art de Kabakov est en quelque sorte opposé à la fameuse avant-garde des années postrévolutionnaires. L’esthétique de la fin du projet social renie celle de son début. L’Étrange cité se lit comme la nécropole des rêves. Bienvenu au Musée vide, vaste salle où il n’y a rien à trouver, sauf une musique de Bach jouée en boucle. On penserait aux vestiges d’une civilisation ancienne.

Créateur d’installations dont le but est de captiver le regard, Ilya Kabakov n’est pas très connu en France, même si le Centre Pompidou a acquis son œuvre très représentative L’homme qui s’est envolé dans l’espace. C’était à la charnière des années 80 et 90 où l’artiste quittait sa Russie natale en plein désarroi pour aller s’installer ailleurs. La chute du communisme est aussi l’époque de la préparation de sa fameuse Cuisine, installation à fois ironique et mélancolique qui raconte la vie des appartements communautaires soviétiques avec leurs disputes et insultes entre les batteries de casseroles accrochées gracieusement au-dessus des tables alignées. Conçue pour une expo au Japon et terminée en 1994, La Cuisine a déjà fait le tour du monde. Aujourd’hui elle est présentée au musée Maillol de Paris en écho à L’Étrange citédu Grand Palais. Ambiance et émotion garanties.

Les Kabakov sont des rares artistes contemporains dont les œuvres font partie des collections de l’Ermitage, musée qui selon son directeur, s’est ouvert à l’art moderne précisément par leurs travaux. Les experts du célèbre musée ont dû trouver dans cet art inédit une qualité qui en fait un phénomène, quelque chose qui l’inscrit dans une étape novatrice. Selon Kabakov qui est aussi un théoricien, l’art de l’installation comme expression plastique vient succéder à celle de l’icône, de la fresque et du tableau. C’est elle qui constitue maintenant l’espace privilégié de contemplation et de réflexion. Est-ce bien ainsi? Ne construit-il pas là une nouvelle utopie? Nos descendants nous le diront. En attendant n’oublions pas de nous familiariser avec cet art dans des expositions et de feuilleter une sélection inédite de plus de cent dessins d’Ilya Kabakov, texte de Jean-Hubert Martin, qui vient de paraître aux éditions Dilecta.

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