Le Haut-Karabagh – un grain de sable dans les rouages géopolitiques

Le Haut-Karabagh – un grain de sable dans les rouages géopolitiques
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Actuellement, dans le Haut-Karabagh, les hostilités recommencent. Les politologues considèrent que le conflit ukrainien d’une ampleur plus importante, attire l’attention vers soi, l’Azerbaïdjan réessaye de redessiner la carte du monde…

Persécutés, chassés de leurs maisons, partis aux quatre coins du monde, les Arméniens savent très bien ce que cela veut dire de ne pas posséder sa maison. Et c’est le titre d’une chanson arménienne « Sans abri », interprétée par Hayrik Mouradian.

Pour parler des problèmes de Haut-Karabagh, nous avons invité le Directeur de Centre d’Etudes Françaises de l’Institut de l’Europe de l’Académie des sciences de la Fédération de Russie, Youri Roubinski.

La Voix de la Russie. Est-ce que vous pensez vraiment qu’on va maintenant être confronté à la reprise d’hostilités en Haut-Karabagh ? Est-ce vraiment sérieux ? Est-ce qu’on va de nouveau replonger dans la confrontation militaire ? Et est-ce qu’il y a une possibilité d’issu paisible ?

Yuri Rubinsky. J’espère que non, de tout mon cœur. C'est-à-dire ce qu’il se passe en Haut-Karabagh, c’est un conflit ancien entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui dure depuis la dissolution de l’Union soviétique en 1991. Après une guerre courte mais violente et sanglante il y a eu un cessez-le-feu, dans le cadre duquel la situation de fait est que la région du Haut-Karabagh, Artsakh en arménien, reste une région - historiquement et sur le plan ethnique - à majorité écrasante arménienne. Mais qui appartenait pendant longtemps, depuis la création de l’Union soviétique, à la république voisine d’Azerbaïdjan.

Il y avait des Azéri, pas tellement dans le Haut-Karabagh, mais autour. Parce que le Haut-Karabagh était partagé, divisé par un couloir de l’Arménie proprement dit. Au cours des hostilités qui ont suivies la dissolution de l’Union soviétique, ce couloir a pratiquement disparu, et la région du Haut-Karabagh s’est autoproclamée République indépendante. Elle n’a été reconnue par aucun Etat, comme c’était le cas d’ailleurs de la région de Chypre du Nord avec les pouvoirs turcs. Dans ces conditions, il y a une partie peuplé d’Azéris, historiquement adjacent, dont l’Azerbaïdjan a perdu le contrôle. Finalement, au cœur de la confrontation, trois pays ont été désignés pour des raisons historiques, géopolitiques et culturelles. Ils étaient désignés par les Nations Unis pour veiller sur les pourparlers entre les Arméniens et les Azéris sur le sujet du Haut-Karabagh.

C’étaient la Russie, les Etats-Unis et la France. Qui constituent le Groupe de Minsk (capitale de la Biélorussie, où le groupe c’est constitué). Et depuis, ce groupe poursuit ses bons offices pour trouver une solution à l’amiable, décider le sort du Haut-Karabagh et, surtout, les rapports entre les deux voisins. Parce que ce problème a été considérablement compliqué par le sort triste des Arméniens en Azerbaïdjan qui étaient pratiquement tous bannis, et parfois dans des conditions atroces, et vice versa. Pour enjamber cet abime d’incompréhension et d’hostilités, il s’agit pour les pays amis et les responsables de trouver une solution à l’amiable, d’agir maintenant, parce que de temps en temps, et tout dernièrement aussi, il y a eu des échanges de coup de feu.

La situation peut s’enflammer. Pour deux raisons : à côté, au Moyen-Orient la terre flambe partout, en Irak, en Syrie, en Palestine, entre Israël et Gaza. D’autre part, la Turquie est directement impliquée, aussi bien dans les affaires du Moyen-Orient que dans les relations entre la Syrie, qui parle la même langue que la Turquie et sont de même appartenance religieuse (Islamique), et les Arméniens.

Il est évident que le Groupe de Minsk, dont la Russie et la France, ont des responsabilités particulières pour éviter la tournure imprévisible des événements.

LVdlR. Est-ce que la Russie a un droit de regard, une marge de manœuvre par rapport à ce qui ce passe ? La Russie n’est pas limitrophe par son territoire au territoire de Haut-Karabagh. Comment peut-elle intervenir en faveur des Arméniens, qui se font persécuter d’une façon ou d’une autre par la politique Azéri ? Peut-on faire quelque chose pour eux ?

Yuri Roubinsky. La Russie se trouve dans une position délicate. D’abord c’était l’Etat continuateur à la fois de l’Empire russe d’antan et de l’Union soviétique dont les deux Etats en litige ont constitué des Républiques fédérés. Pour la Russie c’est un problème particulièrement difficile.

D’une part, l’Arménie fait partie de l’Union douanière avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, et c’est un pays qui appartient à la communauté des Etats indépendants, qui a pris la place de l’Union Soviétique, mais dans un cadre très formel. Et surtout l’Arménie abrite l’unique base militaire permanente de la Russie dans la Transcaucasie. Dans la région qui compte trois républiques : la Géorgie, avec laquelle la Russie avait dernièrement de mauvaises relations, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Le fait de la présence militaire russe compte beaucoup. D’autre part, sur le plan économique, l’Arménie est un pays enclavé qui a été soumis à un embargo, non seulement du côté de ses voisins de l’Est Azérie mais aussi de la Turquie.

Pour la Russie évidement la solidarité avec le peuple Arménien, qui a tellement souffert dans son histoire, c’est un devoir moral.

D’autre part, les Azéries et l’Azerbaïdjan sont des partenaires très importants pour la Russie au niveau économique. Mais pas seulement économique. La Russie est un pays de culture chrétienne orthodoxe, mais compte au moins 20% de musulmans. L’Azerbaïdjan est un pays laïc et de tradition Islamique. Donc les musulmans russes, c'est-à-dire citoyens de la Russie, ne peuvent pas ne pas ressentir à l’égard de leur voisins Azéris une certaine solidarité. Au même moment, au moins 30-40% d’Arméniens originaires de l’Arménie historique vivent en Russie. Il y en a pas mal en France, aux Etats-Unis et partout ailleurs. C’est la tragédie du peuple Arménien et il faut en tenir compte.

La Russie se trouve dans une situation délicate, difficile, mais qui exige de Moscou une politique équilibrée, qui puisse faire respecter les intérêts des uns et des autres, et trouver une voie moyenne, qui à mon avis est partagée par les autres membres du Groupe de Minsk, y compris la France. La France aussi a une communauté arménienne très importante.

LVdlR. Vous savez que Sergei Lavrov est partit au Kazakhstan en visite officielle, et là aussi les questions du Haut-Karabagh se posent forcément. Parce que la création de la zone Eurasienne économique sous-entend qu’il y a des pays qui vont en faire partie. Du coup, l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont obligés de se départager sur le problème. La Russie s’est finalement portée garant de la participation de l’Arménie et le Kazakhstan - de la participation de l’Azerbaïdjan. Est-ce que le destin du Haut-Karabagh peut être une pierre d'achoppement dans les décisions politiques qui iraient dans le sens du développement de cette Union Eurasienne ?

Yuri Roubinsky. Question très pertinente, parce que l’Union Eurasienne, qui verra le jour formellement l’année prochaine, comprend des pays de tradition chrétienne : la Russie, la Biélorussie et l’Arménie qui est candidate. Et un pays comme le Kazakhstan où il y a quand même une part islamique assez importante. Dans ces conditions, vous pouvez imaginer que la compréhension des uns et des autres pour des protagonistes dans le conflit pourrait avoir des nuances. Mais en fait, c’est sûr et certain qu’il n’y aura pas de conflit sérieux entre les membres de l’Union douanière et la future Union Eurasienne sur ce sujet, parce que chacun, que ce soit Moscou ou Astana (capitale du Kazakhstan), ou Minsk qui a donné son nom au groupe des interlocuteurs privilégiés, sauront trouver des moyens, des formules suffisamment souples pour satisfaire les deux parties et éviter le pire.

De toute façon, l’Union Soviétique au moment de sa dissolution a évité le pire, contrairement à beaucoup d’autres empires européens, dont l’empire français, sans parler de l’empire britannique, portugais, belge, hollandais etc. Elle a quand même évité le sort triste et tragique de l’ex-Yougoslavie qui a sombré dans une guerre de « tous contre tous » avec des résultats catastrophiques qui se font ressentir jusqu’à aujourd’hui. Mais il y a eu des dégâts, par ci par là, dont le Haut-Karabagh. Il y en a eu d’autres, la Transnistrie russophone du côté de la Moldavie, également le problème des conflits internes en Tadjikistan… et j’en passe.

La Russie a quand même su faire la transition « post impériale » d’une façon à mon avis plus confortable, si on peut dire, moins onéreuse que les autres. Je ne parle pas évidemment des sujets délicats comme les guerres d’Indochine ou d’Algérie, il y en avait d’autres. La Russie a évité cela jusqu’à présent, et elle est profondément intéressée à faire de même dans l’avenir.

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