La Suisse doit préserver son principe de neutralité, dixit Hélène Richard-Favre

La Suisse doit préserver son principe de neutralité, dixit Hélène Richard-Favre
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Prise entre le principe historique de neutralité totale qui définit sa politique depuis le Congrès de Vienne (1815) et son ancrage dans la Vieille Europe, la Suisse ne semble plus savoir à quels saints se vouer.

Récemment interrogé sur sa vision de la stratégie ukrainienne de Poutine, Didier Burkhalter, Président de la Confédération helvétique, s’est montré pour le moins évasif. La Suisse, perdrait-elle l’indépassable volontarisme diplomatique qui l’a toujours caractérisé ?

Mme Hélène Richard-Favre, écrivain franco-suisse et bloggeuse de renom, a donné un éclairage détaillé à cette question.

La Voix de la Russie. « Dans votre blog qui est très connu en Suisse, vous problématisez la part de neutralité de la Suisse par rapport à la position que celle-ci adopte vis-à-vis de la politique russe en Ukraine. Pourtant, moi qui ai bien écouté M. Burkhalter, le Président de la confédération helvétique, j’avais plutôt l’impression qu’il recourrait, pour parler de la politique poutinienne, à des lieux communs en disant qu’il ne fallait pas se réfugier dans la violence. La réponse était floue, sans plus. Est-ce que votre sentiment diffère du mien ?

Hélène Richard-Favre. S’agissant de cette interview qui a été sollicitée par la Radio Télévision Suisse Romande, la veille de notre fête nationale du 1er aout, au président de la Fédération, Didier Burkhalter : trois questions lui ont été posées à la fin de l’entretien, des questions relatives à trois personnalités politiques. On lui a demandé ce qu’il leur aurait dit si l’occasion d’une rencontre se présentait. Parmi ces trois personnalités, on a choisi le Président russe, Vladimir Poutine. Une partie de la réponse de M. Burkhalter – comme vous dites « floue » – m’a semblée assez ambigüe. Le passage suivant, « Je dirais à Vladimir Poutine que l’avenir n’est pas dans la violence », laisse supposer que la Russie est du côté de la violence. Cette ambigüité m’a fait réagir parce qu’on est envahi, même en Suisse, par certains médias dont le discours est quand même assez russophobe. Je tiens néanmoins à nuancer parce que certains de nos journalistes tentent d’être objectifs et de mettre des bémols alors qu’en France, on ne ménage pas la Russie. C’était donc juste cette petite réponse « l’avenir n’est pas dans la violence », qui a déclenché en moi une réaction. Elle a finalement débouché sur plusieurs sujets de blog que j’ai écrit à cet égard et surtout sur l’intention d’ouvrir une page Facebook consacrée au concept de neutralité dans le cas de la crise ukrainienne.

Je pense que ce concept est mis en jeu et c’est précisément le titre que j’ai donné à cette page intitulée « Ukraine, le concept de neutralité suisse mis en jeu ». Il s’agit d’un principe extraordinaire qu’il importe de préserver. Pour rappel, il a été énoncé comme garantie de la souveraineté de la Suisse dans le contexte du traité de Vienne qui a été signé par, entre autres, Alexandre 1er . Comme on célèbre cette année le bicentenaire des relations diplomatiques entre la Suisse et la Russie, je pense vraiment que la Suisse a une possibilité remarquable d’exprimer sa position qui diffère de celle de l’Union européenne. Je tiens aussi à préciser que tout ce que j’entreprends comme démarche, j’en fais part au département fédéral des Affaires étrangères qui est le département géré par notre Président. Vous savez que chaque années un conseiller fédéral prend la présidence de la Suisse, on n’a pas de président nominatif. Il se trouve donc que cette année, c’est Didier Burkhalter qui est le chef du département des Affaires étrangère et notre Président. Je tiens à informer le département de mes démarches parce que je veux qu’elles soient entreprises en toute transparence. J’avais d’ailleurs écrit une lettre ouverte au Président suisse juste avant qu’il ne réponde à l’invitation du Président russe, donc de se rendre au Kremlin.

Cette invitation a été envoyée après le drame d’Odessa dont je voulais parler parce que nos médias, suisses aussi, ont parfois tendance à s’aligner sur ce qui se dit en France, entre autre, et pratiquer une rhétorique qui stigmatise souvent la Russie. On parle de « rebelles », de « pro-russes », et puis, en l’occurrence, suite à la tragédie d’Odessa, on a parlé de « personnes mortes ». Ces fluctuations de la rhétorique médiatique ont déterminé le sens de ma démarche. Cette démarche, je l’entreprends en tant que suissesse mais aussi en tant que française. Mon souci consiste à faire comprendre le plus que je peux à mes compatriotes ce que je ressens après chaque séjour en Russie, un pays qui change tout le temps. Bien des personnes s’expriment sur la Russie avec des images, des clichés, des souvenirs etc. Mais heureusement que de grands connaisseurs s’expriment eux aussi. Je pense entre autre à Eric Hoesli, grand spécialiste de la Russie et notamment de la problématique du Caucase. Pour ma part, je tiens toujours à montrer que la Russie est en perpétuelle évolution, que les Russes sont sensibles à tout ce qu’on dit d’eux, et que bien des Russes sont abasourdis par ce qu’ils doivent lire dans la presse occidentale. Je souhaite que mon pays résiste à cette vague russophobe et tienne le cap.

LVdlR. On peut remarquer qu’il y a, dans la majeure partie des pays de l’Union européenne, une sorte de rupture entre ce que disent les médias et l’opinion publique. Est-ce que la Suisse, qui ne fait pas partie de l’Union européenne et qui semble avoir le meilleur système démocratique d’Europe, échappe à ce constat ?

Hélène Richard-Favre. J’en parlais hier avec des personnes que j’ai rencontrées ici, à Genève. Je pense que cette rupture existe en Suisse, qui plus est, elle est très vive en ce moment. Comme je le disais tout à l’heure, certains journalistes s’expriment sur la Russie d’une manière tendancieuse. Certaines émissions font systématiquement des sujets qui visent la Russie mais pas d’une manière toujours positive. L’opinion publique commence vraiment à prendre conscience de ce « courant » visant la Russie et à y réagir de plus en plus. C’est très net et ça s’observe dans les commentaires des articles qui sortent sur différents sites internet et journaux en ligne.

D’ailleurs, je voulais aussi signaler qu’Oskar Freysinger de l’UDC a lancé une pétition visant à préserver le concept de neutralité. Personnellement, je n’ai pas signé cette pétition pour l’instant parce que je n’ai pas envie de me batte sur un plan « partisan », même s’il appelle à un rassemblement. Je pense que le citoyen ordinaire est tout fait capable d’observer ce qui se passe et de réagir. Il est préférable d’éviter toute récupération politique même si la pétition lancée par Freysinger se veut au-delà des partis. C’est pour cela que mon humble démarche vise à sensibiliser n’importe quel citoyen. La Russie a encore une image, parfois controversée, mais en tout cas positive chez beaucoup de citoyens suisse. Inversement, la Suisse jouit encore en Russie d’une bonne image. Ce sont donc ces liens qu’il faut absolument préserver, ce qui est loin d’être facile ».

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