Qui a gagné la Seconde Guerre mondiale? La France se prononce

© Sputnik . Vladimir Grebnev / Accéder à la base multimédiaБерлин. Боец Красной армии водружает Знамя Победы на поверженном рейхстаге
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Tout au long de 70 ans qui nous séparent de la fin de la Seconde guerre mondiale, les Etats-Unis mènent un travail de sapeur visant à réécrire l’histoire. Ils prétendent avoir fait tomber le IIIième Reich et accusent la Russie de vouloir privatiser la guerre.

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Le rôle de l'Armée rouge sous-estimé en Europe
Les tentatives américaines se sont déjà couronnées d'un certain succès: si, pour le moment, les Européens ne croient pas au rôle décisif des Etats-Unis, ils le reconnaissent pour les alliés.

Selon un récent sondage réalisé par l'institut britannique ICM Research dans trois pays, la France, l'Allemagne et l'Angleterre, la majorité de la population pense que ce sont les Etats-Unis qui avaient gagné la guerre. Pour être plus exacte, 61% des Français et 52% des Allemands interrogés. Seuls 13% le reconnaissent à l'Armée Rouge.

«Ce sondage est assez logique et je pense en avoir vu d'autres qui allaient dans le même sens, nous a confié Christophe Bouillaud, expert à Sciences Po Grenoble. La mémoire de la participation soviétique à la Seconde guerre mondiale s'est progressivement estompée. En France, au moment de la guerre elle-même, on savait très bien que le front de l'Est était extrêmement important et la victoire de Stalingrad a été perçue à l'époque comme le tournant décisif. Par contre, il est vrai qu'aujourd'hui, cet aspect a largement été oublié dans l'opinion publique occidentale, parce qu'entre temps, il y a eu la guerre froide durant laquelle seuls les communistes insistèrent beaucoup sur le rôle de l'Union Soviétique dans la victoire, alors que du côté occidental, on insistait surtout sur le rôle des Américains et des Britanniques. C'est la rémanence de la guerre froide qui a fait oublier ce rôle de l'Union Soviétique dans la victoire.»

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Devoir de mémoire?
Qui a gagné la Seconde guerre mondiale? Les opinions divergent. Regardons les statistiques que vous pouvez, d'ailleurs, facilement trouver sur Internet. L'Union soviétique a versé un tribut de 23 millions de morts, dont 17 millions de civils, pour l'emporter contre le nazisme. Et les Alliés? La France n'a perdu que 250.000 militaires et 400.000 civils. Quant aux Américains, le bilan est de 400.000 (dont 180.000 péris sur le front européen). Alors, dites-moi comment les Américains osent-ils prétendre avoir gagné la guerre avec seulement 400.000 soldats contre l'armée hitlérienne de 4 millions d'hommes? Soit, est-ce que le débarquement les alliés en Normandie a joué le rôle décisif?

Rappelons que les Etats-Unis ne sont intervenus sur le front européen qu'en 1944 lorsque l'Armée Rouge reprenait le contrôle. Pourquoi ne l'ont-ils pas fait en décembre 1941, au moment où ils sont entrés en guerre dans le Pacifique? Il semble que les Américains ne pourraient, à aucun prix, laisser l'Union soviétique libérer l'Europe seule: cela signifierait de perdre les gains financiers et politiques. Marc Rousset, auteur du livre «La nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou», pousse cette idée plus loin: «Les Etats-Unis ont fait la guerre pour que l'Europe ne soit ni soviétique ni allemande et non pas pour défendre la liberté des Européens». Toutes les batailles décisives contre le nazisme, les premiers tournants dans la Seconde guerre mondiale furent la résistance héroïque des Russes: victoire de Moscou en décembre 1941, bataille de Stalingrad le 2 février 1943, la gigantesque bataille de chars à Koursk en été 1943, opération «Bagration» en été 1944 et la prise de Berlin en mai 19645, rappelle l'historien espagnol Daniel Trujillo Sanz. Ce sont les événements militaires les plus importants de la Grande Guerre Patriotique, comme on l'appelle en Russie, car tout le peuple s'est levé contre l'agresseur nazi. Selon l'expert, il ne faut pas surestimer le débarquement des alliés en Normandie qui a, certes, accéléré la capitulation allemande mais qui n'est pas comparable avec les batailles susmentionnées.

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L'Europe sous-estime le rôle de l'Armée rouge
Voilà ce qu'en pense Emanuel Dupuy, professeur de géopolitique, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE): «Je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette thèse. Premièrement, le débarquement n'est pas un seul fait décorrélé des autres débarquements, celui en Provence, en Sicile et, auparavant, le débarquement des forces alliées sur le continent africain et notamment la remontée, la prise en compte de la Première Armée française. De ce point de vue, je ne partage pas tout à fait l'affirmation selon laquelle les Russes aient été le seul argument pour débarquer en Normandie. Il faut se souvenir qu'il y avait une pression forte aussi de la part des armées intérieures et que les résistances française, italienne et des Balkans ont aussi contribué à accélérer la fin de la guerre. Je ne suis pas forcément en adéquation parfaite avec ce que dit Monsieur Rousset. Il faut bien avoir à l'esprit que cette guerre a ouvert une nouvelle ère géopolitique. De cette configuration est née une nouvelle coordination d'états avec une nouvelle vocation, à partir de 1949, à créer les Etats-Unis d'Europe qui, huit ans plus tard, ont donné naissance à la Commission Européenne.

Le nouvel ordre mondial est né de cette capacité des états à se coaliser. On a bénéficié de ce système de régulation, de gouvernance, composé de coalitions. Des traités internationaux ont été signés: traité de Bretton Woods, traité de l'Atlantique de Washington, — et ont, au moins durant les 50 années qui ont suivi, structuré les relations internationales selon un système d'équivalence, de puissance, entre, d'un côté, le bloc occidental et, de l'autre, le bloc soviétique.»

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Seconde Guerre mondiale: l'Occident condamne à l'oubli ses propres soldats
Il est vrai que la thèse de M. Rousset peut être projetée dans le cadre actuel. Il s'agit d'une certaine opposition entre le bloc occidental et le bloc «russe». Dans ce contexte, la pression que les Etats-Unis exercent sur les dirigeants européens pour ne pas assister à la Parade à Moscou en l'honneur du 70ème anniversaire de la victoire du nazisme sonne le glas de la «non-privatisation» de la victoire.

C'est un moyen d'officialiser la réécriture de l'histoire. Se rendre à Moscou pour la célébration du 9 mai signifie de reconnaître le rôle décisif de l'Union soviétique.

En ce qui concerne la participation française et surtout le niveau de participation, Emmanuel Dupuy y voit une composante politique dangereuse liée à la crise ukrainienne: «Pour l'instant, je ne sais pas justement la position française, mais si tant est que la France ne participait pas, ce serait un très mauvais signal. Premièrement, parce que le président Poutine était présent à Ouistreham le 6 juin 2014, tout comme l'ensemble des participants à la Victoire, que ce soient les Polonais, les Néo-Zélandais, les Australiens.

Ce serait d'autant plus un mauvais signal, car je crois qu'il ne faut pas mélanger l'histoire avec la géopolitique ou, du moins, une histoire avec la réalité du rapport, certes, conflictuel et conjoncturel avec la Russie.

Je n'ai pas la certitude que la France ne s'y rende pas. Mais au moment où l'on essaie de dialoguer avec la Russie pour trouver une issue au conflit ukrainien, où l'on se félicite du fait que le président Poutine, la chancelière Merkel et le président Hollande aient pu obtenir un accord de cessez-le-feu il y a de cela 2 mois à Minsk, je trouverais cela comme une sorte de rupture dans l'esprit de conciliation, de réconciliation qu'est celui que la France, comme d'autres pays européens, devrait engager.»

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«Toutes ces commémorations des grandes victoires du passé sont toujours l'objet de politisation ainsi que de relectures plus ou moins exactes, conclut Christophe Bouillaud. Après, je pense qu'il s'agit d'une maladresse, dans le mesure où il y a eu des accords signés à Minsk qui ont largement calmé le jeu en Ukraine et cela aurait pu être un signe de baisse des tensions internationales d'aller à Moscou pour ces célébrations. Vous savez qu'il y a eu une rencontre entre François Hollande et Vladimir Poutine en Arménie à l'occasion de la célébration du centenaire du génocide arménien, c'est une façon de faire baisser la tension internationale entre la Russie et ses partenaires occidentaux. La France ne voudrait pas être le seul allié occidental à se retrouver présent et elle donc doit essayer d'estimer qui va venir à ces célébrations, sachant que probablement les américains sont absents, mais pour l'instant je pense qu'ils vont garder la porte ouverte jusqu'au dernier moment, parce que je suppose que les autorités russes seront prêtes à les accueillir jusqu'au dernier moment. Il faut aussi voir qu'il y a un effet de symétrie, Vladimir Poutine a été invité aux 70 ans du débarquement de Normandie, l'année dernière, qu'il a été présent, qu'il s'y est rendu, donc c'était sur le territoire français, la France était hôte. Donc je pense que pour la France il y a vraiment un problème de réciprocité vis-à-vis de la Russie mais en même temps de ne pas se singulariser vis-à-vis des autres alliés occidentaux.»

 

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