L’idée européenne, entre dépérissement et sursaut

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Suite à la publication d’un sondage ICM Research pour Sputnik consacré à l’euroscepticisme, Sputnik s’est entretenu avec Cyrille Bret, Maître de conférences à l’Institut d'études politiques de Paris.

Le sondage commandé par Sputnik est particulièrement riche d'enseignements.
Premièrement, il montre la diversité des euroscepticismes et de leurs motivations: rejet de la classe politique locale ou montée de l'immigration internationale; désamour des fédéralistes ou réaction des nationalistes. 
Deuxièmement, il souligne que, si l'Europe du sud attend plus de politiques sociales, les autres pays membres attendent davantage de compétences nationales et moins de redistribution.
Enfin, il indique combien le Royaume-Uni est un cas à part dans la construction européenne et laisse présager des débats nourris dans la perspective du référendum de l'année prochaine.

La montée de l'euroscepticisme
Le scepticisme et l'insatisfaction à l'égard de la construction et des institutions européennes sont devenus des constantes de la vie politique nationale et européenne depuis le début des années 1990. En 1992, l'adoption du Traité de Maastricht fut déjà difficile. En 2005, l'échec du Traité constitutionnel européen, en raison des votes néerlandais et français, a fait apparaître le désenchantement envers le rêve européen, non seulement dans des pays traditionnellement réticents (Royaume-Uni, Suède, Danemark) mais aussi au sein des pays fondateurs de l'Union européenne: l'Italie, avec la Ligue du Nord, les Pays-Bas avec les mouvements populistes ayant abouti au PVV, ainsi que la France, avec le Front national mais aussi les partis altermondialistes, communistes et socio-souverainistes.
La particularité de l'euroscepticisme actuel est qu'il traverse tous Etats-membres, à l'est et à l'ouest, au sud et au nord, dans les nouveaux Etats membres et dans les anciens membres des Communautés, comme l'indique bien votre sondage.

Comment expliquer cette tendance?
Cette tendance paraît générale, transversale et uniforme. En réalité, elle est composite. Comme l'indique la composition du groupe parlementaire « Europe des Nations et des libertés » qui vient de se constituer au Parlement européen. Entre le PVV de Geert Wilders, essentiellement islamophobe mais libéral et le Front national, souverainiste et colbertiste, entre la Ligue du Nord, régionaliste et anti-redistribution et le FPÖ autrichien, fondamentalement traditionnaliste, les points de convergence programmatique sont rares: l'hostilité envers les élites économiques, politiques et culturelles de chacun de ces pays, la crainte de l'islam et l'incompréhension des institutions de Bruxelles sont des sujets d'accord évidents. Mais aucune ligne commune sur la réforme de l'Europe n'émerge, pour le moment.
Votre sondage montre bien les différences d'approches entre les Britanniques, les Espagnols et les Français. Les Espagnols placent les promesses non tenues en tête de leurs préoccupations, à 57%. C'est un mouvement qui concerne bien plus les gouvernements nationaux successifs (Aznar, Zapatero et Rajoy) des années 2000 et 2010 en matière de chômage des jeunes que les institutions européennes qui ont tenu la plupart de leurs promesses depuis l'intégration de l'Espagne en 1986.
Dans la période récente, l'euroscepticisme est sorti renforcé de deux phénomènes qui ont agité l'Europe à défaut de toucher les Etats membres de la même façon: les politiques d'austérité qui sont apparues comme dictées par Bruxelles et par Berlin et les vagues d'immigration clandestine et illégalité, qui sont présentées comme des atteintes à l'identité du continent. Ceux deux phénomènes alimenteront les euroscepticismes pour longtemps encore, comme on le comprend à la lecture de votre sondage.
Il y a presque autant de variétés d'euroscepticismes qu'il y a de pays: l'euroscepticisme n'est pas encore un parti unifié autour d'un projet alternatif.

Quelles peuvent en être les conséquences pour l'Europe?
Les conséquences se sont déjà fait sentir: rejet du Traité constitutionnel européen et donc point d'arrêt pour la fédéralisation de l'Europe; la méfiance à l'égard des élites de Bruxelles est durablement installée; la difficulté à constituer des équipes de commissaires est récurrente depuis la commission Santer; la remontée de l'intergouvernemental consacre le reflux de la méthode communautaire; le budget européen (minime à 1% du PIB) est contesté. Mais les conséquences se sont également fait sentir de façon plus positive: désormais, les commissaires européens et le président Juncker ont pour priorité de faire comprendre et de faire aime l'Europe.
La montée de l'euroscepticisme institutionnel (au Parlement, dans les gouvernements nationaux) peut jouer dans deux sens: soit consacrer une dissolution lente du projet puis des politiques et enfin des institutions européennes, notamment en cas de Grexit et de Brexit; soit inviter les gouvernements à un sursaut européiste.
Les conséquences de l'euroscepticisme se sont fait sentir partout en Europe, à Bruxelles et dans les capitales nationales. Elles peuvent conduire à un dépérissement graduel de l'idée européenne, en cas de Brexit. Elles peuvent également déclencher un sursaut.

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