L'exécution de Saddam Hussein, était-elle nécessaire?

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Par Marianna Belenkaïa, RIA-Novosti

MOSCOU, 30 décembre - RIA Novosti. L'ex-président irakien Saddam Hussein a été exécuté samedi matin à Bagdad. L'exécution d'un chef d'État, même déchu, est un événement extraordinaire qui pourrait avoir des réactions très différentes.

D'une part, le procès de Saddam Hussein est un message très important pour tous les chefs d'État qui devraient tôt ou tard répondre de leurs actes. Personne ne doit bénéficier d'une immunité juridique concernant les crimes pareils à ceux commis par Saddam Hussein. D'autre part, les extrémistes pourraient profiter de son exécution dans un Irak en plein chaos sécuritaire pour faire monter la tension en Irak et dans l'ensemble du Proche-Orient.

D'autant plus qu'on s'interroge sur la légitimité du jugement. Saddam Hussein a, sans doute, commis des crimes contre son peuple. Des centaines d'Irakiens ont demandé au gouvernement de leur permettre d'exécuter le verdict pour venger personnellement leurs proches morts sous le régime de Hussein. Les kurdes et les chiites irakiens, les opposants politiques de l'ex-dictateur, les Iraniens et les Koweïtiens pourraient donc saluer le triomphe de la justice quels que soient leur nationalité ou religion.

Mais cette justice a un goût amer. Rappelons le récent décès d'un autre dictateur - Augusto Pinochet. On n'a pas réussi à condamner Pinochet accusé de crime de génocide. Le procès a été annulé en raison de son âge avancé. Des centaines de personnes ont déploré que le dictateur soit mort sans avoir été jugé. Ce n'est pas sa mort qui importait pour eux, mais la justice, le juste châtiment.

La situation autour du procès de Saddam Hussein est pratiquement la même. D'ailleurs, le dictateur irakien a été jugé, mais le procès n'a pas été achevé.

Saddam Hussein a été reconnu coupable et condamné à la peine capitale pour un seul crime - l'exécution et la disparition de 148 civils chiites du village de Doujaïl, à 60 km au nord de Bagdad, en 1982. Dans le même temps, d'autres chefs d'inculpation étaient retenus contre Hussein et ses coaccusés dans le cadre du procès Anfal. Saddam Hussein était jugé pour l'utilisation d'armes chimiques pendant la campagne Anfal qui avait causé la mort de 182.000 Kurdes en 1987-1988. Il devrait aussi être jugé pour d'autres chefs d'accusation.

Certes, ces procès pourraient continuer après l'exécution du dictateur. Mais il est peu probable que les juges puissent établir ce qui s'est vraiment passé en Irak. Saddam Hussein est sans doute responsable du massacre des milliers d'Irakiens et de la guerre contre le Koweït et l'Iran qui ont été organisés à son instigation ou avec son consentement tacite. Mais ce n'était parfois qu'une partie d'un grand jeu régional. Fin décembre, les juges du procès Anfal ont notamment entendu les ordres donnés par le général Nazar Abdelkarim Al-Khazraji aux commandants du 1er et du 5e corps de l'armée irakienne. Le général avait ordonné aux officiers irakiens de "collaborer avec la partie turque conformément au protocole de coopération". Les détails du protocole n'ont pas été divulgués. Il n'y a eu jusqu'ici aucune confirmation officielle de la coopération entre Ankara et Bagdad dans le génocide des Kurdes. Mais si on en trouve des preuves, les conséquences pourraient être imprévisibles.

Le procès de Saddam Hussein pourrait apporter d'autres surprises.

Les médias affirment souvent que les États-Unis ont pratiquement donné leur feu vert à l'invasion du Koweït en 1990. On dit que Saddam Hussein a mené des consultations avec l'ambassadrice des États-Unis en Irak April Glaspie à la veille de la guerre et que Mme Glaspie a déclaré que son pays ne s'intéressait pas aux conflits arabes tels que le différend frontalier entre l'Irak et le Koweït.

Le conflit frontalier a pourtant dégénéré en guerre. C'était le début de la fin pour Saddam Hussein. Il est devenu l'ennemi numéro un pour Washington. Pourtant les relations américano-irakiennes avaient été en plein essor avant la guerre du Golfe. Une délégation de sénateurs américains s'était rendue en Irak quelques mois avant la guerre pour assurer Bagdad des bonnes grâces de Washington. Rappelons que cette visite a été organisée après la mort des chiites dans le village de Doujaïl et après l'attaque aux armes chimiques contre les Kurdes. Les États-Unis, ne savaient-ils rien à ce sujet? D'ailleurs, ce n'est pas étonnant. Ce n'est qu'un exemple qui montre que la communauté internationale ferme les yeux sur la situation dans un tel ou tel pays en raison d'intérêts politiques. L'histoire irakienne compte des dizaines d'exemples pareils. Et les Kurdes irakiens sont les plus mal placés. Les États-Unis leur ont notamment joué plusieurs mauvais tours.

Saddam Hussein devrait donc partager la responsabilité des crimes avec beaucoup de personnes en Irak et à l'étranger tout comme le dirigeant de n'importe quel pays. Mais cela ne sera plus important après sa mort. Le dictateur a emporté beaucoup de secrets dans sa tombe. Pourtant on aurait pu tirer beaucoup de leçons historiques pendant le procès de Saddam Hussein.

A présent, Washington parle d'une nouvelle époque dans l'histoire irakienne. Les Irakiens pourront remplacer les normes établies par le tyran par des normes juridiques, selon les Américains. Serait-ce vrai?

Des organisations de défense des droits de l'homme et des juristes de renom mettent en doute la légitimité du jugement prononcé à l'encontre de Saddam Hussein.

Le procès organisé au moment où des troupes étrangères se trouvent sur le sol irakien ne peut pas être indépendant. Le procès équitable s'est transformé en règlement des comptes. Cela ne peut pas servir de base pour la construction d'une société démocratique. Qui plus est, ceux qui souhaitent réécrire l'Histoire pourront toujours présenter Saddam Hussein comme un héros.

D'ailleurs, il s'est déjà qualifié de martyr avant l'exécution de la peine. Il n'est pas exclu que les Irakiens, excédés par le chaos régnant dans leur pays, se souviennent de leur ancien dictateur avec nostalgie. Ce ne serait pas un fait nouveau dans l'histoire mondiale.

(L'avis de l'auteur peut ne pas coïncider avec celui de la rédaction.)

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