Jaurès Alferov: l'avenir est à l'énergie solaire

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Tatiana Sinitsyna, commentatrice de RIA Novosti, s'est entretenue avec le prix Nobel de physique Jaurès Alferov, vice-président de l'Académie des sciences de Russie, président du Centre scientifique de Saint-Pétersbourg
Tatiana Sinitsyna, commentatrice de RIA Novosti, s'est entretenue avec le prix Nobel de physique Jaurès Alferov, vice-président de l'Académie des sciences de Russie, président du Centre scientifique de Saint-Pétersbourg

T.S.: Vous vous êtes rendus récemment en Inde, pour la deuxième fois après un long intervalle. Quelles impressions avez-vous ramenées de ce voyage? Peuvent-elles être comparées à celles de vingt ans d'ancienneté?

J.A.: Effectivement: il m'est assez difficile de faire une comparaison parce que ces déplacements en Inde espacés de deux décennies étaient de trop courte durée. La première fois, en 1987, je m'étais rendu dans ce pays au sein d'une délégation de chercheurs soviétiques représentant l'Académie des sciences qui à l'époque était présidée par Gouri Martchouk. Le programme était finalisé: ma mission s'était limitée à une prise de connaissance de l'activité de centres d'études militaires de New Delhi et de Haidarabe. Cette année, je n'ai pas eu l'occasion de me rendre dans des centres de recherche. Malheureusement, je n'ai pas pu non plus aller à Bangalore réputé par ses centres techniques. J'espère pourtant réussir un jour à voir tout cela et pouvoir ainsi porter un jugement. Dans l'ensemble, mon dernier voyage a été intéressant, j'ai eu beaucoup de rencontres passionnantes avec des chercheurs avec lesquels j'ai beaucoup discuté. Les échanges d'informations ont été fructueux.

T.S.: Qui a été l'initiateur de ce voyage?

J.A.: En tant que prix Nobel de physique, j'avais été invité par le Centre de philosophie et la Fondation des sciences de l'Inde pour donner des conférences dans le cadre d'un festival Albert Einstein. Tout autorise à penser que cette manifestation se tiendra régulièrement en Inde. Les Indiens avaient également invité le professeur anglais Anthony Leggett, honoré en 2003 du prix Nobel pour ses recherches dans le domaine de la physique des quantas (conjointement avec les chercheurs russes Vitali Guinzbourg et Alexeï Abrikosov). Anthony Leggett et moi-même avons donné des conférences à New Delhi et à Madras.

Dans cette dernière ville je me suis rendu à l'Université technique. Je pense qu'en la matière il s'agit-là du plus grand établissement d'enseignement au monde. Environ un demi-million d'élèves y sont inscrits, on recense 270 campus dans sa structure. On ne peut que se féliciter en voyant la grande attention attachée par l'Inde à l'éducation. Cependant, à l'Université technique aussi je me suis entretenu essentiellement avec les dirigeants, je n'ai pas eu l'occasion de visiter des laboratoires.

T.S.: A New Delhi vous avez été reçus par le président indien, Abdul Kalam, et l'entretien a été assez prolongé.

J.A.: Effectivement, à New Delhi j'ai rencontré le chef de l'Etat, monsieur Abdul Kalam, un savant de renom, directeur du programme balistique indien. Je voudrais recourir ici à la métaphore et dire que monsieur Kalam est un peu le "Korolev indien"*. Cette rencontre avait été assez inattendue pour moi: l'ambassade de Russie m'avait téléphoné pour m'informer que monsieur Kalam souhaitait s'entretenir avec moi. C'est un homme d'envergure, une personnalité politique de premier plan, ayant accédé à la magistrature suprême, et il est évident que les problèmes énergétiques le préoccupent tout particulièrement. Je pense qu'il était au courant de mes inclinations scientifiques et qu'il voulait me rencontrer pour débattre de questions ayant trait à la transformation de l'énergie solaire.

T.S.: Pouvez-vous évoquer plus en détail l'objet de la discussion?

J.A.: Les 40 minutes qu'a duré notre entretien ont porté sur un seul et même thème, à savoir la transformation de l'énergie du Soleil à partir de batteries solaires et d'hétérostructures siliciques et semiconductrices. Il s'agit-là d'un problème d'une importance exceptionnelle pour l'humanité. Mon interlocuteur maîtrise la matière, il connaît bien les recherches russes effectuées dans le domaine des hétérostructures semiconductrices. J'ai été très heureux de constater qu'avec le président indien il était possible de converser librement à un niveau professionnel élevé.

T.S.: On sait que monsieur Kalam est aussi un partisan de l'électronucléaire et qu'il a annoncé la réalisation d'un vaste programme de construction de centrales nucléaires dans le pays.

J.A.: Effectivement. Pour l'instant il n'y a pas d'alternative à l'énergie atomique. Mais il ne fait aucun doute que dans quelques dizaines d'années l'électronucléaire sera évincé par l'énergie solaire qui est l'avenir du monde. Et elle sera maitrisée principalement au moyen des hétérostructures semiconductrices. Il est vraiment dommage qu'en Russie l'électronique semiconductrice et l'industrie des matériaux semiconducteurs périclitent. A l'époque soviétique nous menions des recherches actives en vue d'obtenir du silicium semiconducteur. Et aujourd'hui il faudrait investir énormément pour que la Russie retrouve sa place parmi les pionniers dans ce domaine.

Votre dialogue avec le président indien a sûrement été intéressant, mais les points de vue ont-ils toujours coïncidé?

J.A.: La compréhension réciproque était bonne, c'était une conversation de professionnels. A un certain moment il y a eu une petite divergence d'ordre technique, et je n'entrerai pas ici dans des détails. Quoi qu'il en soit monsieur Kalam a consulté ses experts, après quoi il s'est rangé à mon avis.

T.S.: Quelle impression vous a faite la personnalité d'Abdul Kalam?

J.A.: C'est une personne charmante, très agréable, avec laquelle il est intéressant de converser. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je n'ai pas remarqué le temps passer. Monsieur Abdul Kalam possède des connaissances étoffées, c'est un ingénieur physicien avec lequel on peut aborder aisément n'importe quel sujet professionnel. Il faudrait se réjouir si les présidents des autres pays étaient des gens de ce niveau.

T.S.: Monsieur Kalam emploie souvent dans ses discours le terme "intelligence du pays". Estimez-vous que la coopération des "deux intelligences", celles de l'Inde et de la Russie, pourrait s'avérer fructueuse?

J.A.: La science est internationale de par sa nature et pour les chercheurs les frontières n'ont jamais existé, par conséquent une association des intelligences est par définition une chose utile et productive pour le progrès de la civilisation. Pour ce qui est des scientifiques, l'Inde possède assurément d'une composante hautement qualifiée. Elle aligne de nombreuses sommités. Par exemple, il n'est pas de physicien dans le monde qui ne connaîtrait les noms des prix Nobel Chandrasekhara Raman et Satyendranath Bose. Cependant, actuellement de nombreux chercheurs indiens travaillent non pas chez eux, mais aux Etats-Unis. J'avais de très bons contacts professionnels avec monsieur Aruno Chelam, un responsable du ministère indien de la Défense pour les technologies et les armements. Un spécialiste hors de pair de l'étude des matériaux. Actuellement il enseigne en Amérique.

T.S.: L'Inde est en pleine période de boom scientifique et technologique. Vous partagez ce point de vue?

J.A.: Mon impression est malheureusement superficielle, je ne connais pas assez ce pays "de l'intérieur" comme on dit. J'ai beaucoup plus d'impressions sur la Chine où les recherches scientifiques sont menées à grande échelle. Mais si l'on parle de l'Inde, de ce qui s'y fait dans des domaines très importants et proches de moi - les technologies semiconductrices, la physique des semiconducteurs, la microélectronique et l'optoélectronique - alors il est évident que le pays a le vent en poupe. Je pense que la coopération de la Russie et de l'Inde sur cet axe serait très utile.

* Sergueï Korolev. Savant et constructeur, père du premier satellite artificiel de la Terre et aussi du premier vaisseau spatial habité Vostok, qui avait emporté dans l'espace le premier cosmonaute au monde, Youri Gagarine.

L'avis de l'auteur ne coïncide pas forcément avec celui de la rédaction.

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