Dmitri Medvedev défendra-t-il les intérêts de la Russie dans le monde avec la même intransigeance que Vladimir Poutine?

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Le 7 mai 2008, la prestation de serment du président Dmitri Medvedev, élu le 2 mars dernier, aura lieu à Moscou. Défendra-t-il les intérêts internationaux de la Russie avec la même intransigeance que son prédécesseur Vladimir Poutine? Telle est la question posée par RIA Novosti à des hommes politiques, des journalistes, des politologues et des experts étrangers.

Isabelle Facon, Chercheur, Fondation pour la Recherche stratégique:

Cette question est intéressante car M. Medvedev a rappelé à plusieurs reprises que la politique extérieure relève de l'autorité présidentielle, ce qui signifie qu'il compte assumer pleinement cette fonction. Mais c'est aussi une question un peu difficile dans le sens où M. Medvedev ne s'est pas encore beaucoup exprimé sur ce sujet. Sur les questions qui ont provoqué les plus fortes tensions avec les pays occidentaux au cours des derniers mois - Kosovo, projets antimissiles des Etats-Unis en Europe, élargissement de l'OTAN... - il a d'ores et déjà souligné sa proximité de vues avec M. Poutine.

Sur l'utilisation de l'énergie comme outil de puissance et d'influence, voire de pression, il ne s'est pas ouvertement prononcé, mais il semble difficile d'imaginer qu'en tant que président du Conseil de direction de Gazprom, il soit totalement étranger à cette politique.

Les choses pourraient changer sur la forme. Il n'est pas un ancien du KGB. S'il parvient à se libérer quelque peu de l'emprise des "siloviki", sa ligne diplomatique pourrait s'avérer moins systématiquement accusatrice de la volonté des Occidentaux de miner les intérêts de la Russie. De plus, les échéances électorales étant passées, le pouvoir a moins besoin de la rhétorique de "résistance" aux puissances occidentales pour séduire l'électorat russe.

Mais sur le fond, les changements ne devraient pas être profonds. Car la politique de Vladimir Poutine, reposant sur la défense de l'indépendance, de la souveraineté et sur la primauté de l'intérêt national, n'est pas un phénomène conjoncturel: elle est approuvée par une vaste majorité de l'élite politique et de l'opinion publique russes. Cette ligne ne concerne d'ailleurs pas seulement les relations avec l'Occident, mais aussi avec d'autres puissances, en premier lieu la Chine.

Jean Radvanyi, Professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales de Paris (INALCO):

Je suis tout à fait certain que M. Medvedev aura à coeur de défendre aussi bien les intérêts de la Russie en politique extérieure que son prédécesseur.

Laure Delcour, Directrice de recherche à l'IRIS:

Je pense que M. Medvedev sera très attaché à la défense des intérêts de la Russie, mais que sa conception de ces intérêts et surtout la façon dont il va les défendre seront différentes de celles de Vladimir Poutine.

Prof. Docteur Rik Coolsaet, Professeur de politique internationale, Université de Gand:

En huit ans, Vladimir Poutine a transformé la Russie d'un partenaire junior subordonné aux Etats-Unis en une grande puissance consciente qui affirme ses intérêts de façon assertive, mais qui en même temps n'a jamais douté de pouvoir coopérer avec l'Occident. Beaucoup d'observateurs n'ont eu d'yeux, ces dernières années, que pour le premier et ont plusieurs fois exprimé la crainte que la Russie et l'Ouest se dirigent vers une nouvelle guerre froide.

Ce n'est pas une vision purement occidentale. En avril 2005, le Program on International Policy Attitudes (PIPA) a demandé à 23.000 personnes dans 23 pays quel était leur sentiment vis-à-vis de la Russie. Dans 5 pays seulement une majorité de gens ont jugé la Russie de façon positive, mais dans 14 pays celle-ci a été jugée de façon négative. Le président russe, Vladimir Poutine a perdu en quelques années beaucoup de sa popularité, pas dans son propre pays, mais bien auprès de l'opinion publique internationale. Dans quelques pays seulement (dont  la Chine) il jouissait d'une certaine confiance pour ce qui était de son rôle dans la politique mondiale. Mais il faut le dire: il est frappant de constater à quel point la popularité des dirigeants des grandes puissances a diminué ces dernières années - certainement ces mêmes puissances qui sont associées à une politique de force assertive, "hard power".

Est-ce que Medvedev mettra plus en avant la dimension "soft power" que son prédécesseur? Il est trop tôt pour pouvoir y répondre. Mais si l'histoire des grandes superpuissances doit nous apprendre une seule leçon, c'est bien que le soft power est essentiel pour pouvoir jouer un rôle de grande puissance. La force militaire est parfois essentielle, mais dans la plupart des cas insuffisante pour pouvoir s'attribuer le titre de "grande puissance" sur cette base uniquement. La force économique et l'influence politique sont aussi importants, voire même plus importants à terme, que la puissance militaire pour pouvoir jouer un rôle de format mondial.

Ce que D. Medvedev ne changera pas c'est le courant principal de la politique internationale de la Russie, tel que son prédécesseur l'a dessiné. Souvent on fait appel au discours que V. Poutine a tenu en février 2007 à Munich. Ce discours illustre deux développements fondamentaux. D'un côté apparait un sentiment d'assurance retrouvée et même de fierté vis-à-vis de ce qu'est devenue la Russie après les années désastreuses et humiliantes du règne d'Eltsine. Le rétablissement de l'unité interne du pays, le retour de la confiance dans un avenir international et national, la relance économique et l'arrivée d'une classe moyenne grandissante forment une base stable, interne pour une politique étrangère lucide. Que cela plaise ou non à l'Occident, on ferait mieux de tenir compte du fait que cela ne changera pas avec le président D. Medvedev.

Mais d'un autre côté, ce discours illustre également le choix que la "nouvelle" Russie offrait à l'Occident. Beaucoup en Occident ne tiennent pas compte de cet aspect. Poutine s'y est affiché en défenseur du rôle central des Nations Unies dans le domaine de paix et de la sécurité internationale. Il s'est prononcé en faveur d'un renforcement du multilatéralisme, d'un régime de non-prolifération et de non militarisation de l'espace et du droit international en général. Mais il a suggéré en même temps la possibilité d'instaurer un ordre mondial alternatif, construit autour des pays grandissants. Des alliances régionales autour de pays forts, tels la Russie, la Chine, l'Inde et le Brésil, pourraient former la base d'une nouvelle architecture économique et politique qui reflèterait la force grandissante des pays croissants et l'influence décroissante de l'Occident, a-t-il spécifié quelques mois plus tard. Il s'agit presque d'une copie exacte de l'ordre mondial du XIXème siècle, bâti autour de joueurs principaux forts avec chacun ses zones d'influence.

L'Occident sous-estime la façon dont le monde se présente, vu par des yeux russes. La guerre en Iraq, l'élargissement de l'OTAN vers l'Est (maintenant éventuellement avec l'Ukraine et la Géorgie), les discussions au sujet du bouclier anti-missile, la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo sont autant d'exemples du comportement unilatéral et assertif de l'Occident qui ne veut pas tenir compte des intérêts légitimes russes, comme les voit Moscou. Cela rend-il une collaboration durable entre l'Occident et la Russie impossible? Pas nécessairement, mais cela reflète bien comment la Russie -dans la pure tradition du ministre des Affaires étrangères de Grande Bretagne, Lord Palmerston - a opté pour une coopération quand cela est possible et une confrontation si cela n'est pas possible autrement.

Le choix qui se posera toujours dans les décennies à venir est en somme le même que dans les temps passés. Les grandes puissances opteront-elles pour exploiter des brasiers régionaux et des conflits dans leurs propres intérêts - ou bien choisiront-elles une gestion commune de ceux-ci? Jusqu'à quel point seront-ils prêts à faire des compromis pour combiner leurs propres intérêts avec les intérêts des autres puissances? Jusque où ira-t-on dans la reconnaissance que les autres grandes puissances ont aussi des intérêts légitimes et parfois d'autres opinions dont il faudra tenir compte? Ce dernier fait est une question cruciale pour la stabilité de la politique mondiale d'aujourd'hui et demain: les grandes puissances se voient-elles comme des concurrents ou comme des partenaires avec des intérêts légitimes, même si elles ne sont pas toujours d'accord?

Le courant principal de la politique mondiale montrera à nouveau dans les années à venir un schéma changeant de coopération et de confrontation, dépendant du thème et des intérêts qui seront alors en jeu.

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