Economie mondiale: la philosophie de l'apocalypse

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Par Vlad Grinkevitch, RIA Novosti
Par Vlad Grinkevitch, RIA Novosti

La crise financière qui a commencé il y a un an est aujourd'hui entrée dans une nouvelle phase: l'Amérique a été secouée par une série de faillites de grandes compagnies financières. Les derniers événements - le rachat de Merrill Lynch et la faillite d'une autre banque d'investissement, Lehman Brothers - a poussé les économistes à évoquer le début d'une crise profonde, qui ne saurait être comparée qu'à la Grande Dépression. Certains sociologues et historiens y voient même le début de l'effondrement de "l'Empire américain", voire peut-être de l'ordre mondial tout entier.

Bien que Lehman Brothers ait perdu 90% de sa capitalisation depuis le début de l'année, les investisseurs ont espéré jusqu'au tout dernier moment que le géant financier pourrait être sauvé; qu'il serait, par exemple, racheté sous garantie de l'Etat. On s'acheminait justement vers ce scénario, mais au dernier moment, les acheteurs potentiels, à savoir la banque britannique Barclays et la Bank of America, ont retiré leurs offres. On entend dire que le gouvernement américain n'aurait pu se décider à accorder des garanties pour les dettes de la banque, notamment en ce qui concerne les obligations à long terme pour un montant de 128 milliards de dollars.

Les observateurs n'en doutent pas: cette série de banqueroutes (onze grandes compagnies ont fait faillite depuis le début de la crise) est loin d'être terminée; ils prédisent la fermeture à venir de centaines voire de milliers de compagnies financières. L'ancien président de la Réserve fédérale américaine Alan Greenspan a déjà qualifié l'actuelle crise financière de plus grave crise depuis la Seconde Guerre mondiale.

Personne n'ose, semble-t-il, avancer un pronostic précis sur les conséquences qu'aura cette crise pour les Etats-Unis. Cependant, l'Histoire connaît bien des exemples où un énorme empire international, réunissant toute une partie du monde par le biais de sa langue, de son idéologie, de sa religion, de son modèle d'administration et de son économie, s'est écroulé en raison de la complexité de sa propre structure.

Un principe, très simple au premier abord, est à la base de la plupart des économies (et les Etats-Unis ne sont, à ce titre, pas une exception): la demande stimule l'offre. Cependant, dans le contexte d'une production massive, la surabondance de l'offre est capable d'engendrer sa propre demande. Ce processus se répète constamment, menant à une croissance illimitée du système économique. Mais stop! Aucun système n'est capable de croître indéfiniment. Tant que l'Amérique utilise les ressources pratiquement du monde entier, son économie assure aux Américains des normes élevées en matière de consommation, mais dès que les flux de ressources, pour telle ou telle raison, seront coupés ou du moins diminués, le système sera voué à la disparition.

Seule une réforme qualitative est susceptible de le sauver. Dans les années 1980, les futurologues occidentaux ont inventé la théorie salvatrice de la "société postindustrielle", un analogue du communisme dans les conditions du marché. Il était prévu qu'une série de découvertes scientifiques et de percées technologiques permettrait de résoudre un tas de problèmes économiques, écologiques et démographiques accumulés jusque-là, en neutralisant de surcroît la quasi-totalité des contradictions sociales existantes. La principale caractéristique de la "société de l'information" - comme on a également désigné cet avenir radieux - consistait dans le rôle exceptionnel de l'enseignement et de la science; et le maillon central de son économie technique devait être représenté par une université ou un centre de recherche et d'innovation, qu'on appelle aujourd'hui un "technoparc", et non par une entreprise industrielle.

Or, la réalité ne correspond pas à ce qu'avaient prévu les "capitalistes utopistes": ce n'est pas un technoparc mais la bourse et la banque qui sont au coeur des économies des pays qu'on a aujourd'hui l'habitude de qualifier de postindustriels. Le principal acteur de l'économie est un spéculateur financier et non un scientifique.

La croissance rapide de la composante financière dans l'économie américaine a commencé dans le dernier tiers du XXe siècle. Résultat: une montagne de crédits et l'apparition d'une "bulle financière", c'est-à-dire, d'un système où les bénéfices des institutions financières ne dépendent plus de la production réelle mais sont le résultat d'opérations financières compliquées. Le "lest industriel", qui n'est jamais parvenu à connaître la percée technologique promise, a tout simplement été jeté dans les régions à main-d'oeuvre bon marché, notamment en Asie du Sud-Est. Ayant dissipé son potentiel industriel à travers le monde, l'Amérique a gardé le contrôle des flux monétaires, qui nourrissent son budget national et font d'elle un débouché extensible pour les produits industriels.

C'est ici que réside le danger tant pour l'Amérique elle-même que pour tous les pays dont les économies sont étroitement liées à l'économie américaine. On a plusieurs fois entendu des avertissements au sujet d'un futur éclatement inévitable de la bulle financière. Cependant, il était tellement avantageux de générer du profit à partir de l'argent que les capitaux accumulés dans la "bulle" ont largement surpassé ceux qui circulaient dans l'économie réelle. A l'heure actuelle, la crise du système financier risque de mener à une perte de contrôle de la "périphérie" économique; la chute de la demande aux Etats-Unis engendrera inévitablement une crise de surproduction dans les pays producteurs et un effondrement des économies basées sur les matières premières. On observe déjà le début de ce processus: la croissance des économies de la Chine, de l'Inde et des pays d'Asie du Sud-Est s'est ralentie, les prix des produits énergétiques sont en baisse, entraînant la chute des marchés des valeurs des pays fournisseurs de matières premières.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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