Arrêt du LHC: que s'est-il réellement passé?

S'abonner
Par Iouri Zaïtsev, conseiller titulaire de l'Académie russe d'ingénierie, pour RIA Novosti.
Par Iouri Zaïtsev, conseiller titulaire de l'Académie russe d'ingénierie, pour RIA Novosti.

Le grand collisionneur de hadrons (LHC), le plus gros accélérateur de particules au monde, a été mis en route le 10 septembre dernier. Ce jour-là, les flux de protons ont effectué un tour complet dans le tunnel de 27 km de l'accélérateur, d'abord dans le sens des aiguilles d'une montre, puis inversement. Le système d'aimants, capable d'accélérer les particules à une vitesse proche de celle de la lumière, n'était pas branché. Par conséquent, il n'y a pas eu de collisions de protons. La première expérience, au cours de laquelle des flux de protons devaient se télescoper, était prévue pour le 21 septembre.

Mais, le troisième jour qui a suivi le lancement du collisionneur, en raison d'un problème électrique ayant affecté le système de refroidissement de l'accélérateur dans l'un des secteurs du tunnel, la température y est remontée à 4,4 degrés Kelvin (-269° C). Au bout de quelques heures, l'accélérateur a été arrêté. Que de tels incidents se produisent au stade des tests de lancement est une chose parfaitement normale pour n'importe quel système technique complexe, à plus forte raison lorsqu'il s'agit d'une machine aussi sophistiquée que le LHC.

Des incidents avaient du reste déjà eu lieu lors de la construction. Une pièce de soutènement, en matériau composite, de l'un des aimants supraconducteurs s'était rompue, en raison d'une erreur des concepteurs: elle n'avait pas résisté aux charges asymétriques exercées sur l'axe longitudinal. L'ensemble de ces aimants doit assurer la focalisation des faisceaux de protons avant son entrée dans la chambre de collision des flux de particules élémentaires. Cet aimant n'avait tout simplement pas été testé de manière adéquate avant d'être installé.

Mais l'incident survenu le 19 septembre fut autrement sérieux. L'un des 9.593 électroaimants supraconducteurs entra dans un état de résistance, entraînant une coupure instantanée de courant. Il s'est produit ce que l'on appelle une "extinction de courant" ("quench"). Celle-ci a été provoquée par la coupure d'une connexion électrique entre deux aimants. L'éventualité de tels incidents avait été envisagée également lors de la construction de l'accélérateur. Mais tous les événements qui ont suivi étaient, eux, "non planifiés".

L'aimant a continué de chauffer et a commencé à fondre, la température dans la partie du tunnel affectée a atteint 100 degrés Kelvin (soit -173°C). Si bien qu'à la suite de cette panne, c'est environ une tonne d'hélium liquide servant à refroidir les aimants qui s'est déversée dans le tunnel de l'accélérateur. De plus, plusieurs secteurs de l'anneau ont cessé d'être sous vide.

Cet accident n'a représenté aucun danger pour le personnel de service mais les travaux de remise en état promettent d'être plus longs que prévu. Il faudra tout d'abord réchauffer le secteur endommagé, puis, après avoir remplacé les éléments détériorés, de nouveau faire baisser la température pour assurer la supraconductivité des aimants à une température proche du zéro absolu (-273 degrés Kelvin). Selon les premières estimations, au moins deux mois seront nécessaires pour cela. Mais le redémarrage du collisionneur ne pourra avoir lieu avant le printemps 2009.

En effet, pour de multiples raisons, le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) ferme normalement en hiver. Lors de sa réouverture au printemps, le redémarrage du LHC dépendra de nombreux facteurs, une éventuelle prolongation de l'hiver par exemple, qui pourraient entraîner le report inévitable de son lancement.

Puis l'on commencera à préparer la première collision de particules, à travailler à des régimes différents avec une augmentation progressive de l'énergie. On ne peut exclure, à ce stade, l'apparition de nouvelles défaillances. Le LHC est un mécanisme extrêmement complexe, et il faudra beaucoup de temps pour tester ses différents éléments et parfaire le réglage de chaque équipement.

L'un des principaux objectifs du grand collisionneur de hadrons est de tester ce que l'on appelle le "modèle standard de la cosmologie", qui regroupe tous les types d'interaction - forte, faible, électromagnétique - excepté l'interaction gravitationnelle. Parmi les secrets que les scientifiques espèrent dévoiler à l'aide du collisionneur figure la réponse à la question: pourquoi les particules électromagnétiques ont-elles une masse? Ils espèrent également "capturer" le boson de Higgs, appelé également "la particule de Dieu". Dans le cadre des théories existantes, c'est lui qui serait à l'origine de la masse des particules élémentaires. Les scientifiques pensent pouvoir reproduire en miniature le Big Bang qui, voilà treize milliards et demi d'années, a marqué la naissance de l'Univers. Ensuite?

Une autre question demeure: l'approche de la création du collisionneur a-t-elle été suffisamment juste du point de vue de la simulation des conséquences possibles de son fonctionnement? Certains physiciens craignent, en effet, que certaines expériences n'échappent au contrôle de l'homme. Cela ne pourrait-il pas conduire à une catastrophe? Aucune réponse convaincante n'a été apportée.

Malgré tout, personne n'a souhaité modifier la date de l'inauguration officielle du collisionneur. Celle-ci aura lieu à la date prévue: le 21 octobre. La fête doit avoir lieu, quelles que soient les circonstances. Il s'agit là, il est vrai, d'une pratique mondiale. Pour autant que je me souvienne, toutes les stations de métro de Moscou ont été inaugurées à une date donnée, avant d'être fermées pendant des mois pour achever les travaux...

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала