Tout commence avec ton Mauerspringer (Le Sauteur de Mur) ?
La propriétaire de la Ladengallerie située à Berlin-Ouest, Mme Müller et amie de Léa Grundig, ministre de la Culture de la RDA, m'a demandé de faire partie de son catalogue. Elle avait déjà compris que j'avais réalisé une œuvre exceptionnelle qui est aujourd'hui considérée comme unique par des experts en peinture de l'université Columbia. Ces derniers m'ont expliqué que, ayant peint le mur sur le mur, ma peinture devenait une sculpture par la représentation des quatre dimensions. Mme Müller était très étonnée par ma peinture car je peignais les gens dans l'instant même. J'ai peint le Sauteur de Mur qui saute de l'ouest à l'est alors qu'à ce moment là les gens se précipitaient pour aller en Europe de l'Ouest. Je voulais montrer que, par l'ouverture du mur, l'Europe de l'Ouest avait pour but d'envahir l'Europe de l'Est. Je voyais venir ces nouveaux capitalistes qui voulaient s'enrichir. Étant marié à une Allemande, je voyais mon beau-père qui tirait des plans pour acheter des biens en Europe de l'Est.
L'ouverture du mur t'a choqué ?
Tout le monde a été content que le mur s'ouvre. De mon côté, je voyais que nous étions en train de perdre l'Europe de l'Est. Je n'ai pas aimé les marchands de bananes qui se trouvaient à tous les coins de rue à cette époque. J'aimais la littérature de cette Europe de l'Est comme Kafka ou comme Dostoïevski avec des livres remplis d'âme. Quand les parents de mon amie de Halle m'ont dit que l'ouverture du mur était une bonne chose car ils allaient pouvoir s'acheter une télévision et une Mercedes, cela m'a rendu triste.
Tu est nostalgique d'une Europe disparue ?
C'était pour moi la véritable Europe. Il y avait un peu de retard mais ce n'était pas un territoire africanisé. Alors que des peintres comme Picasso ou comme Dali rêvaient de l'africanisation de l'art européen, je rêvais simplement de la culture artistique européenne. Les tendances artistiques en Europe m'intéressent plus que les masques africains.
En quoi tu vis un paradoxe par rapport à la culture française ?
Quand j'ai réalisé le Mover (le Mauerspringer) en Nouvelle-Zélande, j'ai été considéré comme un peintre français. J'ai toujours fait ce que j'ai eu envie de faire. Je suis français et je suis content d'avoir trois enfants français mais je ne crois pas que la France actuelle, comme elle est, puisse me représenter. Je porte, cependant en moi, la culture française.
Quel autre peintre a réuni comme toi plusieurs continents ?
Hundertwasser a réuni plusieurs continents à la fois. Il a été l'élève de Rudolf Láng (1904-1991) qui a été l'élève de Klimt. Rudolf Lánga été mon enseignant à Budapest durant mon enfance. J'avais douze ans quand j'ai rencontré l'élève de Klimt.
Tu as appris quoi avec Rudolf Láng ?
Tout d'abord, il faut s'imaginer l'ambiance ! Rudolf Láng, qui avait 85 ans et dont les œuvres sont très cotées en Hongrie,vivait avec une jeune élève âgée de 60 ans. Il était toujours habillé en smoking. Il m'a reçu dans son appartement de Budapest qui se trouvait sous les toits. Nous parlions un hongrois comme si nous étions encore sous l'Empire. Toutes les toiles étaient recouvertes d'un drap blanc. Il était interdit de dessiner ou de montrer quoi que ce soit de ma personne. Tout son enseignement a été théorique. Nous parlions de ressentis, de ce que nous avions envie de faire. Il m'a expliqué que Van Gogh était devenu fou car il est allé dans le sud de la France où il y a une très forte excitation chromatique.
Les couleurs peuvent tuer une personne ?
Les couleurs peuvent tuer un être humain. Nous sommes habitués à une certaine vision chromatique dès notre enfance. Les peintres de l’École de Paris ont toujours employé une couleur grise. Les peintres allemands peignent toujours avec les couleurs de la terre et du sang (Blut und Boden).
Comment l'expliquer ?
Il y a le vécu de l'enfant dans la peinture. Mondigliani et Chagall ne pourraient pas être des peintres hollandais. Il y beaucoup d'eau et du blanc dans la peinture hollandaise. C'est ce que l'élève de Klimt m'a appris. Il m'a demandé de trouver mes propres coloris qui se trouvent dans l’École de Vienne.
C'est comme ça que tu es tombé sur Klimt ?
Je suis le pop artiste de Klimt... Le mélange de la bande dessinée et de la peinture est une chose très intéressante. Je peins à la manière de Klimt. Enki Bilal, que j'aime beaucoup, m'a influencé dans mon travail. J'ai mélangé des idées du travail du groupe d'artistes connus sous le nom Figuration Critique. Il faut plutôt chercher mes références chez Enki Bilal que chez Albert Uderzo. Enki Bilal fait de la peinture dans la bande dessinée.
Tu a appris quoi de Hugo Pratt ?
Avec Hugo Pratt, j'ai joué aux échecs. On buvait de la vodka. Son travail était aussi de la peinture. Il était plus doué en travaillant en noir et en blanc qu'en travaillant la couleur. Pour lui, chaque planche dessinée était un tableau.
Ta peinture change depuis ton exil en Nouvelle-Zélande ?
Oui, j'assiste à une remise en question chromatique des couleurs de ma peinture. La luminosité est différente. La distance m´a permis de comprendre que je réalisais des portaits spirituels. Ici, je me place par rapport à l´histoire de l´art du pays.
Veux-tu maintenant sauter sur un autre continent ?
Je veux allez où il y a des âmes et des histoires à peindre. J´ai réuni les deux hémisphères par mes œuvres. Le travail pour le lien artistique n´est pas fini…
