La Corée du Nord, a-t-elle les moyens de ses ambitions ?

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Enfant terrible de l’Extrême-Orient, pays mystérieux dont on ne sait que trop peu pour bien comprendre les principes de son fonctionnement étatique, Pyongyang secoue la presse internationale comme on secouerait un pommier. Passez-moi cette remarque un brin caustique, mais il est vrai que les passions s’enflamment depuis 2006 et je n’ose même pas m’imaginer quelle aurait été la réaction de la communauté atlantiste si l’Iran s’était permis le même luxe rhétorique. Mais la Corée du Nord est délicate à traiter.

Elle a la Chine pour alliée et la Russie verrait d’un très mauvais œil toute tentative belliciste de la part des USA. Bien plus, elle ne présente aucun intérêt pratique du point de vue des ressources, alors à quoi bon s’insurger ?

Parallèlement, Washington se dit apeuré par les menaces nord-coréennes : « Nous sommes préoccupés par toute menace brandie par les Coréens du Nord. Nous prenons au sérieux tout ce qu’ils disent et font ». Je viens de reprendre ici l’aveu de Georges Little, porte-parole du Pentagone. Surestimerait-il le potentiel du pays sachant que des journalistes étrangers présents aux défilés militaires nord-coréens évoquent un armement datant de la Guerre Froide. Même le missile KN-08 aperçu lors d’une parade en avril dernier ne serait calibré que pour frapper la Corée du Sud, le Japon et certaines parties de l’Asie du sud-est. De même en va-t-il pour l’aviation composée d’un mélange suranné d’avions chinois du type F-5, H-5 etc. et d’avions soviétique du type Mig-21, 23 et 29 etc. La liste n’est bien sûr pas exhaustive mais elle suffit à révéler le dénuement militaire plus ou moins relatif de ce pays extrêmement fermé. Alors pourquoi une telle hystérie ?

Certains experts russes dédramatisent tout à fait en nous assurant que le Pyongyang poursuit un double but. Primo, rappeler son existence à la communauté internationale qui semble négliger ses gesticulations diplomatiques. Secundo, pousser Séoul à augmenter ses versements annuels, tout en espérant que les USA, eux aussi terrorisés, se plieraient au chantage en suivant l’exemple de leur allié sud-coréen. Mais alors, s’il ne s’agit que de vains soubresauts, n’en ressort-il pas que les USA, puissance pourtant extrêmement froide d’esprit et cynique, ne font qu’encourager les efforts d’un pays qui n’aurait pour soi que le monopole de la menace ?

On voit bien que l’analyse ne tient pas la route, car il manque des éléments à la mosaïque. Pour les retrouver, j’ai demandé à M. Patrick Kuentzmann, secrétaire général de l’Association d’amitié franco-coréenne, d’exposer sa vision des faits.

 

LVdlR. Est-ce que les menaces proférées par la Corée du Nord ont une certaine réalité Est-ce que son potentiel militaire lui offre les moyens de ses ambitions ?

M. Kuentzmann. Oui, la Corée du Nord a des capacités militaires réelles. Néanmoins, il faut bien garder à l’esprit qu’elle est dans une logique de dissuasion vis-à-vis de la puissance américaine qui est très présente en Asie du Nord-est. Le principe de la dissuasion, c’est de porter à l’adversaire des coups suffisamment forts pour qu’il ne retire aucun gain d’une attaque. C’est par ailleurs le principe qui est utilisé en France qui s’est dotée dans les années 60 d’une force de dissuasion limitée mais suffisante. LA Corée du Nord suit donc la même logique et elle n’a pas besoin pour cela d’avoir des moyens militaires énormes. Il est vrai qu’elle a certaines raisons de craindre une attaque puisqu’en ce moment même les USA et leurs alliés sud-coréens procèdent à des manœuvres de grande ampleur qui mobilisent jusqu’à 200.000 hommes aux frontières de la Corée du Nord mais aussi un porte-avions nucléaire avec son groupe naval, des bombardiers stratégiques B-52, des bombardiers stratégiques B-2 furtifs qui ont procédé la semaine dernière à des exercices de bombardements atomiques, toujours à la frontière de la Corée du Nord qui se sent donc menacée et s’est dotée tout à fait naturellement des moyens de dissuader une attaque.

LVdlR. Les USA sont ainsi hors d’atteinte ?

M. Kuentzmann. Comme je viens de le dire, les USA sont très présents en Asie du nord-est. Ils ont des bases navales à Guam, à Okinawa et celles-ci se trouvent naturellement à portée de tir de la Corée du Nord.

LVdlR. Quel pourrait être le dénouement de cette politique dissuasive qui est menée par le Pyongyang ?

M. Kuentzmann. Ce qui dure depuis longtemps, c’est l’absence de paix en Corée. La guerre de Corée s’est terminée en 1953 par un simple armistice qui n’est qu’un cessez-le-feu mais il n’y a jamais eu de traité de paix signé entre la Corée du Nord et les USA. La Corée du Nord appelle très régulièrement les USA à signer un traité de paix pour assurer un mécanisme de stabilité permanent en Corée. Les USA refusent en arguant que la Corée du Nord doit d’abord dénucléariser alors que le nucléaire militaire nord-coréen est la conséquence directe de l’absence de paix dans ce pays.

LVdlR. Ne croyez-vous que la Corée du Nord pourrait en perspective envisager sa réunification avec la Corée du Sud ? Quelles en seraient alors les conséquences ?

M. Kuentzmann. La réunification de la Corée a été envisagée par les deux Corées depuis très longtemps puisque la première rencontre intercoréenne date de 1972. Mais il y a eu après cela la rencontre de juin 2000 entre le dirigeant du nord entre Kim Jong-Il et le Président du sud, Kim Dae-jung, puis, en 2007, il y a eu une rencontre entre Kim Jong-il et son homologue du sud, Roh Moo-hyun. A l’occasion de ces diverses rencontres, des accords ont été signés qui tracent une feuille de route pour une réunification à venir de la Corée. Malheureusement, à partir de 2008, des gouvernements conservateurs se sont mis en place en Corée du Sud et sont donc revenus sur ces accords intercoréens déclarant que le Nord devait dénucléariser au préalable alors que le nucléaire concerne les relations entre la Corée du Nord et les USA ».

La stratégie de l’échiquier n’épargne personne, pas même les recoins les plus éloignés de notre planète. L’alliance Corée du Sud-USA sur fond de présence américaine peu négligeable aux frontières du Pyongyang coince ce dernier tant d’un point de vue identitaire puisqu’il y a tentative de violer la souveraineté d’un Etat que d’un point de vue géopolitique dans la mesure où l’exacerbation des passions nucléaires en Corée du Nord et la phobie qui en résulte chez son voisin du Sud tient aux incessantes provocations des USA.

En réalité – et c’est là que je reviens sur ma réflexion d’entrée – nous ne sommes pas si loin du contexte iranien mais à un degré plus modéré vu que les intérêts en jeu ne sont pas de la même taille. La donne nord-coréenne, artificiellement entretenue dans son état actuel par les sempiternels USA, procèdent de deux soucis rigoureusement définis :

- Réaliser jusqu’au bout son idée obsessive d’unipolarité en exerçant pleinement son hégémonie tant au Moyen-Orient en brisant les derniers points de résistance tels que la Syrie et l’Iran qu’en déstabilisant l’axe Asie-Pacifique.

- Faire croire que les ambitions de la Corée du Nord sont d’ordre entièrement offensif et non dissuasif afin de, primo, justifier une éventuelle intervention, secundo, détourner l’attention de la Russie et de la Chine du brasier moyen-oriental.

Reste à savoir maintenant si l’intransigeance nord-coréenne poussera les USA à réviser leur tactique d’occupation et de désinformation ou si, bien au contraire, ils se laisseront tentés par une croisade dite préventive.

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