Indonésie: comment un succès pour Rafale pourrait être un coup dur pour l’Armée

© AFP 2023 Anne-Christine PoujoulatRafale
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L’Indonésie pourrait se porter acquéreur de 36 à 48 Rafale. Un nouveau succès potentiel à l’export pour l’avion de Dassault, qui relance toutefois la question de la capacité de production de l’appareil et en filigrane celle des choix gouvernementaux visant à préserver les capacités opérationnelles de l’armée française. Analyse.

Encore une bonne nouvelle en perspective pour Dassault Aviation. Après la Grèce, la Croatie et peut-être la Suisse, c’est à présent au tour de l’Indonésie de réitérer son «vif intérêt» pour le programme Rafale.

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Le 3 décembre, citant plusieurs sources concordantes, La Tribune révélait ainsi les intentions de Djakarta de signer pour 48 avions multirôles. Interrogée quelques heures plus tard par BFM Business sur cette perspective de commande, Florence Parly, ministre des Armées, se veut prudente, mais confirme que «les prospects sont extrêmement nombreux» et que 36 appareils pourraient être vendus à ce partenaire d’Asie du Sud-est.

Comment expliquer un tel décollage du Rafale? Jusqu’au premier contrat à l’étranger, signé avec le Qatar en mai 2015, l’inquiétude était de mise quant aux perspectives d’exportation de ce bijou technologique tricolore. Plus d’une décennie s’est écoulée depuis sa mise en service en 2002. Heureusement, le Qatar, l’Égypte puis l’Inde sont maintenant clients de l’avion-phare de Dassault, avec respectivement 36, 24 et 36 appareils commandés.

Pour Jean-Vincent Brisset, général (2 s) de brigade aérienne et chercheur associé à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), qui souligne la volonté de Djakarta de diversifier ses approvisionnements, la réponse tiendrait paradoxalement au succès du tout nouveau chasseur F-35 américain.

«Le Rafale se trouve dans un créneau qui devient évident pour un certain nombre de pays, même s’il est plus cher que le F-35, même s’il n’a pas les mêmes capacités dans un certain nombre de domaines, même s’il n’est pas aussi moderne. C’est finalement un avion éprouvé, qui soit le seul disponible à être vraiment multirôles à l’heure actuelle», développe le général de deuxième section au micro de Sputnik.

Un désir d’acquisition d’un appareil «combat proven» sur lequel misait Michel Cabirol, spécialiste des questions de Défense à La Tribune, il y a tout juste six ans. Celui-ci se montrait alors confiant quant à la possible acquisition de Rafale, notamment par l’Indonésie.

Reste à savoir quelles pourraient être les modalités de ce contrat. Du côté de l’hôtel de Brienne, Florence Parly promet qu’une telle commande assurerait «l’équivalent de 7.000 emplois dans 500 entreprises pendant 18 mois» dans l’Hexagone.

Le Rafale, succès d’un «en même temps» opérationnel?

De telles déclarations excluent-elles d’éventuels transferts de technologie? Eh bien, pas vraiment. Comme le rappelle le général Brisset, l’Indonésie dispose d’une industrie aéronautique et le pays «pourrait bénéficier d’un transfert de technologie au moins partiel» dans le cadre d’un tel contrat.

Autre exemple qui va dans ce sens: celui de l’Inde. Bien que les Rafale destinés au géant asiatique soient produits en France, Paris a entrepris un transfert technologique. «La France est déjà en train de plancher sur le successeur du Rafale», tient à rassurer le général (2S), pour qui ce type d’opérations auxquelles recourent d’autres puissances exportatrices d’armements (comme la Russie avec la Chine) n’est «pas si suicidaire qu’on le pense».

«La plus belle histoire, c’est le transfert de technologie américaine par McDonnell Douglas, à l’époque pour le MD10, qu’est devenu l’ARJ21 en Chine. Le constructeur américain y avait transféré –en y gagnant pas mal d’argent– l’usine, les outillages, la formation. Les Chinois, vingt ans après, n’arrivent toujours pas à certifier sérieusement l’avion qu’ils ont essayé de faire eux-mêmes.»

L’évolution des différentes versions du Rafale porte essentiellement sur l’avionique et l’armement. La version F3-R optimise ses capacités de «supériorité aérienne, la frappe tous temps dans la profondeur, l’appui aux troupes au sol ou encore le traitement d’objectifs d’opportunité», selon le ministère des Armées. - Sputnik Afrique
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En revanche, l’un des points sur lequel s’interroge le plus Jean-Vincent Brisset est le bouclage financier de cet éventuel contrat. En effet, l’Indonésie souhaiterait, comme tous les autres clients, que ses Rafale puissent lui être livrées «rapidement».

Pour pallier ce type d’exigence, la France n’hésite pas à prélever sur les matériels de ses propres armées. Pour le grand public, l’opération est présentée sous ses plus beaux atours: le client obtient dans les temps des appareils d’occasion comme neufs, et la France se reprocure de vraies machines neuves. En somme, un tour de passe-passe gagnant-gagnant, nous dit-on. Bien évidemment, la réalité est tout autre.

«On va donner à l’Armée de l’air l’argent de la vente, mais on les vend au tiers de leur prix neuf et on va obliger l’Armée de l’air à en racheter des neufs. Elle se retrouve flouée», regrette Jean Vincent Brisset.

Une manœuvre coûteuse pour le budget de l’État, sur laquelle le député Les Républicains François Cornut-Gentille, rapporteur spécial pour les crédits de la Défense de l’Assemblée nationale, interpellait la Commission des finances du Palais Bourbon dans la foulée de la parution de son dernier rapport sur la disponibilité des matériels de l’armée. Un rapport, rendu public fin octobre, où l’on découvrait notamment que seule la moitié des 147 Rafale dont disposent les forces armées françaises étaient opérationnels.

L’armée de l’air flouée… le contribuable aussi

Comme le rappelle le général Brisset, la disponibilité des appareils, liée aux contrats passés avec leurs constructeurs, est bien souvent une variable d’ajustement budgétaire pratique. En effet, cette dernière offre la possibilité aux politiques votant le budget «d’économiser sur ce qui ne se voit pas», explique Jean-Vincent Brisset. Autrement dit: la France ampute ses propres capacités opérationnelles aux dépens du contribuable, qui paiera la différence entre la vente d’occasion et le rachat du neuf.

«On a vraiment l’impression qu’à l’heure actuelle, la préoccupation du gouvernement, c’est Dassault, ce n’est pas la capacité opérationnelle de l’armée», assène le général de brigade aérienne.

Ce type d’opération a déjà eu lieu dans le cadre de la vente d’une frégate multimissions FREMM à l’Égypte (au même moment où elle achetait 24 Rafale à Dassault). Paris avait alors fait transférer au Caire la frégate Normandie, sur le point d’entrer en service dans la Marine nationale. Déjà à l’époque, le trou laissé par cette cession dans l’arsenal français interpellait. DCNS (devenu Naval Group) avait en effet déjà son carnet de commandes bondé.

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Un cas de figure qui se présente aujourd’hui avec Dassault, dont la chaîne de montage tourne à plein régime pour honorer les commandes étrangères et la livraison des 28 derniers appareils commandés de longue date par la France. À ce jeu, au-delà du surcoût budgétaire, les appareils prélevés pour la Grèce pourraient ne pas revenir avant plusieurs années sur les pistes de l’Armée de l’air ou sur le pont d’envol du Charles de Gaulle. Peu de doute aux yeux de notre intervenant que, si pour pallier ce manque opérationnel, il était demandé à Dassault de monter en cadence de production, l’avionneur exigerait des garanties de l’État.

Pour autant, la prudence reste de mise en matière de contrat d’armement. En avril 2015, l’Inde ne commandait finalement que 36 appareils, alors que deux ans plus tôt une commande historique de 126 appareils semblait acquise, voire de 189 avions selon les plus optimistes. «Tant qu’un contrat n’est pas signé, il ne faut jamais dire qu’il est signé», rappelait Florence Parly sur le plateau de BFM Business. Elle en sait d’ailleurs quelque chose, dans la mesure où ses déclarations sur l’aboutissement des négociations avec la Grèce avaient rappelé au bon souvenir des Américains la disposition des Grecs à acheter des navires. Début novembre, Lockheed Martin avait ainsi raflé la mise dans la dernière ligne droite, à la barbe de Naval Group.

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