Chasseurs de 6e génération: l’Otan demande aux Européens de «s’aligner» sur les USA

© Sputnik . Vladimir Astapkovich / Accéder à la base multimédia États-Unis
 États-Unis - Sputnik Afrique, 1920, 17.06.2021
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Les futurs systèmes de combat aérien américains et européens devront pouvoir communiquer et agir de concert, exige le commandant suprême de l’Otan en Europe. Au-delà de la volonté états-unienne de réaffirmer son ascendant sur ses alliés européens, c’est un enjeu de puissance de l’Occident face à l’émergence de concurrents asiatiques.

Les Américains vont-ils donner le «la» aux programmes de chasseurs de 6e génération européens? C’est a minima une forme de coopération entre industriels du Vieux continent et Américains que semble appeler de ses vœux le commandant suprême des forces de l’Otan en Europe (SACEUR).

«Il est important de s’assurer que ces nations ont un certain degré d’alignement stratégique et de transparence, à mesure qu’elles avancent et qu’elles examinent les ressources dont elles ont besoin pour réussir avec le potentiel de la 6e génération», a notamment déclaré le général Tod Wolters, lors d’une conférence organisée le 9 juin par The Atlantic Council, un think tank américain.

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Interrogé sur sa vision de l’évolution de la puissance aérienne sur le théâtre européen et le rôle que pourrait y jouer les systèmes de combat aéroportés en développement de part et d’autre de l’Atlantique, ce général quatre étoiles de l’US Air Force en poste en Allemagne a estimé que cet «alignement» et cette «transparence» étaient «impératifs» aux niveaux «stratégique et tactique», entre Américains, Britanniques, Allemands et Français dans le développement de leurs appareils de 6e génération. Le tout au nom de leur interopérabilité.

Comme le précise d’emblée le site Meta Defense, qui a levé le lièvre, il n’est nullement question de fusionner les programmes. Il s’agit de s’assurer que ces systèmes d’armes puissent communiquer entre eux afin d’être capables de mener des missions communes.

6e génération, quand les États-Unis veulent reprendre la main

Il faut dire que sur ce point, les Américains n’ont guère de leçons à donner. En effet, leurs deux appareils de 5e génération que sont les F-22 et F-35, respectivement conçus par Boeing et Lockheed-Martin, sont incapables d’opérer ensemble sans le recours à un système intermédiaire, souligne le site d’informations militaires.

Reste à savoir comment –et jusqu’où– sur le plan politique une telle «transparence» pourrait être envisagée. En effet, bien que l’interopérabilité soit l’un des piliers de l’Alliance atlantique, ce dialogue entre les futurs appareils européens et américains impliquerait au moins un partage des données opérationnelles, si ce n’est l’alignement sur des normes communes. BFMTV s’interroge sur la forme concrète que pourrait prendre cette demande de l’Otan, évoquant un «Cloud suprême ou des autorisations d’accès permettant aux différentes forces armées de piocher des informations en fonction de leur mission.»

«On est sur quelque chose de global: la définition des standards. On est en train de découvrir que les Chinois se permettent d’en définir, à l’échelle mondiale, comme avec la 5G», réagit auprès de Sputnik le général (2 s) de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset «Les États-Unis aimeraient bien que les Européens adoptent un standard qui vienne en grande partie de chez eux et qui soit celui des futurs systèmes de combat aéroportés occidentaux.»

Reste à savoir si les Européens accepteraient de se «coincer volontairement» dans un système dont Washington conserverait les clefs pour les décennies à venir. Un cas de figure similaire à celui du GPS, dont les États-Unis restent les seuls à décider quelles sont les nations qui peuvent accéder à son plein potentiel pour une utilisation militaire. «Tout le problème est de savoir si on bâtit ensemble le système d’après, si on se fait imposer un système américain ou si on se sépare», résume ainsi le général Brisset.

Face à l’émergence d’une concurrence, imposer un standard occidental unique

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Un scénario de rapprochement qui ne serait peut-être pas si catastrophique, veut croire notre interlocuteur. Les Européens n’ont en effet pas à rougir de leur savoir-faire: «le rapport de forces dans cette collaboration ne serait pas forcément déséquilibré», tempère ainsi Jean-Vincent Brisset. «Il y a un certain nombre de choses que les Américains aiment bien que l’on fasse», enchaîne-t-il, en tirant un parallèle avec l’exploration spatiale.

De toute façon, les normes des États-Unis «s’imposent» déjà aux projets britannique et franco-allemand d’avion de 6e génération, via le F-35, estime le général. Les appareils européens devront en effet être capables de communiquer avec le best-seller de Lockheed-Martin, qui est peu abouti sur ce point. «Pour le SCAF, l’ouverture [du système d’armes à ceux des alliés de l’Otan, ndlr] ne va pas être facile», concède le haut gradé.

Mais en tant que tels, les programmes européens ne sont nullement menacés par les désidératas américains: «ils n’ont pas d’appareils multirôle dans les tuyaux» et percevraient plus le SCAF et le Tempest comme des appareils «complémentaires» aux leurs que comme des concurrents.

Une piste qui se confirme à l’écoute du général Wolters. Ce dernier s’étale en effet davantage sur les programmes européens et la montée en puissance du F-35 sur le Vieux continent que sur le programme américain NGAD (avion de 6e génération) dont il n’évoque qu’une seule fois le nom au début de sa réponse. Le haut gradé américain escompte ainsi à l’horizon 2030 voire 450 F-35 stationner sur les bases européennes. «C’est une capacité énorme. Si j’étais un ennemi potentiel de l’Otan ou de l’Europe, je n’aimerais pas entendre cela», se satisfait-il.

«Je suis fermement convaincu qu’avec l’alignement stratégique qui a lieu sur la prochaine génération de systèmes de combat aérien […] et avec les progrès que nous réalisons dans l’activité des F-35 –l’alignement et la transparence que les nations s’accordent les unes aux autres afin de partager des idées et des réflexions sur la façon de mieux employer le F35, que nous allons dans la bonne direction. Je suis très satisfait», relate le général Tod Wolters.

L’interopérabilité, sous la houlette technologique des États-Unis, au nom de l’«efficacité» et de l’«efficience» des forces de l’Otan se reflète déjà dans certains programmes en France, comme le standard F3-3 du Rafale. Celui-ci consacre l’ajout de la liaison de données tactiques L16 (pour «Link 16») qui permet au chasseur français d’échanger en temps réel des données chiffrées sur un théâtre d’opérations avec n’importe quelle autre plateforme militaire d’un pays de l’Alliance capable de les recouper (avions AWACS, porte-avions, frégates, etc.).

Le prétexte du combat de haute intensité

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Un système qui exclut d’emblée les appareils qui n’en sont pas équipés, à l’instar du Mirage 2000D dont l’équipement en L16 a été très progressif et s’est achevé en 2016… année envisagée pour son remplacement.

L’occasion pour notre intervenant de regretter la débauche de moyens financiers de ces dernières décennies accordés à plusieurs programmes, au détriment de l’opérationnel. Des programmes de surcroît en inadéquation avec la réalité du terrain:

«Pour aller tirer sur un pick-up Toyota, il n’est pas indispensable d’avoir un avion à 100 millions de dollars qui tire une munition à un million de dollars», tacle cet ancien pilote de Mirage IV.

Cette «responsabilité incombe tant aux politiques qu’aux industriels» aux yeux de Jean-Vincent Brisset, qui considère qu’il est «important de sortir de cette course vers le haut».

Des propos qui prennent le contrepied du discours en vigueur au sein de l’Otan: la nécessité de s’apprêter à des combats dits de «haute intensité» (contre un ennemi technologiquement avancé). Bref, d’investir dans des capacités d’engagement lourd et d’inverser la tendance prise au début des années 90. Si Moscou n’est pas directement nommée pour justifier le développement de tels programmes couteux, elle continue à être omniprésente dans les déclarations des responsables de l’Alliance. Dans leur communiqué de presse du 14 juin, la Russie est évoquée à 52 reprises.

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