Patrouilleurs maritimes: Berlin laisse Paris sur le tarmac

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Boeing P-8A Poseidon - Sputnik Afrique, 1920, 10.07.2021
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La France menace de quitter le programme de patrouilleurs maritime MAWS suite à l’achat par l’Allemagne de son concurrent américain. Une transaction fortement pressentie depuis plus d’un an. Au-delà de la sincérité de la menace française, Paris ne paierait-elle pas à nouveau sa volonté de collaborer avec l’Allemagne? Éléments de réponse.

Passe d’armes politico-industrielle sur le SCAF, Eurodrone à nouveau à la traîne, char du futur qui s’enlise ou encore hélicoptère Tigre en perdition… n’en déplaise aux plus européistes, la collaboration franco-allemande en matière de Défense n’est pas un long fleuve tranquille.

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Et maintenant, selon une information de La Tribune, la France, «excédée», s’apprêterait à claquer la porte du programme MAWS (pour Maritime Airborne Warfare System, Système aéroporté de guerre maritime). Objet de discussions dès 2017 entre Emmanuel Macron et Angela Merkel, ce programme d’avion-patrouilleur maritime fut entériné à la fin avril 2018 par la cosignature d’une lettre d’intention par Florence Parly et son homologue allemande, Ursula Von der Leyen. Il s’agissait pour les deux pays de développer à l’horizon 2030 un successeur commun aux Atlantique 2 (ATL-2) de la Marine nationale et aux P-3C Orion de la Marineflieger. Ces derniers, des quadrimoteurs de Lockheed-Martin, avaient été eux-mêmes achetés d’occasion aux Pays-Bas par Berlin afin de remplacer ses ATL-2.

Pour le couple franco-allemand, c’était l’occasion de permettre à Airbus d’ajouter «une nouvelle corde à son arc» en lui offrant la possibilité de développer son propre patrouilleur maritime. Un marché trusté par son grand concurrent américain, Boeing, avec son P-8 Poseidon. Bref, bien qu’éclipsé médiatiquement par son grand frère le SCAF, le chasseur du futur –érigé en modèle de la coopération franco-allemande –, le MAWS a été présenté comme une promenade de santé. En théorie.

La France, à ce point aveugle?

Le programme est passé sous les radars jusqu’en mars 2020, date à laquelle Le Telegramme révélait qu’il serait tout bonnement à l’arrêt. En cause? La crise provoquée par le choix de la Direction générale de l’armement (DGA) de confier le leadership de la partie française du projet à Thales plutôt qu’à Dassault Aviations, pourtant «le seul industriel européen qui a réalisé un avion de patrouille maritime», soulignait alors son PDG, Éric Trappier.

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En juin de la même année, l’annulation par Berlin de son programme de modernisation des P-3C Orion fuitait dans la presse. Outre-Rhin, il fut décidé de remplacer les vieux P-3C Orion au plus tard en 2025, soit cinq ans avant la date prévue pour la sortie du MAWS. Plusieurs alternatives furent alors mises à l’étude, comme la version MPA (Maritime Patrol Aircraft) du cargo tactique du CASA-295 d’Airbus, le RAS 72 «Sea Eagle» de l’italien ATR et enfin le P-8A Poseidon de Boeing. Soulignant l’absence de l’A320neo MPA, le site Opex360 estimait alors que si l’Allemagne venait à jeter son dévolu sur le Boeing américain, le coup serait fatal pour le programme franco-allemand.

La probabilité d’un faux bond de Berlin aurait dès lors dû être dans toutes les têtes à Paris, malgré le «un dialogue extrêmement direct, franc, amical et permanent» qu’Emmanuel Macron se vantait d’entretenir avec Angela Merkel.

De fait, en mars 2021, soit neuf mois plus tard, Opex 360 repérait une note de la DSCA (Defence Security Cooperation Agency), l’agence chargée des exportations d’équipements militaires américains. Adressée au Congrès des États-Unis, le document signifiait aux sénateurs le feu vert de l’agence à l’achat par Berlin de cinq P-8A Poseidon et d’un Boeing 737-800ERX militarisé. Équipements et formation compris, la facture a été évaluée à 1,77 milliard de dollars pour le contribuable allemand. À Paris, où l’on semblait tomber des nues, on proposa immédiatement à Berlin d’emprunter les Atlantique-2 fraîchement rénovés.

Paris, à nouveau le bec dans l’eau?

«Nous avons récemment découvert que le Congrès américain s’apprêtait à donner une autorisation de FMS [Foreign Military Sales, vente militaire à l’étranger, ndlr] pour des avions de patrouille maritime P8», relatait mi-mai Florence Parly lors d’une interview accordée à La Tribune. La ministre de la Défense fut alors cinglante: un tel achat ne pouvait être considéré comme une solution temporaire dans l’attente du MAWS, comme le prétendait Berlin. «Nous allons rapidement clarifier ce sujet avec l’Allemagne», assurait-elle au journal économique, concernant cet «engagement fort» pris entre Macron et Merkel quatre ans plus tôt.

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Une clarification qui est aujourd’hui venue du Bundestag. Réuni en séance plénière, il a donné le 23 juin son feu vert à l’achat des cinq P-8A Poseidon, le jour même où il débloquait les crédits au développement du démonstrateur du SCAF. Une semaine plus tard, Annegret Kramp-Karrenbauer signait l’achat des appareils en tenant la même ligne qu’au mois de mars: ces P-8A Poseidon flambant neufs seraient uniquement «destinés à remplacer temporairement» les appareils vieillissants de la flotte allemande, déclarait-elle depuis Washington.

Si les menaces de Paris de quitter le programme sont sincères, et donc si le MAWS devait tomber à l’eau, tout porterait à croire que la France aurait perdu quatre années dans sa recherche du successeur de ses ATL-2. Et ce, alors même qu’elle abrite Dassault, le seul constructeur européen d’appareils de ce type. C’est d’ailleurs vers lui qu’elle se serait tournée, selon La Tribune qui évoque un plan B à base d’un Falcon-10X. Tout ça pour ça?

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