Contrat du siècle torpillé par l’Australie: «l’adversaire c’est le démocrate américain!»

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Sous-marin Shortfin Barracuda (AFP PHOTO / DCNS) - Sputnik Afrique, 1920, 16.09.2021
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L’Australie renonce aux sous-marins d’attaque français. Un coup terrible pour l’industrie de défense tricolore, qui réapprend que les États-Unis ne sont pas toujours les alliés de la France.
«La première grande initiative du [pacte de sécurité, ndlr] AUKUS sera de livrer une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie». En une phrase, le 15 septembre, le Premier ministre Scott Morrison a officialisé le torpillage du «contrat du siècle»… sans y faire la moindre allusion.
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Sept ans plus tard, on assiste donc à un rétropédalage, ou plutôt à une humiliation de la France dans les règles de l’art. En effet, bien que l’intention de Canberra de dénoncer ce contrat de 35 milliards d’euros ait fuité plus tôt dans la journée, le chef du gouvernement australien n’a rien trouvé de mieux qu’une visioconférence avec Joe Biden et Boris Johnson pour rendre de facto caduque sa collaboration avec Naval Group.

«Les Australiens sont des pions»

Le nouveau pacte de défense tripartite AUKUS vise quant à lui à préserver «la paix et la stabilité» dans la région indopacifique, comme l’a précisé Boris Johnson. «Ce sera l'un des projets les plus complexes et techniquement exigeant au monde», a-t-il enchaîné: «Cela s'appuiera sur l'expertise que le Royaume-Uni a acquise au fil des générations». Dans un communiqué commun, le Président américain et les Premiers ministres britannique et australien parlent d'«effort tripartite» pour le développement de ces futurs sous-marins.
En France, c’est l’indignation: un «coup de poignard», une «trahison», titre la presse française. Voire un «Trafalgar»? Une comparaison quelque peu surfaite, estime auprès de Sputnik l’amiral Alain Coldefy. Car si la défaite est bien française, la victoire n’est guère britannique. Après tout, l’ancien officier d’état-major tient à rappeler que l’industrie de sa majesté fut bien «incapable» de développer seule l’Astute, la dernière génération de sous-marin nucléaire d’attaque (SNA), pressentie pour servir de modèle aux futurs submersibles australiens. «Plus d’une centaine d’ingénieurs américains sont venus aider les Anglais à construire leurs SNA!», raille-t-il.
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En somme, bien qu’il s’agisse d’un «coup de Jarnac», «inacceptable», l’ex-numéro 2 de l’armée française tient d’emblée à remettre les choses au clair: dans ce coup de théâtre réunissant Américains, Britanniques et Australiens, sur fond de containment de la Chine, deux acteurs «comptent pour du beurre». Aux «pions» australiens qui n’ont aucune connaissance en matière de nucléaire, Alain Coldefy ajoute donc les «faire-valoir» britanniques.
«Il ne faut pas se tromper d'adversaire. L'adversaire c'est le démocrate américain!», lâche sans détour l’ex-numéro 2 de l’armée française: «Johnson est un faire-valoir et les Australiens sont des pions là-dedans.»
«On se refuse à voir les Américains comme étant hostiles à l’égard des intérêts français», abonde Olivier de Maison Rouge. Peu surpris par un tel torpillage, cet avocat spécialisé en intelligence économique regrette que la France ne prenne pas la mesure de cette menace sur ses intérêts. Et il est vrai, les exemples où les États-Unis ont fait usage de leur interprétation extraterritoriale pour favoriser leurs intérêts ne manquent pas.
En 2012, sous la menace de sanctions américaines, General Motors, qui était entré au capital de Peugeot-Citroën, obligea le groupe français à abandonner l’Iran, son premier marché à l’export… que l’Américain récupéra. Les méthodes d’intimidation employées par les États-Unis atteignirent des sommets lorsqu’en 2014 la justice américaine poussa le fleuron Alstom à céder sa branche énergie à General Electrics.
Clou du spectacle, en mai 2015, quand la même justice américaine condamna la BNP, qui devenait trop présente aux États-Unis, à payer 8,83 milliards de dollars, pour non-respect des embargos américains. «On est en frontal avec l’administration démocrate américaine», insiste l’amiral Coldefy, qui attribue également à Joe Biden l’échec récent de Dassault en Suisse.

Un «bloc anglo-saxon» contre le monde?

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Pour Olivier de Maison Rouge, la manœuvre de Washington et de ses vassaux a le mérite de cadrer les choses: il ne s’agit pas là d’un «bloc occidental» réuni autour des Américains face à la Chine, mais d’un bloc «anglo-saxon, qui ne laisse aucune place à l’Europe, en tout cas à une troisième voix».
En somme, il n’y avait quasiment aucune chance que les Américains laissent aux Français un tel contrat dans leur pré-carré australien. L’image d’un Jean-Yves Le Drian, brillant VRP de l’industrie de défense tricolore, qui espérait avoir obtenu la neutralité des Américains sur l’octroi de ce contrat (les Australiens leur avant d’emblée octroyé la conception du système de combat) en prend un coup.
Une «confiance trahie» regrettait ce 16 septembre l’ex-ministre français de la Défense sur le plateau de Franceinfo. «Cela ne se fait pas entre alliés», lance-t-il, faisant part de son «amertume» et de ses préoccupations quant au «comportement américain». Quant à Florence Parly, ses critiques ne vont qu’aux Australiens. L’actuelle ministre dénonce ainsi une rupture «grave», qui constitue «une très mauvaise nouvelle pour le respect de la parole donnée»… semblant oublier l’épisode des Mistral acheté par Moscou, quand la France s’était rétractée sous pression américaine et polonaise à la suite du rattachement de la Crimée à la Russie.

Un contrat historique, cible de toutes les attaques médiatiques

Depuis la victoire de Naval Group en 2016 pour l’octroi de ce contrat, le plus important de l’histoire du pays, l’entreprise française s’est régulièrement retrouvée sous le feu des critiques de la presse australienne. Quelques semaines à peine après que Naval Group a remporté le fameux «contrat du siècle», The Australian révélait en détail le contenu de 22.400 pages d’information du sous-marin Scorpène, portant un coup terrible à la crédibilité de l’industriel vis-à-vis de tous ses clients.
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Le gouvernement australien ne manqua pas de se saisir de l’affaire, poussant le patron de Naval Group Pierre-Éric Pommellet à se rendre à Canberra où il fera des concessions sur la répartition de la charge de travail: 60% en faveur des entreprises australiennes. En février 2020, son prédécesseur, Hervé Guillou, dénoncera une «campagne malveillante» à l’œuvre en Australie.
Challenge est revenu sur cette campagne médiatico-politique à l’encontre de Naval Group teintée de «fake news» et de «mauvaise foi». Ainsi, l’hebdomadaire soulignait-il par exemple que les surcoûts brandis par les opposants s’expliquaient en grande partie… par la variation du taux de change entre l’euro et le dollar australien. Aucun autre contrat d’armement sur l’île-continent n’a vu un tel déferlement de critiques, alors même qu’ils ont tous subi d’énormes retards: tels que les frégates Hunter, les destroyers de classe Hobart, ou encore les F-35 que les Américains livrèrent aux Australiens avec 10 ans de retard.
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