Moscou arrive à point nommé pour sauver Obama

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La proposition russe de placer les armes chimiques syriennes sous contrôle international a légèrement détendu l'atmosphère, tout en réduisant la probabilité d’une attaque américaine contre la Syrie.

La proposition russe de placer les armes chimiques syriennes sous contrôle international a légèrement détendu l'atmosphère, tout en réduisant la probabilité d’une attaque américaine contre la Syrie. Il n'est pourtant pas facile de reconstituer la chaîne de cause à effet dans cette histoire car une interprétation trop évidente des événements pourrait pousser à l'erreur. Reste une question: les USA souhaitent-ils vraiment entrer en guerre contre Assad?

Lundi le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a proposé ce contrôle des armes chimiques afin d'empêcher une opération militaire unilatérale contre Damas. Mardi déjà le gouvernement syrien donnait son accord à une telle démarche. Mercredi matin Barack Obama déclarait à tous les Américains que l'opération pouvait et devait être repoussée.

Une déclaration très opportune

En résumé le président américain a ouvertement déclaré à sa nation "puisque c'est comme ça, il faut reporter l'attaque de la Syrie, peser le pour et le contre et examiner la situation". Sous-entendu : "Le congrès est déjà prêt à me dévorer tout cru".

On pourrait évidemment se réjouir et proclamer que les brutes américaines guidées par un Obama désorienté ont essuyé un échec cuisant et doivent se retirer, confrontées qu’elles sont aux protestations de leur propre population et à la position intransigeante de la communauté internationale, notamment de la Russie.

Cela ferait certainement plaisir à certains mais serait loin de la vérité. En réalité, tout le monde devrait laisser un peu Barack Obama en paix.

Cet homme est si réticent à partir en guerre qu'à côté de lui Clinton (Yougoslavie) et Bush (Irak) sont de vrais maniaques pathologiques. En réalité Obama a tout fait pour que l'opération n'ait pas lieu : il l'a retardée jusqu'au dernier moment puis a mis la décision sur le dos du congrès.

Ensuite, il a étudié pendant plusieurs jours le résultat potentiel du vote au parlement en ajoutant que les attaques de missiles de croisière à distance pourraient ne pas suffire et qu’il faudrait utiliser l'armée de l'air à part entière… C'est ainsi que le président a décidé de renforcer la réticence de la société face à la guerre et son aspiration à éviter les pertes.

Le congrès s'est réjoui également lorsque Kerry et Hagel, devant le Sénat et en direct à la télévision, n'ont pas réussi à citer ne serait-ce que le nombre approximatif de "rebelles" qu'on est supposé aider en Syrie. Ils sont 80, 90, peut-être 100 000, a enfin lâché Kerry…

Et ce sont ces gens-là qui sont venus au parlement de leur pays pour demander l'approbation de l'opération militaire. Des déclencheurs de guerre fanatiques qui ne voient pas d'autres objectifs. Est-ce ainsi que se comportent des politiciens qui veulent à tout prix parvenir à leur fin et se sont minutieusement préparés à le faire ?

Un piège pour Washington

La Maison blanche est depuis dans une situation désagréable. Elle ne veut pas vraiment et, dans l'ensemble, ne peut pas trop se permettre l'opération syrienne, même sous une forme limitée et à distance. D’un autre côté il lui est extrêmement difficile d'y renoncer dans les conditions actuelles.

Car il ne faut pas oublier la pression de ses partenaires au Moyen-Orient - l'Arabie saoudite et le Qatar, très importants pour la stabilisation des marchés financiers - ni le conflit avec les faucons politiques aux USA mêmes, capables de profiter de la faiblesse de l'administration face aux "crimes inhumains du régime syrien".

A l'heure actuelle une grande partie des républicains du congrès critique l'idée d'attaquer la Syrie et au final l'affaiblissement des démocrates pourrait se transformer en succès républicain aux législatives et à la présidentielle.

Sans oublier un autre aspect subtil et tout aussi important : le rôle traditionnel des Etats-Unis comme protecteurs de leurs alliés. Toute une série de pays qui font partie du système de garanties de sécurité américaines (Israël, le Japon, etc.) pourrait interpréter l'éloignement passif de Washington de la problématique syrienne comme un signe d'incapacité à remplir ses engagements d'allié en cas de besoin.

Le futur ex-empire au début du chemin

L'Amérique se détache douloureusement du stéréotype de "mono-superpuissance" des années 1990 qui a, d'ailleurs, traumatisé de nombreux amateurs russes de politique à tel point qu'ils ne voient rien dans ce pays qu'une "ville sur la colline" qui "exporte l'instabilité" et lance des "frappes humanitaires" contre tous ceux qui ne se plient pas à ses caprices.

Aujourd'hui déjà, on peut lire dans la presse russe des commentaires pleins d'abnégation selon lesquels une opération terrestre commencerait inévitablement en Syrie si une offensive aérienne était autorisée en premier lieu…

Une certaine partie des Américains continue de considérer leur pays comme responsable des événements qui se passent dans le monde. Et le comportement d'Obama reflète en soi toute la dualité de la situation actuelle : l'Amérique s'est habituée à être la seule puissance d'un tel niveau mais elle n'arrive plus à le maintenir. Du moins jusqu'à ce qu'elle arrive à faire un nouveau saut en avant sur le plan économique et technique - si elle arrive.

Et voilà que la Russie tend à son "partenaire stratégique" une baguette magique qui lui permet d’éviter d’entrer en conflit avec qui que ce soit. Dans ce sens c'est une sérieuse victoire de la diplomatie russe, qui a su profiter de la passe difficile de Washington afin de stabiliser la situation en Syrie, d’améliorer son autorité sur l'arène internationale et de renforcer par la même occasion sa coopération avec l'Amérique.

S'il y a quelqu'un qu'on n'envie pas du tout dans ce dossier, c'est bien Paris. Personne n'a forcé la France à proclamer qu'elle était prête à intervenir en Syrie en contournant le Conseil de sécurité des Nations Unies. L'histoire de l'échec infâme à Suez en novembre 1956, lorsque l'invasion anglo-franco-israélienne en Egypte avait été stoppée par la pression solidaire touchante de Moscou et de Washington, semble avoir été oubliée par les politiciens français…

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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