Une percée brusque de l’agriculture familiale

© © Photo: RIA Novosti/Anton DenisovUne percée brusque de l’agriculture familiale
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Ce n’est pas par hasard que 2014 a été officiellement proclamée Année internationale de l’agriculture familiale et que cette initiative revient au ministre français de l’Agriculture, Stéphane le Foll. Les experts internationaux sonnent l’alarme sur ce secteur.

Bien qu’elle assure plus de la moitié des besoins en produits alimentaires du globe, l’agriculture familiale fait face à trois types de problèmes : financier, politique et idéologique. Souffrant d’une image négative d’un métier ou d’un loisir archaïque, elle témoigne à la fois d’une crise agricole et celle des valeurs traditionnelles. Caterina Batello, responsable d'équipe à la Division de la production et protection des végétaux à la FAO, l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture, possède elle-même une petite ferme. Elle a partagé son opinion avec nous, aussi bien en représentante de FAO, mais également en agricultrice qui produit elle-même des noix, des fruits et de la luzerne.

LVdlR. L’ONU a officiellement proclamé 2014 Année internationale de l’agriculture familiale (AIAF). Est-ce que vous pourriez éclaircir cette notion ?

Caterina Batello. L’agriculture familiale c’est une agriculture qui concerne plus de 500 millions de familles, qui est présente dans tous les pays du monde, dans de différents écosystèmes, qui contribue à la production de tous les éléments nécessaires pour la sécurité alimentaire. C’est une année qui a une forte composante liée à la production pour la sécurité alimentaire et en même temps, une composante socialement très importante parce que les familles qui produisent contribuent à maintenir et à bien utiliser les ressources naturelles qui sont à la base de la production agricole, disons, l’eau, les terres, l’air et les éléments nécessaires pour produire, mais aussi pour maintenir les ressources naturelles. Les familles des producteurs sont au centre de la production et en même temps, au centre de la protection des écosystèmes et de nos ressources naturelles.

LVdlR. D’où vient l’initiative de favoriser l’agriculture familiale : d’en haut ou d’en bas ?

Caterina Batello. C’est la première fois que cette initiative vient vraiment du bas. Normalement, il y a des années internationales sur la pomme de terre, sur le riz, mais c’est lié aux producteurs, aux gens qui produisent, qui font de leur production quelque chose de bonne qualité à tous les gens qui vont utiliser les produits agricoles et aussi pour laisser quelque chose à leurs amis, à leurs enfants dans le futur. C’est une initiative qui a commencé il y a presque 8-10 ans avant l’année internationale et qui s’est basée sur de forts mouvements sociaux, aussi bien que beaucoup de pays qui ont voulu fortement que cette année soit créée pour célébrer et pour aider à développer des politiques nationales dans leur propres pays en faveur de la production familiale. »

Il existe plein d’autres aspects qui sont souvent négligés ou ignorés par la communauté internationale. Notre expert Elisabeth Byrs, porte-parole du programme alimentaire mondial (PAM) à Genève, militante acharnée de l’agriculture familiale, nous a fait l’immense honneur de décortiquer l’état des faits. Ecoutons-la.

Elisabeth Byrs. L’agriculture familiale représente le groupe le plus important pour le secteur alimentaire. C’est un secteur clé et vital pour nourrir les hommes. Et bientôt, il faudra nourrir 9 milliards de personnes en 2050 sur la planète. Il est très important de voir qu’actuellement il y a 805 millions de personnes qui n’ont pas assez à manger, qui souffrent de malnutrition chronique. Ce sont les tendances. C’est-à-dire qu’une personne sur neuf dans le monde va au lit le ventre vide. Bien sûr, ces chiffres baissent par rapport à il y a quelques années mais ils sont encore extrêmement importants. Et on peut résoudre la question de la faim : il faut promouvoir l’agriculture familiale, les petits exploitants, parce que ce sont eux qui nourrissent la famille, qui ont besoin d’avoir des capacités pour continuer l’agriculture, pour améliorer la productivité des petites exploitations. Il y a environ 575 millions de petites exploitations agricoles à travers le monde. Et dans la plupart des cas, ce sont les femmes qui travaillent. Ces femmes représentent dans l’agriculture familiale et dans le secteur agricole tout court plus de 50% de la main-d’œuvre, et dans certains pays, même plus de 60%. En Afrique, 8 agriculteurs sur 10 sont des femmes. Il faut absolument augmenter le pouvoir des femmes au sein de ces entreprises familiales parce que c’est la femme qui va nourrir la famille, qui va s’occuper des enfants et qui va générer un revenu supplémentaire qu’elle utilisera pour s’occuper non seulement de sa famille, de la santé de sa famille et de l’éducation de ses enfants. Et souvent elles n’ont pas le même accès que les hommes aux moyens pour cultiver. Dans certains pays, elles n’ont pas accès à la terre, elles ne peuvent pas acheter de la terre, elles n’ont pas accès aux mêmes outils, aux technologies, aux mêmes semences – toutes ces facilités qui sont données aux hommes. On a calculé que si on donne une égalité pour avoir les mêmes moyens aux femmes fermières, agricultrices qu’aux hommes, et bien, entre 100 millions et 150 millions de personnes pourraient manger.

LVdlR. Selon vous donc, la situation un peu dégradée de l’agriculture familiale repose d’abord sur l’inégalité entre les hommes et les femmes fermiers ?

Elisabeth Byrs. C’est une partie du problème, une partie importante. Il faut aussi améliorer la productivité de ces petites exploitations familiales, c’est-à-dire leur donner un meilleur accès aux engrais, aux outils modernes, à l’agriculture beaucoup plus moderne et laisser tomber les moyens ancestraux qui ne sont plus assez performants. Et, bien sûr, essayer d’apprendre, de former ces générations de petits exploitants pour qu’ils puissent mieux conserver leurs récoltes, qu’ils puissent mieux la gérer, qu’ils puissent mieux être résistants aux chocs climatiques.

LVdlR. Nombreux sont ceux qui associent l’agriculture familiale à quelque chose d’archaïque. Est-ce que cette image négative empêche le développement de ce secteur ?

Elisabeth Byrs. C’est, peut-être, une image qui fait que dans certains pays on ne fait pas trop attention à ces personnes qui ont un petit jardin et qui, pourtant, si elles étaient soutenues, pourraient renforcer le pouvoir économique du pays.

LVdlR. Est-ce que les sanctions russes ont joué un certain rôle dans toute cette histoire ?

Elisabeth Byrs. Pour nous, le problème ne se pose pas vraiment et je n’ai pas d’information en ce sens. En ce qui concerne les pays en développement, la Russie est un donateur important pour le Programme alimentaire mondial (PAM) puisqu’en 2013 et en 2014, elle a chaque année versé au PAM plus de 50 millions de dollars d’aide. Nous avons également reçu de la Russie une importante flotte de camions Kamaz pour une valeur de 21 millions de dollars. Cela va être la première fois que nous le PAM, au lieu de louer et de contracter des camions, nous allons avoir, grâce à la Russie, notre propre flotte de camions. C’est quelque chose d’exceptionnel et nous en remercions la Russie.

LVdlR. Pensez-vous que l’agriculture familiale serait une agriculture d’avenir ?

Elisabeth Byrs. C’est un des secteurs qui peut, en effet, devenir une agriculture d’avenir si chaque famille dans des pays défavorisés, en développement et notamment en Afrique, dans certains pays d’Asie, si chaque famille peut avoir des moyens de cultiver le sol, d’abord de pouvoir nourrir sa propre famille et, peut-être, même le village et de contribuer ainsi à la richesse de chaque pays, et bien, on pourrait s’approcher du défi qui est d’éliminer la faim dans le monde. Il y a de quoi cultiver, les terres sont là, il faut juste améliorer cette productivité et donner le pouvoir notamment à ces femmes de pouvoir continuer à nourrir leurs familles. »

L’agriculture familiale représente une image flouée d’un monde ultramoderne avec une famille en déclin, une alimentation génétiquement modifiée, une économie anti-verte. Les paysans sont souvent méprisés par les bourgeois blasés et corrompus ce qui ne les empêche pas de préférer l’alimentation saine et équilibrée des petits exploitants.

Paradoxalement, l’agriculture familiale apparaît comme un moyen simple et pas très cher pour lutter contre les problèmes de faim, d’emploi et de sécurité alimentaire. Le moindre geste amical ou l’investissement le plus modeste de la part des décideurs politiques permettra d’exploiter son potentiel immense et de sauver énormément de vies.

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