Coronavirus: quand la Chine tousse, c’est l’économie mondiale qui prend froid

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Tout au long de l’Histoire, on constate que l’appât du gain a joué un rôle décisif dans l’affaiblissement des mesures de protection sanitaires. Les conséquences de l’épidémie sur l’économie seront importantes et à travers une crise que l’on pouvait penser passagère, c’est l’équilibre entre mondialisation et souveraineté qui est remis en cause.

L’épidémie de coronavirus (Covid-19) nous fournit un très bon exemple des conséquences de la globalisation. D’un strict point de vue sanitaire, nous avons été en présence d’une épidémie d’un virus à la dangerosité assez faible mais fortement contagieux. C’est ce qui fait la différence avec les autres épidémies. Le nombre de cas est très supérieur à celui de la propagation de SRAS de 2003 qui avait contaminé 8.096 personnes et fait 779 morts. Cependant, les conséquences économiques sont et seront largement plus importantes.

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Cette épidémie, qui a pris naissance en Chine, s’est ensuite propagée à travers le monde du fait des moyens de transport, remettant à l’honneur les mesures traditionnelles de quarantaine. Il y a en fait peu de différence, si ce n’est évidemment la dangerosité de la maladie, avec l’épisode de peste de 1720 à Marseille. Cette dernière était, elle aussi, liée à la globalisation de l’époque. C’est un navire, Le Grand-Saint-Antoine, en provenance du Levant, qui avait apporté les germes, et leurs vecteurs étaient les puces et les rats. La propagation n’était pourtant pas inévitable. On peut aussi penser à la grippe espagnole, une variante de grippe (virus H1N1) qui débuta en Chine (comme le coronavirus), passa par les États-Unis et se répandit en 1918-1919. Cette épidémie fit autour de 50 millions de morts, dont un très grand nombre en Inde et en Chine. Les conditions d’hygiène et de promiscuité de l’époque, les effets de la Première Guerre mondiale, aussi, avaient joué un rôle très important dans la propagation et la létalité de cette maladie.

Les leçons du Grand Saint Antoine

La peste qui sévit en Provence et dans la ville de Marseille de 1720 à 1723 est un antécédent intéressant car sa diffusion est liée aux flux commerciaux de l’époque. C’est à la suite de graves négligences, et malgré un dispositif de protection en théorie très strict qui comportait la mise en quarantaine des passagers et des marchandises, que la peste s’est propagée dans la ville. Il semble bien que les règles de la quarantaine n’avaient pas été respectées et que l’attrait du gain fut la cause d’un débarquement trop rapide de la cargaison. Comme il était alors fréquent dans ce type d’épidémie, les quartiers déshérités et les plus anciens furent les plus touchés. La peste s’étendit rapidement dans la cité où elle engendra environ 40.000 décès sur 80.000 à 90.000 habitants. Puis, elle se propagea dans toute la Provence, où elle causa entre 90.000 et 120.000 victimes sur une population d’environ 400.000 personnes.

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De fait, en cours de route, cinq personnes, dont le chirurgien de bord, étaient décédées.  L'alerte était donc grave et le capitaine avait alors décidé de s'arrêter dans la rade du Brusc, à proximité de Toulon. Les raisons de cette escale sont assez mystérieuses, mais certains historiens estiment que le capitaine avait voulu prendre l'avis des propriétaires de la cargaison pour fixer la conduite à tenir.

Le Grand-Saint-Antoine fit alors demi-tour pour gagner Livourne, où il arriva le 17 mai. Les Italiens cependant décidèrent d’interdire l'entrée du navire dans le port et le firent mettre à l'ancre dans une crique gardée par des soldats. Cette précaution apparue d’autant plus judicieuse que le lendemain, trois personnes décédèrent à bord. Les cadavres qui furent examinés par des médecins détectèrent à une «fièvre maligne pestilentielle». Mais ce terme ne doit pas prêter à confusion. Pour les spécialistes de santé de l'époque, il ne désigne pas la peste. Les autorités de Livourne mentionnent, au dos de la patente de Tripoli, qu'elles ont refusé l'entrée du navire dans le port à cause de la mortalité d'une partie de l'équipage en raison de cette fièvre. Le navire est retourné alors vers Marseille: il y avait eu depuis le départ de Tripoli neuf décès à bord. Le 25 mai, le capitaine fit sa déclaration à l’intendant de santé Tiran. Ce dernier prit l’avis du bureau de Santé et décida de mettre le navire en quarantaine. Mais le 29 mai, ce même bureau décida, fait très inhabituel, de faire débarquer aux infirmeries les marchandises de valeur tandis que les balles de coton devaient être transférées à l'île de Jarre. Le 3 juin, cette décision fut étendue à toutes les marchandises. La peste se répandit alors dans Marseille et de là en Provence.

Hier et aujourd’hui: l’appât du gain, un facteur décisif

On constate donc, d’hier à aujourd’hui, que l’appât du gain a joué un rôle décisif dans l’affaiblissement des mesures de protection. Une maladie ne tue qui si on lui en offre les moyens. Ainsi, si elles avaient été correctement appliquées, comme les textes le prévoyaient, les mesures de quarantaine, équivalent du XVIIIe siècle avec nos mesures de «confinement», auraient été efficaces. Il y aurait certes eu des décès, mais pas d’épidémie. C’est bien parce que l’on a décidé de faire passer le profit avant la sécurité que la maladie a pu se répandre.

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Cette combinaison d’avidité et de prise de risque inconsidérée se retrouve en partie dans la ville de Wuhan, mais aussi dans les décisions initiales du gouvernement chinois qui a davantage cherché à faire taire les lanceurs d’alerte qu’à prendre des mesures qui, dans les derniers jours de décembre, auraient pu limiter l’épidémie à Wuhan. Cette ville, et l’ensemble de la région, constituent un important centre de production. Au-delà, on peut penser que les autorités locales ont eu peur de compromettre les festivités du Nouvel An, un événement qui a une importance considérable tant pour la consommation que pour les déplacements. Le retard qui fut pris dans le contrôle sanitaire explique largement le caractère incontrôlable qu’a pris le développement de la maladie à partir de la fin du mois de janvier. Ce n’était pourtant pas le premier épisode épidémique qui frappait la Chine. Les mesures de confinement, qui furent prises mais avec un retard important, confirment que le gouvernement chinois n’a pas totalement été pris au dépourvu.

Conséquences économiques

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Les conséquences de cette épidémie sur l’économie mondiale seront importantes mais ne peuvent être précisément déterminées au moment où ces lignes sont écrites. Elles seront néanmoins conséquentes du fait du poids de l’économie chinoise. Lors de la précédente épidémie de SRAS en 2003, la Chine ne pesait que 8,5% du PIB mondial. Elle en pèse désormais près de 20%. On peut les classer en trois catégories.

Il y a tout d’abord les conséquences immédiates de la mise à l’arrêt d’une grande partie des industries chinoises. La production baisse, mais la consommation de matières premières recule elle aussi. Si, durant le premier trimestre de 2020, le PIB de la Chine s’est replié de 2% comme on l’annonce, alors, cela implique un recul de 0,4% sur le PIB mondial. L’impact direct, pour un pays comme la France, sera aussi lié à la baisse du tourisme et de la consommation qui lui est liée. L’OCDE a d’ailleurs révisé ses projections de la croissance mondiale. Cette organisation estime que «la croissance annuelle du PIB mondial devrait en conséquence baisser globalement à 2,4% en 2020, en partant du chiffre déjà faible de 2,9% enregistré en 2019, et elle pourrait même peut-être être négative au premier trimestre de 2020».

Mais la production hors de Chine est aussi touchée car une partie non négligeable de la valeur ajoutée produite en Europe est liée à la production chinoise. Ainsi, entre 60% et 80% des principes actifs de produits pharmaceutiques sont produits en Chine et en Inde. De même, dans l’automobile, de nombreux composants –des batteries de véhicules électriques aux composants électroniques– sont fabriqués en Chine. Au-delà donc du choc direct, il y a un choc indirect. Les chaînes de valeur impliquent une présence de la Chine dans la production mondiale et pas seulement dans le made in China.

Il y aura, enfin, un choc différé. D’autres pays sont touchés (la Corée du Sud, l’Italie, voire les États-Unis). L’effet direct de cette épidémie, comme l’effet de panique qu’elle provoque, aura des conséquences délétères sur la production. Les pays affectés hors la Chine devraient voir leur production baisser au deuxième trimestre 2020. L’étude de l’OCDE, qui analyse l’impact de l’épidémie, ne prend en compte qu’une estimation «moyenne». Cela montre bien l’impact sur l’économie mondiale de cette épidémie.

Une possibilité de crise financière?

Si ces effets se manifestent dans la sphère réelle, cette épidémie aura aussi des conséquences financières. Depuis le 20 février 2020, autrement dit depuis le moment où l’on a eu les chiffres de la consommation d’énergie en Chine et où l’on a pu mesurer la forte baisse de cette dernière, les marchés financiers ont connu des baisses importantes.

On voit clairement que jusqu’au 20 février, les marchés financiers ont vécu dans une forme de déni de réalité. Quand celle-ci s’est imposée, la correction a été brutale. Bien entendu, l’action des banques centrales a été importante, la Réserve fédérale des États-Unis a fortement baissé ses taux directeurs. Mais cette action ne peut pas contrecarrer une crise qui se manifeste essentiellement par des arrêts ou de fortes diminutions de la production.

C’est ce que l’on constate si l’on regarde les cours des matières premières, et en premier lieu ceux du pétrole. Alors que le prix d’un baril de Brent était de l’ordre de 66 dollars à la mi-janvier, il s’est effondré autour de 46 dollars au 6 mars.

De nombreuses entreprises vont se trouver avec des problèmes de trésorerie dus à la chute de leur chiffre d’affaires. Cela va provoquer mécaniquement une montée des «mauvaises dettes» pour les banques. Ces dernières ont beaucoup perdu en Bourse ces derniers jours.

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Les compagnies d’assurances devront aussi indemniser des clients assurés contre le risque épidémique. Bien entendu, les banques centrales sont conscientes de ce problème. Elles maintiendront le loyer de l’argent à des niveaux très bas. Mais leur capacité à relancer la production est en réalité assez faible. On mesure ici la relative impuissance des instruments financiers. De fait, les gouvernements devront reprendre la main, ce qu’a reconnu le ministre français de l’Économie Bruno le Maire.

La crise de la mondialisation?

Cette épidémie a fait prendre conscience que les principes de la souveraineté économique, que cette souveraineté soit pharmaceutique, alimentaire, voire industrielle, sont centraux pour la stabilité de nos sociétés. Mais ces notions de souveraineté économique sont en réalité contradictoires avec la mondialisation. Ainsi, à travers une crise que l’on pouvait penser passagère, c’est l’ensemble de l’équilibre entre mondialisation et souveraineté qui est remis en cause.

 

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