Nord Stream 2: les Américains font un cadeau, les Européens sont ficelés

© Sputnik . Ilya Pitalev / Accéder à la base multimédiaNord Stream 2
Nord Stream 2 - Sputnik Afrique, 1920, 20.05.2021
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Tout en restant opposés bec et ongles à l’achèvement de Nord Stream 2, les États-Unis renoncent à sanctionner la filiale suisse de Gazprom qui pilote le projet. Pour le moment du moins… Selon Didier Julienne, président de Commodities & Resources et professeur à l’EGE, cette magnanimité vise à amadouer les Européens et elle cache quelque chose.
«Nous nous rendons bien compte que nous n’avons qu’une partie du match sous les yeux. Mais, tel que cela est présenté, il est clair que c’ est un avantage pour la partie germano-russe», réagit Didier Julienne au micro de Sputnik.

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Spécialiste des ressources naturelles, le professeur à l’École de guerre économique (EGE) n’est pas dupe suite à l’annonce par Washington d’exempter de sanctions la société Nord Stream 2 AG ainsi que son PDG, Matthias Warnig.

Officialisée le 19 mai par une déclaration écrite d’Antony Blinken, cette décision avait fuité la veille dans la presse outre-Atlantique. Le 19 mai même se tenait la première rencontre Lavrov-Blinken de l’ère Biden. Échanges durant lesquels le sujet n’a pourtant pas été abordé!

Un cadeau de Biden à ses alliés Européens

Premiers grandes gagnantes, les entreprises européennes qui participent au projet de gazoduc. «Le fait de lever les sanctions contre Nord Stream 2 AG, par ricochet, lève également les menaces de sanctions contre les sociétés européennes qui ont financé en partie Nord Stream 2», souligne notre intervenant. En première ligne sur ce chantier ayant déjà coûté 10 milliards d’euros: les allemands Wintershall et Uniper, l'autrichien OMV, le néerlando-britannique Shell ainsi que le français Engie, qu’on tendrait à oublier depuis que Paris s’est rangé du côté des opposants au gazoduc.

«Cela signifie que les États-Unis ont pris conscience qu’ils n’avaient aucun intérêt à sanctionner des sociétés établies dans des pays alliés», analyse Didier Julienne.

Bref, ce geste de l’Administration Biden semble destiné à renouer avec les Européens après l’ère Trump. D’ailleurs, il est perçu de ce côté de l’Atlantique comme un signe de bonne volonté. En revanche, le président ukrainien, lui, dénonce ce 20 mai une «victoire géopolitique» offerte à la Russie.

Côté russe, la perspective de l’exonération de sanctions à l’encontre de la filiale suisse de Gazprom a cependant été accueillie de manière mitigée. «De la façon dont les États-Unis détruisent nos relations, y compris en recourant à des sanctions, cette étape ne changerait pas de manière significative les grandes lignes des relations russo-américaines et du dialogue russo-américain», avait ainsi tempéré le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergei Ryabkov, avant l’annonce d’Antony Blinken.

Potentiel deal énergétique entre Washington et Berlin

Et pour cause, si Nord Stream 2 AG et ses principaux partenaires européens n’encourent plus de sanctions dans l’immédiat, quatre vaisseaux et entreprises russes ont été dans le même temps «identifiées» par le chef du Département d’État et promises à une nouvelle série de mesures de rétorsion.

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En effet, la déclaration écrite d’Antony Blinken stipule que les États-Unis continueront à s’opposer à l’achèvement de ce gazoduc qui «affaiblira la sécurité énergétique de l'Europe, de l'Ukraine, du flanc oriental de l'Otan et des pays de l'UE». Une ambition confirmée dans la foulée par une porte-parole de la diplomatie américaine.

«Je ne vois pas de levée de sanctions contre les sociétés qui ont construit Nord Stream 2, telle que la société Allseas, spécialisée dans la pose de conduites de gaz», ajoute le professeur de l’EGE. «Donc cela signifie que la société Nord Stream 2 AG doit continuer à poser le reste du gazoduc par elle-même.»

Propriétaire du plus grand navire de pose de pipelines du monde, Allseas avait annoncé fin décembre 2019 retirer ses vaisseaux de la zone de construction du gazoduc après la promulgation d’un décret de Donald Trump. Ce dernier ouvrait la voie à de lourdes sanctions financières et pénales à l’encontre de toute entreprise ou personne qui prendrait part, de près ou de loin (dirigeants de compagnies, armateurs, sociétés d’assurance maritime, etc.), à la construction de la seconde conduite reliant la Russie à l’Allemagne via le fond de la Baltique.

Vers «un renversement total de l’histoire»?

Plus qu’un «cadeau» à leurs alliés du Vieux Continent, Didier Julienne émet l’hypothèse que ce soudain revirement des États-Unis «reflète la finalisation d’un accord» entre Allemands et Américains. En d’autres termes, il lui paraît plausible que Berlin ait pu accepter de recevoir du gaz naturel liquéfié américain (GNL) en échange d’une levée des dispositions coercitives.

Évoquant les frictions que cette décision de Washington pourrait susciter dans les pays d’Europe de l’Est, Pologne et Ukraine en tête, qui appellent les États-Unis à empêcher par tous les moyens la finalisation du gazoduc, le spécialiste des ressources naturelles pousse le raisonnement plus loin:

«Imaginons, par exemple, que la partie qui nous soit cachée ne concerne non pas nécessairement du gaz américain destiné aux consommateurs allemands, mais du gaz américain qui soit déversé dans les ports européens –polonais ou allemands– et que ce gaz soit ensuite acheminé vers les consommateurs ukrainiens, comme cela a été le cas depuis maintenant un peu plus d’un an.»

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La Pologne est déjà devenue un gros importateur de GNL américain depuis la signature de deux contrats d’approvisionnement en novembre 2017 puis octobre 2018. Il faut dire que depuis 2014, les États-Unis n’ont eu de cesse d’accroître leur production d’hydrocarbures, devenant progressivement les premiers producteurs puis exportateurs au monde de gaz et de pétrole.

En somme, un tel accord entre Berlin et Washington sonnerait le glas de tout un mode d’approvisionnement énergétique de l’Europe, selon Didier Julienne.

«Vous avez là l’officialisation d’une stratégie de puissance énergétique américaine qui revient en force, destinée à ses alliés d’Europe centrale, mais qui utilisera des infrastructures qui sont situées en Europe de l’Ouest. […] Le gaz russe va arriver en Europe de l’Ouest et le gaz américain en Europe de l’Est. C’est un renversement total par rapport à ce que nous avons connu du temps du bloc soviétique.»

Complété à 95%, le chantier avait été suspendu près d’un an après le retrait d'Allseas, puis bloqué début mai, après un recours en justice d’une association de préservation de l’environnement… L’Agence allemande de la navigation maritime et de l'hydrographie (BSH) vient enfin de donner son feu vert à la reprise des travaux dans les eaux allemandes.

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