Non, le racisme de certains Maghrébins contre les Noirs n’est pas un «racisme méconnu»

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Poing blanc - Sputnik Afrique, 1920, 01.06.2021
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Le cas de l’agression raciste se référant à l’esclavage d’un Algérien contre un livreur et une femme noirs à Cergy a ravivé les débats autour de la traite arabo-musulmane. Selon une responsable de la Licra, ce type de racisme reste «méconnu», bien que la traite arabo-musulmane ait pour sa part existé pendant plus de dix siècles.

Quelques semaines après la Journée nationale des mémoires de l’esclavage, les réseaux sociaux et la presse s’indignent d’une agression et des insultes racistes dont ont été victimes deux personnes noires de la part d’un agresseur se présentant comme Algérien. Mais les insultes racistes proférées par un Arabe envers un Noir sont-elles un phénomène si nouveau?

Le suspect finalement interpellé

Un livreur noir d’Uber Eats a été tabassé et insulté devant un restaurant de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) le soir du 30 mai. L’altercation avait commencé pour une histoire de musique trop forte. Un individu aurait demandé au livreur de baisser le volume de son enceinte portative. Après avoir refusé, le livreur a été violemment insulté puis frappé à plusieurs reprises. Une riveraine, qui a entendu les cris, a filmé la scène. Elle a alors elle aussi subi des insultes racistes.

«Espèce de négresse, espèce de sale Noire […], pendant 800 ans on vous a vendu comme du bétail!», a hurlé l’agresseur, se présentant comme Algérien, à cette femme.

Le suspect a été interpellé à Paris le 1er juin et placé en garde à vue pour «violences aggravées et menaces de mort aggravées».

Un «racisme méconnu»?

«Ce qu’il y a de nouveau dans ce type de propos racistes, c’est l’évocation de l’esclavagisme, la traite négrière arabo-musulmane», a commenté Galina Elbaz, présidente de la commission discriminations de la Licra, ce 1er juin sur CNews.

​D’après elle, c’est «un phénomène qui passe un petit peu de côté». «Cette vidéo met en évidence un racisme méconnu», a-t-elle pointé.

La loi Taubira

La traite arabo-musulmane est pourtant un phénomène d’une ampleur assez importante, mais il n’est pas mentionné dans la loi contre l’esclavagisme, dite Taubira. Adoptée en 2001, elle reconnaît comme crime contre l’humanité uniquement la traite négrière occidentale.

Selon des historiens, comme Olivier Pétré-Grenouilleau, il existe plusieurs types de traites négrières: la traite atlantique (occidentale), la traite arabo-musulmane et la traite interafricaine alimentant les deux autres traites.

En 2005, Jacques Chirac décida que le 10 mai, jour de l’adoption de la loi Taubira, deviendrait la Journée des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leur abolition. Le terme de traite n’y figure qu’au singulier.

Le 4 mai 2006, un article paru au journal l’Express avait cité les propos de Christiane Taubira, rapporteuse de cette loi, selon lesquels il ne faut pas trop évoquer la traite négrière arabo-musulmane pour que les «jeunes Arabes» «ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes».

L’ampleur de la traite arabo-musulmane
«La traite négrière arabo-musulmane en Afrique a duré, elle, 13 siècles», tandis que «la traite occidentale, partie émergée de l’iceberg, a duré moins de trois siècles: elle a commencé à la fin du XVe siècle pour les Portugais», a écrit Marie-Claude Barbier Mosimann, chercheuse à l’ENS Paris-Saclay, dans un article du Figaro paru ce 11 mai.

«Dès les débuts de l’islam, au septième siècle, elle [la traite arabo-musulmane, ndlr] s’est répandue dans tout le Maghreb d’où partaient des caravanes qui traversaient le Sahara pour ramener des esclaves noirs de la côte subsaharienne», a rappelé la chercheuse.

Or, vers 1850, la présence territoriale étrangère la plus importante en Afrique était celle de l’Empire ottoman, qui occupait tout le Maghreb, à l’exception du Maroc, plus un vaste territoire le long du Nil. L’esclavage était un rouage essentiel de l’économie et de la société ottomanes, pointe l’historienne.

Selon l’anthropologue algérien Malek Chebel, cité aussi dans l’article de Mme Barbier Mosimann, «l’esclavage en terre d’islam» reste «un tabou bien gardé».

Discrimination contemporaine

De plus, des historiens soulignent la discrimination contemporaine des personnes noires au Maghreb.

«Le racisme anti-noir continue aujourd’hui au Maghreb. La couleur de peau est toujours associée à un statut inférieur. Des tribus pratiquaient l’esclavagisme dans tout le Maghreb et c’est resté dans l’imaginaire collectif», avait indiqué le sociologue marocain Mehdi Alioua, auprès du Monde en novembre 2017.

Selon l’historien tunisien Salah Trabelsi, toujours dans le Monde, les Noirs au Maghreb font l’objet d’une «déconsidération doublée de discrimination».

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