Le Rassemblement national et Marine Le Pen en rêvent, Salvini l’a (presque) fait

© AP Photo / Luca BrunoMatteo Salvini gives his speech during the traditional League party rally in Pontida, northern Italy, Sunday, July 1, 2018
Matteo Salvini gives his speech during the traditional League party rally in Pontida, northern Italy, Sunday, July 1, 2018 - Sputnik Afrique
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Le gouvernement italien a adopté le 24 septembre à Rome une batterie de mesures drastiques visant à limiter l’immigration clandestine et à donner plus de moyens aux forces de l’ordre. Prônées par La Ligue du ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, proche du Rassemblement national, le parti de Marine Le Pen les voit d’un très bon œil.

«C'est un pas en avant pour rendre l'Italie plus sûre. Pour combattre avec plus de force les mafieux et les passeurs, pour réduire les coûts d'une immigration exagérée, pour expulser plus rapidement les délinquants et les faux demandeurs d'asile, pour révoquer la citoyenneté aux terroristes, pour donner plus de pouvoirs aux forces de l'ordre.»

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Matteo Salvini jubile. Lui qui a fait sienne la croisade anti-immigration clandestine est proche de se doter d'une arme puissante. De plusieurs, même. Le gouvernement italien a adopté le 24 septembre une série de mesures souhaitées de longue date par la coqueluche des souverainistes de la péninsule. Matteo Salvini et sa Ligue, qui partage le pouvoir avec le Mouvement 5 étoiles (MoVimento 5 Stelle, M5S), promettait de serrer davantage la vis contre l'immigration et l'insécurité.

​Si le texte n'a pas encore été rendu public, ses grandes lignes ont été présentées par Matteo Salvini lui-même et Giuseppe Conte, le chef du gouvernement. Et cela ne plaira pas à l'opposition. L'immigration d'abord. L'obtention d'un permis de séjour humanitaire se fera dorénavant de manière exceptionnelle. Seuls quelques cas seront éligibles, comme les victimes d'exploitation ou de calamité naturelle. Tout comme les personnes nécessitant des soins particuliers et… celles s'étant distinguées par des actes héroïques.

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Dans le camp d'en face, on crie à l'injustice. «Retirer la possibilité de délivrer un permis humanitaire à un demandeur d'asile qui a suivi un parcours d'intégration, en trouvant du travail et en œuvrant au bien-être général, est une mesure qui va contre le bon sens», s'est indigné Mario Morcone, ancien préfet chargé de l'immigration et président du Centre italien pour les réfugiés.

S'il y a un parti qui ne se trouvera pas dans le camp des détracteurs de ces mesures, c'est bien le Rassemblement national (RN). La formation politique de Marine Le Pen est une alliée de longue date de La Ligue de Matteo Salvini. D'après France Inter, c'est même la présidente du RN qui a conseillé au désormais ministre de l'Intérieur italien de changer le nom de son parti. La Ligue du Nord est devenue La Ligue en 2018 afin de lui donner une envergure nationale. Aujourd'hui, les députés européens des deux partis siègent ensemble dans le groupe de l'Europe des nations et des libertés aux côtés de l'AfD allemand ou du Parti de la liberté d'Autriche.

«Nous sommes très heureux de la décision du gouvernement italien. Cela prouve deux choses. Premièrement, Matteo Salvini met en place ce qu'il avait promis durant sa campagne et cela démontre que l'on peut tenir ses engagements en politique. Deuxièmement, il ne fait que confirmer qu'une autre politique migratoire est possible en Europe et que l'immigration n'est pas une fatalité, au contraire de ce que Monsieur Macron et ses amis veulent nous faire croire», réagit pour Sputnik France Gaëtan Dussausaye, membre du Conseil National du RN.

Des déclarations qui ne surprennent pas au regard de la proximité idéologique qui existe entre les deux formations politiques. Cité par France Inter, Philippe Vardon, membre du bureau national du RN et intime de Salvini, ne laisse pas de place au doute: «Le Rassemblement national, alors Front national, a été un modèle pour Matteo. Il est extrêmement fidèle à Marine Le Pen.»

​Et nul doute que les mesures «saviniennes» sont dans la droite veine de celles prônées par son ancêtre politique. Dans les faits, les commissions d'asile italiennes ont rendu 81.500 décisions en 2017. Parmi elles, l'asile a été accordé dans 8% des cas, de même que pour la protection subsidiaire et 25% des demandes ont abouti à des permis de séjour humanitaire. Les autres ont été rejetées. Le manque de statistiques précises sur les raisons des refus rend toute analyse périlleuse. Mais d'après l'AFP, «une partie de ces déboutés ont déposé un recours, et pour les dossiers déposés dans les délais, ont souvent obtenu la protection humanitaire». Reste que la presse italienne affirme que le texte prévoit qu'en cas de rejet, l'aide juridique gratuite sera tout simplement révoquée.

Contacté par Sputnik France, Bruno Gollnisch, député européen RN, voit en la politique de Matteo Salvini du «bon sens»:

«Le fait de pouvoir vérifier qu'un demandeur d'asile qui débarque dans un pays remplit bien les critères d'attributions et d'être en mesure de l'expulser dans son pays d'origine si ne n'est pas le cas ou qu'il se montre dangereux me semble tout simplement normal. En France, par exemple, notre droit d'asile n'est plus du tout adapté à l'époque dans laquelle nous vivons.»

L'espoir pave la route des Européennes

Autre point qui devrait inspirer l'ex-Front national: la suspension de la demande d'asile ainsi que l'expulsion dans le cas où le demandeur se montrerait «dangereux». Même chose s'il a fait l'objet d'une condamnation en première instance. Les expulsions seront facilitées par l'allongement de la durée maximale de rétention administrative qui passera de 90 à 180 jours. Pour finir, Matteo Salvini veut pouvoir révoquer la nationalité d'un Italien naturalisé s'il a été condamné pour terrorisme.

«Les affaires italiennes concernent les Italiens. Reste que toutes ces mesures sont demandées par le Rassemblement national et cela serait la moindre des choses qu'elles soient mises en place en France afin de protéger nos concitoyens. Il est urgent d'adopter une politique dissuasive en matière d'immigration», explique Gaëtan Dussausaye.

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Le texte comporte également un volet sécurité, qui prévoit notamment de généraliser l'utilisation de pistolets électriques par les forces de l'ordre et la réorganisation de la gestion des biens saisis à la mafia. Les Roms sont également indirectement visés par la disparition d'une série d'obstacles aux évacuations des bâtiments et terrains occupés illégalement. Difficile de ne pas se rappeler de l'objectif affiché par Matteo Salvini de «fermer tous les camps roms».

Une grande partie des Italiens semblent derrière leur ministre de l'Intérieur. En juin dernier, un sondage publié par le Corriere Della Sera plaçait La Ligue en tête des intentions de vote pour les prochaines élections avec un score de 31,2%. Le premier quotidien d'Italie notait qu'«il n'est jamais arrivé que, moins de quatre mois après les élections, une mobilité électorale fasse d'une force politique, qui s'était classée troisième, la première du pays». Lors des élections législatives de juin 2018, le parti de Matteo Salvini était arrivé sur la dernière marche du podium derrière le M5S et le Parti démocratique de Matteo Renzi. Selon TG7, au 24 septembre, La Ligue a encore grappillé des points pour culminer à 32% des intentions de vote.

​Un destin dont se prend à rêver le Rassemblement national, qui a du mal à se relever de la débâcle électorale de mai 2017 en plus d'avoir des problèmes financiers. «On a un Salvini qui est très en forme et en force. Marine Le Pen l'est un peu moins aujourd'hui. Néanmoins, la ligne que tous ces gens-là prennent est quand même celle du Front national depuis une dizaine d'années: anti-islam, anti-élites, nationaliste d'abord», expliquait récemment le politologue Erwan Lecoeur à nos confrères de France Inter.

«Évidemment que cela nous donne de l'espoir. Partout en Europe, nous voyons des mouvements aux idées proches des nôtres séduire les électeurs comme en Italie, en Autriche, en Allemagne, en Hongrie, en Slovaquie etc. Même dans des pays où les gouvernements n'appartiennent pas à la même sphère idéologique que la nôtre, on voit des resserrements de la politique migratoire comme au Danemark», analyse Gaëtan Dussausaye.

Un sondage Odoxa publié le 13 septembre mettait le Rassemblement national au coude-à-coude avec la formation d'Emmanuel Macron dans la perspective des élections européennes. Le RN rassemble 21% des intentions de vote et devance largement Les Républicains (14%) et la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon (12,5%). Quant à la liste de la République en marche et du Modem, elle reste en tête avec 21,5%.

Gaëtan Dussausaye souhaite «une double-victoire»:

«L'enjeu est à la fois franco-français, car il s'agit de refaire du RN le premier parti de France à l'occasion de ces Européennes, mais il est également européen. Nous souhaitons que nos partenaires à l'étranger envoient le plus de députés possible au Parlement européen afin que notre opposition à Bruxelles soit la plus forte possible.»

Bruno Gollnisch espère même que «la vague populiste» qui frappe plusieurs pays européen permette au groupe de l'Europe des nations et des libertés de devenir majoritaire au Parlement européen:

«Les bruits de couloirs que l'on entend ici à Bruxelles indiquent que les libéraux ont peur d'être submergés par une "vague populiste" comme il la nomme. Un terme qui n'est pas un gros mot pour moi. La situation politique dans plusieurs pays européens laisse entretenir l'espoir que nous obtenions une majorité au Parlement. Cela serait un véritable chamboulement politique. Nous pourrions avoir les outils pour mettre en place une Europe qui met en avant les valeurs traditionnelles, familliales, qui se protège de l'immigration et qui met en place un véritable protectionnisme économique. En d'autres mots, une Europe qui protège véritablement les Européens.»

Avant cela, le RN devra cette fois battre la République en marche et ses alliés. Quant à Matteo Salvini, il ne peut pas crier victoire tout de suite. De nombreux adversaires du texte se dressent sur sa route. La presse italienne indique que le Président de la République Sergio Mattarella qui se trouve être lui-même un ancien juge à la Cour constitutionnelle, a obtenu des aménagements après avoir menacé de ne pas le signer. Du côté des partenaires de La Ligue au gouvernement, Luigi Di Maio, chef de file du M5S, s'est montré ferme en précisant que «certains points» devraient être discutés au Parlement.

​Une partie du clergé transalpin fustige également le texte de Matteo Salivini. Mgr Nunzio Galantino, secrétaire général de la conférence des évêques d'Italie, a regretté ce qu'il considère comme une association entre immigration et insécurité. «Cela signifie que l'immigré est […] déjà considéré comme un danger public», a-t-il déploré cité par l'AFP.

Plusieurs ONG s'insurgent également contre ces mesures. Médecins sans frontières s'est fendu d'un communiqué incendiaire contre la décision du gouvernement italien.

«Nous voyons dans cette décision un pas de plus dans la politique anti-immigration du gouvernement italien qui vise un arrêt sans mesure des flux migratoires et une criminalisation des migrations, que ce soit sur mer ou sur terre, et ce sans porter le moindre intérêt à la vie, à la santé et la dignité de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants», s'est indignée Anne Garella, chef de mission pour MSF en Italie.

Les mesures de Matteo Salvini entreront en vigueur une fois signées par Sergio Mattarella et approuvées par le Parlement dans un délai de 60 jours. Il y a fort à parier que le Rassemblement national suive tout cela de très près. Histoire d'entretenir l'espoir.

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