Retraites: «il faut un discours de vérité sur la nécessité d’allonger la durée du travail»

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Particulièrement attendues, les grandes lignes de la réforme des retraites sont accueillies avec prudence par les syndicats. Alors que le gouvernement prend toutes les précautions pour réussir une réforme aussi sensible que nécessaire, celui-ci ne s’est-il pas mis dans une situation délicate en voulant sauver les promesses électorales de Macron?

C'était le grand jour, après six mois de concertation. Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire à la réforme des retraites, a réuni le 10 octobre au matin l'ensemble des syndicats et des organisations patronales au ministère des Solidarités afin de leur présenter quinze lignes directrices pour la future réforme des retraites. Si seuls les grands principes de ce nouveau système de retraites ont pour l'heure été dévoilés, on sait toutefois que celui-ci sera à points et «universel» et qu'il sera déployé progressivement pour tenir compte des différents régimes existants (42 actuellement, appelés à disparaître) pour être pleinement actif en 2025.

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CSG, baisse du pouvoir d’achat: les retraités manifestent et haussent le ton
Pour l'heure, mises à part quelques inquiétudes sur les retraites de certains fonctionnaires (notamment les enseignants), les syndicats se disent «satisfaits» des premiers éléments fournis par le gouvernement, à l'image du secrétaire général de Force ouvrière (FO), Pascal Pavageau.

Opposé à la mise en place d'un système à points, le leader de FO a estimé à l'issue de la rencontre qu'un tel système était «le meilleur moyen de casser» les régimes actuels, basés sur des «spécificités, notamment en termes de pénibilité».

«Le but, c'est de lisser le système, progressivement-, mais pas sur trente ans on doit le faire sur les cinq années qui viennent- de façon à faire disparaître les différences dans les modalités de calcul et sortir d'un système corporatiste»,

réagit quant à lui Frédéric Bizard à notre micro, interpellé par ce «satisfecit» des syndicats, «en particulier de ceux qui ne souhaitent pas voir disparaître l'ancien système, en maintenant les spécificités.»

Professeur d'économie à l'ESCP et à Sciences Po, spécialiste des questions de protection sociale, auteur de Protection sociale: pour un nouveau modèle (Éd. Dunod, 2017), Frédéric Bizard estime «globalement nécessaire» cette réforme systémique des retraites afin de faire perdurer le système par répartition en l'adaptant à la réalité du marché du travail pour les générations actuelles de cotisants. Un marché de plus en plus discontinu, «où les acteurs économiques seront appelés à régulièrement changer de secteur» au cours de leur carrière.

«L'économie du numérique va nécessiter d'avoir des systèmes de protection sociale beaucoup plus flexible et beaucoup plus adaptables à la diversité des carrières pour les retraites —ou à la diversité des parcours de soin pour les systèmes de santé,» ajoute-t-il.

Pour autant, notre intervenant entend bien certaines appréhensions —soulevées par les syndicats- concernant notamment de possibles baisses du pouvoir d'achat des retraités auxquelles pourraient aboutir les modalités de cette réforme. On notera que Catherine Perret, de la CGT, s'inquiète que ce futur système fasse «baisser le niveau des retraites à un niveau proche du seuil de pauvreté pour beaucoup».

«Tout dépend de la manière dont cette réforme va être menée, puisque lorsqu'on parle d'universalité, quand on regarde ce qui se fait dans d'autres comme en santé, on est plutôt sur une universalité à la baisse: oui, tout le monde a accès au même régime, mais c'est plutôt un régime qui est adapté à une partie de la population et qui tire plutôt le système plutôt vers le bas.»

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Le ras-le-bol des retraités face au gouvernement
Une nécessité de remise à plat d'un système- datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale- d'autant plus importante, selon Frédéric Bizard, que celui-ci serait «de plus en plus injuste et de plus en plus inique» après chaque réforme. Notre intervenant évoque notamment la dernière réforme en la matière, entreprise sous le mandat de François Hollande, actant en octobre 2015 la disparition programmée du régime de retraite des cadres avec la fusion des deux caisses de retraite complémentaires Agirc et Arrco. Devant entrer en vigueur au 1er janvier 2019, cette fusion devrait à terme pénaliser les cadres les moins bien rémunérés selon l'analyse de nos confrères des Échos.

«Ce n'est pas que cette réforme pénalise encore le secteur privé par rapport au secteur public… elle ne favorise pas le secteur public, elle pénalise le secteur privé! Ce qui n'a rien de glorieux…»,

réagit Frédéric Bizard, qui souligne que la différence entre public et privée est aujourd'hui «relativement infime» après la convergence public-privé engagée «à petits pas» depuis la fin des années 90.

Mais au-delà de la question des modalités de l'uniformatisation des méthodes de calcul des droits, un élément a surgi sur la scène médiatique en début de semaine: la piste d'instaurer une deuxième borne d'âge, à savoir «l'âge pivot».

Ce mécanisme d'incitation pousserait dès 2019 les salariés du privé à travailler jusqu'à 63 ans s'ils ne veulent pas subir une décote de leur pension de retraite, le tout afin de maintenir l'«équilibre financier de cette branche de la Sécurité sociale», souligne là encore Les Échos, rappelant les réflexions du Conseil d'orientation des retraites (COR). Le souci est que cette piste est annoncée tout en claironnant que le gouvernement ne touchera ainsi pas à l'âge légal de départ à la retraite, comme promis par Emmanuel Macron durant sa campagne électorale.

Un point qui, avant même son annonce, a provoqué- sur le fond- une levée de boucliers des syndicats, notamment de la CFDT et de FO. Un point également dénoncé- sur la forme- à droite par certains élus à l'image du député Les Républicains Eric Woerth. Si celui-ci n'est pas défavorable à la réforme en soi, il voit cependant une claire maladresse du gouvernement dans cette introduction de l'âge pivot.

Dans un tweet, l'ancien ministre du Budget de Nicolas Sarkozy dénonce ainsi «la grande hypocrisie de l'âge pivot: comment augmenter l'âge de la retraite sans avoir le courage de le dire,» estimant que «le gouvernement a un devoir de clarté» sur des questions aussi «fondamentales» que celles des retraites.

​«On va avoir tout un tas de messages négatifs si on n'a pas un discours de vérité sur la nécessité d'allonger la durée du travail»,

réagit Frédéric Bizard. S'il préfère le terme d'«habileté» ou de «subterfuge» à celui d'«hypocrisie», il souligne néanmoins lui aussi la nécessité du gouvernement de tenir un «langage de vérité» aux Français sur la nécessité de travailler plus longtemps.

D'autant plus que, comme le souligne notre intervenant, les Français font actuellement partie de ceux qui partent le plus tôt à la retraite en Europe. Une perspective de départ à 62 ans d'autant plus dommageable qu'elle met, par «effet d'horizon», précocement un terme à la carrière professionnelle d'individus qui «pour une grande partie d'entre eux» ont «encore une valeur professionnelle élevée.»

«Ce n'est pas du sang, de la sueur et des larmes, si on change le système, c'est pour que demain il y ait une meilleure protection sociale. Mais cette meilleure protection sociale va certes nécessiter de changer les modalités du système, mais aussi d'être convaincu qu'il va falloir travailler davantage.»

Une franchise d'autant plus importante, estime notre intervenant, que dans le cas contraire ce fameux point de l'«âge pivot» pourrait bien faire dérailler la réforme. Un comble à ses yeux, «cette notion d'âge pivot, lorsque vous êtes sur un régime universel à points, est une notion presque technique» insiste Frédéric Bizard, qui justement développait cette notion dans son dernier ouvrage. Pour lui l'âge pivot est ainsi une «bonne solution», notamment en matière de lisibilité pour les individus, soulignant les facilités de «pilotage» et d'«auto ajustement» offertes par le régime à points.

«Partir à 62 ans, dans les 10 ans qui viennent, signifiera avoir une pension qui sera de plus en plus faible avec une perte de pouvoir d'achat importante pour les Français. Donc je pense qu'un discours de vérité, sur les 20 à 30 ans qui viennent, puisqu'on sait relativement précisément ce qui se passera […] en matière démographique et donc en matière d'évolution du coût des retraites et des valeurs de ces retraites —à mon avis, est indispensable et là on en est loin.»

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Dons aux associations: le cocktail fiscal de Macron coupe les appétits
Pour Frédéric Bizard, cette question de l'âge pivot est «une impasse» dans laquelle s'est placée le gouvernement depuis la campagne électorale et les promesses d'Emmanuel Macron de maintenir l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans. «S'accrocher» à un âge légal de départ à la retraite «bas», une «approche très archaïque», estime le professeur d'économie.

«Mitterrand avait déjà fait cette promesse aux Français, qui nous coûte extrêmement cher, de même le baisser…»

Reprenant le cas de la fusion d'Agirc et d'Arrco, l'auteur de Protection sociale: pour un nouveau modèle, souligne que cet âge de 63 ans de départ effectif en retraite est dans les faits déjà en vigueur pour les cadres du privé souhaitant toucher l'intégralité de leur pension: là est l'«hypocrisie» du système actuel.

«Si on veut réussir cette réforme systémique des retraites, il faut inspirer confiance aux Français. C'est une réforme qui va générer intrinsèquement beaucoup d'inquiétudes, parce que les Français sont habitués à un système et même si ce système est très complexe, vous avez le poids des habitudes.»

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