Droits de succession: retour sur un impôt mal aimé des Français

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Est-il politiquement plus risqué d'alourdir la fiscalité sur les carburants que sur les héritages? À la veille du grand débat annoncé par Emmanuel Macron afin de calmer la grogne des Gilets jaunes, un think-tank marqué à gauche suggère d'alourdir la fiscalité sur les héritages... mais pas les plus gros. Retour sur une singularité française.

«J'avais compris que ce que demandait une majorité de Français, c'était plutôt de baisser les impôts et les taxes que de les augmenter.»

Interrogé le 6 janvier, sur le plateau du «Grand Rendez-vous» Europe 1-Les Échos-CNews, Bruno Le Maire ne cachait pas son étonnement face au moment choisi par Terra Nova pour publier ses dernières propositions en matière d'imposition. En effet, en pleine grogne fiscale des Gilets jaunes, le laboratoire d'idées, connu pour ses positions marquées à gauche, suggère de durcir la taxation sur les successions.
Dans une note de 25 pages présentée comme sa «contribution» à la concertation souhaitée par le gouvernement en réponse aux revendications du mouvement des Gilets jaunes, le groupe de réflexion propose plusieurs pistes afin d'augmenter de 25% le rendement de l'impôt sur les successions.

Des pistes telles qu'une refonte du barème d'imposition (plus favorable pour le fisc), un abattement de 100.000€ qui ne serait plus forfaitaire, mais décroissant, une baisse des avantages offerts par les contrats d'assurance-vie, «taxer plus légèrement» les transmissions d'entreprises, ou encore une taxation des plus-values latentes des biens hérités. Ainsi, au-delà de «lutter contre les rentes» et contre le «risque» de développement d'«une société d'héritiers» en France, l'État pourrait renflouer ses caisses de 3 milliards d'euros, «soit l'équivalent de ce qui a été perdu sur l'ISF», estiment les rédacteurs de la note.

«Il faudrait savoir si la perte de l'ISF n'a pas fait rentrer des recettes fiscales supplémentaires dans les caisses de l'État, puisqu'on a vu que l'ISF coûtait beaucoup plus cher qu'il ne rapportait — 5,3 milliards en tout —et du fait des délocalisations des chefs d'entreprises et des entreprises, il y avait des pertes considérables et j'insiste- considérables —liées à cet impôt.»

tempère pour Sputnik la fiscaliste Manon Laporte, également vice-présidente de l'Alliance centriste. Évoquant les relocalisations qui ont eu lieu depuis la suppression de l'ISF sur les valeurs mobilières, il faut pour elle se montrer prudent avant d'envisager toute nouvelle hausse d'impôt dans un pays qui partage le même espace économique que ses voisins. Un espace où la France est, selon ses mots, «très isolée» en matière de fiscalité des héritages.

«La France n'est pas seule au monde, elle vit parmi d'autres pays européens et nous sommes déjà une exception en Europe concernant plusieurs impôts et nous sommes les plus chers sur la taxation des successions», insiste la fiscaliste.

Elle souligne ainsi les abattements «beaucoup plus importants» en vigueur en Allemagne et en Italie, sans parler de l'exonération au Portugal des successions parents-enfants, ou- pour en revenir au voisinage direct de l'hexagone- de la non-existence de ce type d'impôt au Luxembourg.

Un constat que partage d'ailleurs Terra Nova, notant que «dans la plupart des pays de l'OCDE, la fiscalité de la transmission a reculé, voire disparu, ces vingt dernières années» et qu'«il n'y a plus guère qu'en France et en Belgique que cet impôt génère des recettes supérieures à 0,5% du PIB».

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Et pour cause, la taxation des droits de successions et de donation a rapporté à l'État 12,3 milliards d'euros, ce qui en fait le 5e impôt en termes de recettes, juste derrière la TICPE (la fameuse taxe sur les carburants), dont la perspective d'une énième augmentation a mis le feu aux poudres. D'ailleurs, avec près de 16 milliards d'euros estimés pour 2018, les recettes issues de la taxation des héritages devraient dépasser celles de la TICPE.

Une progression expliquée tant par l'augmentation du nombre de décès des baby-boomers que par les mesures mises en place sous François Hollande mettant ainsi le holà au «paradis pour héritiers» qui, selon Terra Nova, avait été instauré par Nicolas Sarkozy lorsqu'il avait notamment créé un abattement sur les successions parents-enfants. Une mesure drastiquement révisée par le Président socialiste, à son arrivée au pouvoir cinq ans plus tard.

Un abattement que le think-tank suggère de réviser à nouveau, afin d'augmenter le rendement des frais de succession, bien que ceux-ci aient sensiblement augmenté ces dernières années. Principale idée avancée à cet effet, la mise en place d'un abattement décroissant, afin «d'introduire davantage de progressivité» dans l'impôt «sans y faire entrer de nouveaux contributeurs». Ainsi, seules les parts transmises jusqu'à 200.000€ continueraient à bénéficier d'un abattement de 100.000€, alors qu'au-delà celui-ci diminuerait jusqu'à atteindre 30.000€ pour les héritages d'un million et demi d'euros.

«On ne va pas encore faire une dégressivité sur un abattement qui a déjà été réduit de 150.000 à 100.000 euros!»,

réagit Manon Laporte, qui pour sa part suggère d'«arrêter de surtaxer les personnes physiques et s'interroger sur les personnes morales qui ne paient pas d'impôts». En effet, pour la fiscaliste, auteur de plusieurs ouvrages sur la pression et l'exil fiscal (Exilés fiscaux: tabous, fantasmes et vérités, Éd. du Moment, juin 2013 et Le Massacre fiscal, Éd. du Moment, septembre 2015), il faut cesser de vouloir aller systématiquement chercher de l'argent en plus dans les poches des Français et se concentrer sur d'autres acteurs économiques, tels que les géants du Web, dont une taxation dans la juste mesure de leurs activités en France rapporterait bien plus que des hausses d'impôt sur les particuliers.

«Google doit quand même 1,4 milliard! Si vous donniez les moyens à la cour administrative d'appel de dire qu'il faut taxer les bénéfices en France de Google —parce que le nombre d'utilisateurs en France est conséquent- vous verriez plusieurs milliards arriver comme ça et arrêter de trouver 3 malheureux milliards qui compenseraient éventuellement la perte de l'ISF, à supposer qu'elle ne soit pas déjà compensée», insiste la fiscaliste.

Manon Laporte fait allusion au redressement fiscal dressé par Bercy contre Google. Initialement chiffré à 1,6 milliard, les autorités françaises révisèrent leur demande à la baisse dans l'espoir de voir le géant américain régler son ardoise. Toutefois, la perspective de récupérer ce dû s'amenuise. En effet, en juillet 2017, estimant notamment que l'entreprise ne disposait d'aucun «établissement stable» en France, le tribunal administratif de Paris a finalement annulé les poursuites du fisc en donnant raison au groupe américain. De leurs côtés, les autorités fiscales britanniques et italiennes parvenaient à récupérer une partie des sommes réclamées.

Les autres «GAFA»- acronyme de Google, Apple, Facebook et Amazon- ne sont pas en reste. En France, Amazon est également poursuivi, depuis plus de six ans, pour des arriérés remontant à 2006-2010. Idem concernant l'une des deux filiales d'Apple, pour ses exercices 2012-2014. Si la marque à la pomme refuse de révéler le montant du redressement, elle a provisionné 12,2 millions d'euros. Quant à Facebook, le réseau social semble avoir changé son fusil d'épaule en déclarant ses revenus publicitaires dans les pays où il les gagne, ainsi que les investissements de ses clients nationaux.

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Il faut dire que la firme californienne avait fait fort, lorsqu'en 2014 elle se contenta de régler au fisc britannique la modique somme de 4.327 livres au titre de l'impôt annuel sur les sociétés. Un montant inférieur aux impôts dont s'acquitte un salarié britannique, touchant le salaire moyen… Cette année-là, la firme avait pourtant plus que doublé ses revenus, les faisant passer de 49,8 millions de livres à 105 millions de livres.

Une situation d'autant plus insoutenable que ces firmes- pesant en bourse plus lourd que toutes les entreprises du CAC-40 réunies- profitent généralement d'aménagements et autres investissements des pouvoirs publics lors de leur implantation. Face à ces dérives, la réponse des autorités européennes, indispensable dans le contexte d'un espace économique commun, tarde à venir, faute de position commune des États-membres sur la question.

Réviser l'abattement n'est pas la seule mesure envisagée par Terra Nova pour doper les rendements de l'impôt sur les transmissions. Le think-tank propose également un redécoupage du barème de l'impôt. Si les rédacteurs de la note estiment qu'«avec ce nouveau barème, on paierait moins d'impôt qu'aujourd'hui jusqu'à 150.000€ par part, et davantage au-dessus,» difficile de ne pas y voir une mesure qui impacterait les classes moyennes. En effet, si Terra Nova veut alléger les charges pesant sur la transmission des petites successions, le think-tank estime toutefois que celles au-dessus de 900.000€ sont déjà suffisamment taxées. En somme, l'effort fiscal reposera sur les héritages compris dans cet intervalle…

«Bien souvent, vous ne pouvez pas payer les droits de succession, vous n'avez pas les liquidités, donc vous êtes obligés de vendre les biens pour pouvoir apurer les droits de succession», observe Manon Laporte.

Principaux impactés: les ménages n'ayant pas beaucoup de moyens financiers en comparaison de la valeur des biens immobiliers qu'ils héritent de leurs parents. Un type de biens dont la valeur a progressé plus vite que les salaires ces dernières décennies.

Au-delà de la double punition que constitue, déjà, le fait de payer des impôts sur un capital ayant- tout au long de sa vie- déjà été soumis aux prélèvements, l'héritier contraint à la revente —faute de pouvoir régler la note dans les temps au fisc- devra en plus (s'il rachète avec l'argent qui reste) payer des frais de notaires… des frais qui sont très majoritairement constitués de taxes.

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Cerise sur le gâteau, pour ces héritiers- qui, selon Terra Nova- paraphrasant Figaro- «ne se sont donné que la peine de naître»- le think tank va plus loin et suggère également de leur faire payer- avant même les droits de succession —la taxe sur la plus-value que leurs parents auraient dû payer s'ils avaient vendu leurs biens de leur vivant.

Pour défendre toutes ces suggestions, laboratoire d'idée avance qu'au-delà de compenser la perte des recettes fiscales directement liées à la réforme de l'ISF sur les valeurs mobilières, les rentrées fiscales supplémentaires pourraient également permettre de contrebalancer en partie l'impact budgétaire des mesures annoncées par Emmanuel Macron pour calmer la colère des Gilets jaunes, ou encore permettre de financer l'amélioration de «la prise en charge de la dépendance» des personnes âgées ainsi qu'une «politique d'égalité des chances en direction des jeunes générations».

«Il faut inciter les personnes âgées, les gens entre 70 et 90 ans, pour transmettre plus facilement et beaucoup plus tôt et leurs petits-enfants, de façon à ce que les jeunes —qui sont beaucoup plus pauvres- puissent récupérer du capital afin de se lancer dans la vie active,» souligne Marion Laporte.

Un point que Terra Nova… partage, dans une certaine mesure. En effet, si tout comme la fiscaliste, le think-tank souligne que l'on meurt de plus en plus tard et qu'ainsi les héritiers touchent leur héritage au moment où eux-mêmes sont retraités ou en passe de le devenir- «c'est-à-dire où, comme leurs aînés, ils en auront justement le moins besoin» pour affronter la vie active, soulignent les penseurs de Terra Nova- ces derniers estiment peu probable que les plus âgés consentent d'eux-mêmes à transmettre leur capital aux plus jeunes. Évoquant des chiffres de l'INSEE, ils soulignent que «constituer une épargne de précaution en cas d'imprévu» (40%) et «préparer ses vieux jours» (35%) restent la priorité face à «payer les études et aider ses petits-enfants» (2%) pour les plus de 60 ans.

Une réticence des aînés à transmettre leur patrimoine de leur vivant qui- ironie du sort- ne peut que faire le bonheur de Terra Nova et du fisc. En effet, selon toute logique, un capital n'ayant jamais été amputé par une donation- ou toute succession non préparée- sera bien plus ponctionné par l'État, qui plus est si les taux sont appelés à augmenter.

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Pour autant, ne sont-ce pas justement tous ces incessants changements dans la fiscalité française qui crée de telles réticences? Un point que ne contredit pas Manon Laporte qui rappelle que «les abattements changent d'une législature à l'autre.» François Hollande a ainsi alourdi la fiscalité sur les successions par rapport à Nicolas Sarkozy, qui fut le premier à les alléger depuis 1981. Certains n'attendent-ils pas de meilleurs jours pour transmettre?

Malgré le refus du chef de l'État de revoir à la hausse les frais de succession, reste à savoir si sur le long terme ces mesures pourraient passer. Si à gauche, on ressasse qu'Emmanuel Macron est le «Président des riches», c'est oublier qu'il est pourtant lui-même issu du Parti socialiste, tout comme une bonne partie de sa majorité parlementaire. D'ailleurs, n'est-ce pas un autre ex-socialiste, Jean-Christophe Castaner, alors leader de LREM, qui avait lancé en septembre l'idée d'augmenter les frais de succession?

Paradoxalement, l'opposition du Président Macron à cette mesure —en parallèle à celle d'un retour de l'IS sur les valeurs mobilières- ne pourrait-elle pas séduire, tant certains de ses opposants qu'une partie de l'opinion, aujourd'hui en opposition frontale avec sa politique fiscale? Le paradoxe demeurant dans la mauvaise image de l'impôt sur les successions. Une impopularité qui, selon Terra, résident en partie dans le fait que cette fiscalité soit «souvent surestimée et mal connue» des Français.

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