Xavier Raufer: «La mondialisation du terrorisme, notamment islamiste, a été foudroyante»

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La mondialisation du crime, un thème souvent évoqué, mais rarement abordé en profondeur. Sputnik a interrogé Xavier Raufer, enseignant au CNAM, auteur de Le crime mondialisé. Terrorisme, délinquance, trafic de migrants, le criminologue s’attaque aux idées reçues. Plongée dans l’univers du crime sans frontières.

Des mafias italiennes aux prisons françaises, des migrants aux trafics de cocaïne, Le crime mondialisé (Éd. du Cerf) dévoile des chiffres et des données très récentes, grâce à l’expertise et aux contacts haut placés de son auteur, le criminologue Xavier Raufer.

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La chute du mur de Berlin a été l’accélérateur de la mondialisation des biens, capitaux et services. Elle a également permis le développement d’autres échanges, le crime sous toutes sortes. Le trafic de stupéfiants, la contrefaçon, le blanchiment d’argent, le proxénétisme, les cartels, la piraterie et… le terrorisme. C’est la thèse de Xavier Raufer:

«Depuis la chute du mur de Berlin, vous pouvez aisément […] prendre un camion chargé de drogue à Kaboul, vous pouvez rouler à Amsterdam sans difficulté. La seule chose que vous rencontrez sur votre route, ce sont des douaniers, qui sont généralement payés des dizaines d’euros par mois, pas tous à l’abri de la corruption. La mondialisation a simplifié les flux criminels autour de la planète […] Trois semaines après la chute du mur de Berlin dans le quartier des Champs-Élysées à Paris, il y avait des prostituées venues du Bloc de l’Est. La mondialisation des voyous, ça prend trois semaines.»

Ainsi, les organisations terroristes profitent-elles de cette libéralisation des échanges pour se développer à leur tour. Jadis, l’ETA et l’IRA maintenant, Al-Qaïda puis Daech*.

«La mondialisation faite, vous avez Al-Qaïda où, au bout de cinq ans d’existence, 60 nationalités opèrent dans 80 pays différents. La mondialisation du terrorisme, notamment islamiste, a été foudroyante.» 

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Son analyse documentée sur le djihadisme lui fait relativiser l’importance du terrorisme aujourd’hui en Europe. Il serait même en déclin, selon Xavier Raufer, qui répond par des chiffres, comparant avec la décennie précédente:

«Attentats réussis ou entrepris dans l’Union européenne entre 2004 et 2006, 600 à 700 par an. Aujourd’hui et constamment, depuis maintenant plus d’une décennie, c’est moins de 100 attentats pour la grande Union européenne […] Et une grande partie de ces attentats sur deux minuscules parties du territoire européen que sont l’Irlande du Nord et la Corse.»

Le criminologue avait fait polémique le 2 janvier 2015, dans une interview, où il affirmait: «ce qui disparaît d’Europe, c’est le terrorisme des organisations terroristes. Le terrorisme comme méthodologie poursuit sa dégénérescence entamée à la fin de la Guerre froide.» Cinq jours plus tard, les frères Kouachi massacraient la rédaction de Charlie Hebdo en faisant allégeance à Al-Qaïda.

[Les djihadistes, ndlr] «Ce ne sont pas des loups solitaires, ce sont des meutes, des gens qui se concentrent à un moment donné, mais qui n’ont aucune espèce d’existence permanente […] La dernière organisation terroriste, au sens de l’organisation terroriste, qui opérait en Europe, c’est l’ETA. Depuis 2012, elle est hors de la lutte armée. Il n’y en a plus une seule. Essayez de trouver des attentats commis dans l’Union européenne par une organisation terroriste, vous n’en avez plus. Vous avez des fratries, les trois frères Abdeslam, les deux frères Kouachi.»  

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Un débat entre spécialistes s’il s’agit d’organisations terroristes ou de meutes de terroristes «low-cost». Mais quid des «revenants»? Là aussi, Xavier Raufer prend le contre-pied de cette thèse, en modérant l’impact de ces anciens djihadistes:

«Au niveau de l’Union européenne, et au niveau français, on nous a affolés, en nous disant “ils vont revenir, ils sont des centaines, ils vont mettre l’Europe à feu et à sang” […] Les gens capables de combattre en France pour le deuxième semestre 2018, il en est rentré neuf.»

Xavier Raufer écrit dans Le crime mondialisé qu’en 2017, 21.386 individus étaient surveillés par le renseignement français. 9.000 d’entre eux pour prévention de terrorisme, et 5.000 pour crime organisé. Ne niant pas les problèmes de sécurité, le criminologue estime toutefois que nombre d’entre eux ont été tués dans les combats en Syrie et en Irak ou ont été traumatisés par le djihad:

«Au début de l’année 2018, trois de ces garçons, 20-25 ans, ont été rattrapés alors qu’ils rentraient par Lyon, la police les attendait ailleurs. Ils ont pu se perdre dans la nature, mais ils ont été rattrapés dans le Midi deux ou trois jours après. Dès que les gendarmes ont été à leur contact, ils ont exigé, supplié, en pleurant de voir tout de suite un magistrat. À la fin, on a accédé à leur désir. Une fois en face du magistrat, ils ont dit “on préfère faire dix ans de prison en France que de retourner un seul jour là-bas. Ce qu’on a vu est affreux, plus jamais ça.”»

Autre actualité criminelle, les réseaux de trafics de migrants. Il décrypte la puissance phénoménale de ces passeurs redoutables, du départ au Sahel jusqu’à l’arrivée en Europe, les réseaux de prostitution et d’esclavage en Libye. D’ailleurs, comment expliquer le transfert des routes migratoires de Libye jusqu’au Maroc?

«L’Italie ferme la porte et hop en deux, trois semaines, tout se transporte vers l’Espagne. Comment de pauvres gens isolés dans le désert peuvent-ils arriver à basculer comme ça? C’est la preuve que c’est organisé. Deuxième preuve moins officielle que je vous livre, à l’heure actuelle, ces réseaux de trafics de migrants sont tellement structurés, puissants, riches, corrupteurs, que l’Italie, qui a une grande habitude des mafias, a confié à l’élite de la police anti-mafia, le fait de s’occuper aussi des réseaux de passeurs. Ce sont des gens fort dangereux […] Si vous voulez acheter un esclave en Libye à l’heure actuelle, ça coûte 200 dollars.»

Le livre évoque ensuite de faits très intéressants sur les différences culturelles entre plusieurs pays, les États-Unis et le Japon par exemple. Au Japon, en 2014, il y a eu 6 morts par arme à feu. Aux États-Unis, 33.599. Autre constat, c’est la politique du chiffre au ministère de l’Intérieur français, notamment sur les cambriolages et les vols à main armée. Les chiffres sur l’insécurité en France sont-ils faussés, comme il le prétend?

«Le ministère de l’Intérieur triche, et depuis des décennies. Ce n’est pas simple à expliquer […] On passe de crime à délit. Pourquoi on essaie de gommer le plus possible des crimes en France pour les transformer en délits? C’est que le crime, c’est un procès aux assises et je sais, parce qu’un haut magistrat me l’a dit, en moyenne, un procès d’assises, un seul, coûte au Ministère de la Justice, 600.000 euros.»

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Son constat rejoint ainsi la thèse de l’ouvrage qui avait fait fureur lors de sa sortie en 2013, La France orange mécanique de Laurent Obertone (Éd. Ring). Le portrait d’une France où les crimes et délits sont monnaie courante:

«Au jour le jour, il y a des tas de phénomènes qui se passent, des gens âgés qui sont attaqués à domicile […] des règlements de compte entre les malfaiteurs, des gens qui s’entretuent, pour le trafic de stupéfiants dans un quartier donné.

C’est tous les jours, des meutes d’individus qui tombent sur des policiers nationaux ou municipaux et qui les chassent du quartier, c’est tous les jours, et tout ça a un peu tendance à passer à l’as. Or, il faut se souvenir des fondamentaux, qu’est-ce qu’un État-nation? […] C’est respecté à l’extérieur, en paix à l’intérieur. Quand il y a des braquages, des cambriolages tous les jours, quand il y a des personnes âgées attaquées tous les jours, le pays n’est pas en paix à l’intérieur.»

*Organisation terroriste interdite en Russie

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