«Conseil de l’ordre» des journalistes: le gouvernement recule-t-il pour mieux sauter?

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Cédric O plaide l’initiative personnelle. Non, ce n’est pas la volonté du gouvernement que, faute d’initiative des journalistes pour réguler leur profession, l’État s’en charge à leur place. Ses déclarations ressemblent pourtant à un nouveau ballon d’essai, alors que l’enchaînement des réformes de l’exécutif sur la liberté d’expression interpelle.

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Un «terme très inapproprié», des «paroles un peu malheureuses», Cédric O, Secrétaire d’État chargé du numérique, s’est livré à un mea culpa jeudi 27 juin sur les ondes du service public reconnaissant que «certains termes qui étaient un peu exagérés» ont pu provoquer un «certain émoi». Des propos qui font référence à la création d’un «Conseil de l’ordre» des journalistes, pour laquelle cet ancien conseiller de Pierre Moscovici avait plaidé au court d’une interview accordée l’avant-veille à l’agence Reuters.

«J’ai tenu des propos qui n’engageaient que moi et qui ne sont en aucun cas la position du gouvernement qui, le cas échéant, aura l’occasion d’être précisée par la bouche de Franck Riester [le ministre de la Culture, ndlr]», déclare Cédric O sur France Culture. Ce dernier aurait-il finalement pris connaissance de la position d’Emmanuel Macron sur la question en 2017?

«Un ordre des journalistes […] moi depuis l’Italie des années 30, je n’avais pas vraiment croisé ça,» lâchait Emmanuel Macron durant l’entre-deux tours des présidentielles.

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Dans cette interview de mai 2017, exhumée par Marianne et le Huffpost, le candidat En Marche pourfendait alors le «projet ébruité» du Front national de créer un «Conseil de l’ordre» des journalistes. Un projet évoqué par un cadre frontiste, qui avait –lui aussi– été démenti, cette fois par les responsables du FN. Qu’à cela ne tienne, au micro de Jean-Jacques Bourdin, l’ex-ministre des Finances de François Hollande était alors catégorique: avec le Front national au pouvoir les libertés seraient menacées, pensait-il «très profondément», notamment celle de la presse. Dans la foulée, Emmanuel Macron évoquait la «violence à l’égard des opposants politiques et les pratiques classiques de ce parti».

Plus de 10.000 interpellations de Gilets jaunes et quelques convocations de journalistes devant la DGSI plus tard, Cédric O, Secrétaire d’État chargé du numérique plaidait dans cette fameuse interview accordée à Reuters, pour la création d’un «Conseil de l’ordre» des journalistes. Si, comme le soulignent nos confrères, l’ancien assistant parlementaire de Pierre Moscovici avait «nuancé» ses propos en déclarant qu’«on n’en est pas du tout là», force est de constater que le secrétaire d’État mettait les journalistes dos au mur et «les menaçait» avec un message on ne peut plus clair: les journalistes doivent s’organiser face à la désinformation faute de quoi «l’État s’en chargera».

«Je considère qu’il doit y avoir un Conseil de l’ordre des journalistes, des journalistes entre eux, qui prennent des décisions et qui disent à l’État: “Vous devez retirer l’agrément de tel ou tel canard, mettre des avertissements”», développait auprès de Reuters l’ex –«DSK boy».

Un message qui est mal passé et qui a fait réagir par-delà les frontières: ainsi Robert Mahoney, directeur adjoint du comité pour la protection des journalistes, a-t-il exprimé son trouble depuis New York.

Face aux «fausses» nouvelles, l’approche inquiétante de la France, qui enjoint aux journalistes de s’attaquer au problème ou de laisser l’État s’en charger.

Tout particulièrement dans le collimateur du Secrétaire d’État, les médias russes. Comme le soulignent nos confrères, «Cédric O considère que des médias comme Russia Today (RT) ou l’agence Sputnik, qui sont sous influence russe, fragilisent volontairement la démocratie “pour aboutir à l’arrivée au pouvoir de tel ou tel parti politique”» et c’est en brandissant cette «menace contre la démocratie» que l’on comprend que l’État pourrait reprendre la main sur les journalistes, via le CSA ou une autorité indépendante «qu’il aura nommée», afin de sanctionner unilatéralement. Contacté à plusieurs reprises par Sputnik, le cabinet de Cédric O n’a pas donné suite à nos sollicitations.

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Difficile dans ces conditions de ne pas voir un usage punitif d’un tel «Conseil de l’Ordre», contrairement à ce que suggérait un récent rapport «Confiance et liberté» d’Emmanuel Hoog. Missionné par le ministère de la Culture, l’ancien PDG de l’Agence France Presse estimait alors «souhaitable» la création d’une «instance d’autorégulation et de médiation de l’information». Une instance privée –afin de garantir son indépendance vis-à-vis de l’État– majoritairement financée par ses adhérents et dépourvue de pouvoir de sanction, fonctionnant ainsi sur la base du volontariat des médias.

Pour autant, si Cédric O a plaidé, dans son interprétation musclée du rapport Hoog, la position personnelle, son interview ressemble à un nouveau ballon d’essai. Déjà en février, Macron confiait, dans une interview en off que

«Le bien public, c’est l’information. Et peut-être que c’est ce que l’État doit financer […] Il faut s’assurer qu’elle est neutre, financer des structures qui assurent la neutralité.»

Des propos qui précédaient donc de peu la publication du rapport Hoog. Faisant le lien entre ces déclarations et les conclusions du rapport Hoog, Étienne Gernelle, éditorialiste au Point, craignait que Macron ne veuille créer «un comité de censure molle».

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Le mot de censure est-il trop fort? En tout cas, les mesures relatives à la presse et à la liberté d’expression qui se succèdent en France en inquiètent plus d’un. L’affaire éclate en effet au moment même de l’examen du projet de loi sur la cyber-haine, qui soulève de nombreuses interrogations. Une loi qui intervient dans la foulée de la très controversée loi anti «fake news» et de la Loi sur le secret des affaires, que la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) appelle les parlementaires français à modifier, car elle «fragilise en particulier les journalistes et les lanceurs d’alerte». L’autorité administrative indépendante regrette qu’elle fasse «primer les enjeux économiques sur la liberté d’expression, la liberté de la presse et le droit à l’information du public».

Rappelons aussi que des journalistes de Radio France et du Monde ont été convoqués à la DGSI après leurs révélations concernant l’affaire Benalla ou l’usage offensif dans la guerre au Yémen des armes vendues par la France à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.

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