La France engagée dans la Guerre des étoiles, à petits pas

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La France se lance-t-elle dans une course aux armements? Emmanuel Macron a remis à sa ministre des Armées le soin de créer une force spatiale capable de lutter à armes égales avec les autres puissances. Florence Parly a la tâche délicate de militariser les capacités spatiales françaises tout en ne menaçant pas celles des autres pays. Analyse.

«J’ai décidé le lancement d’un nouveau programme d’armement nommé “maîtrise de l’espace”, tout simplement.»

Par cette déclaration à la base aérienne 942 de Lyon, le 25 juillet dernier, la ministre des Armées, Florence Parly, a donné le cap: la France veut se doter d’un nouveau programme militaire pour l’espace sous la supervision de l’armée de l’air, et compte s’en donner les moyens.

«Cet effort représente 700 millions d’euros supplémentaires, en complément des 3,6 milliards d’euros déjà prévus» à la loi de programmation militaire 2019-2025, a annoncé la ministre des Armées.

Comment se matérialiseront ces millions d’euros? Pour commencer, ce seront d’une part 220 personnes affectées au commandement de cette force spatiale et d’autre part la création de centres de recherche et innovation.

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Quels outils seront concrètement mis en place pour lutter contre les menaces existantes et à venir?

«Nous appuierons la densification et le réseau des télescopes Tarot du CNRS. Nous solliciterons les services du réseau Geotracker d’Ariane Group pour obtenir plus d’images de l’orbite géostationnaire. Et nous explorerons les capacités des radars imageurs de satellites pour mieux les classifier», a indiqué la ministre des Armées.

Du jargon technique pour expliquer que les satellites auront une meilleure capacité de surveillance. Cela ne concerne cependant que le premier volet de ce plan. La ministre a étayé le second volet avec plus de précautions. Des moyens d’autodéfense seront déployés et utilisés, selon elle, uniquement en cas d’agression –et ce dans le cadre strict du droit international–:

«Si nos satellites sont menacés, nous envisagerons d’éblouir ceux de nos adversaires. Nous nous réservons le moment et les moyens de la riposte: cela pourra impliquer l’emploi de lasers de puissance déployés depuis nos satellites ou depuis nos nanosatellites patrouilleurs.»

Cette doctrine a d’ailleurs un nom c’est la «défense active» qui «n’a rien d’une stratégie offensive, ce dont il s’agit, c’est d’autodéfense». Florence Parly a d’ailleurs bien pris soin de préciser que la France n’est «en aucun cas engagée dans une course à l’armement».

Un discours un brin paradoxal de la part de la ministre qui explique dans le même discours qu’il s’agit d’un pas nécessaire à prendre pour la France, tant ses «alliés et ses adversaires» tendent à militariser l’espace.

Florence Parly s’est d’ailleurs servie dans son discours de l’exemple du Luch Olymp pour justifier la création de cette force. Il s’agit d’un satellite russe qui se serait approché d’un peu trop près de satellites français: Paris en a tiré la conclusion qu’il s’agissait d’un satellite-espion.

De surcroît, difficile d’imaginer qu’en souhaitant créer une force spatiale, Emmanuel Macron ne se soit pas inspiré de son homologue américain, qui déclarait en mars dernier vouloir créer une «Space Force», projet qui est censé voir le jour d’ici 2020.

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C’est d’ailleurs aussi une solution envisagée par les forces armées canadiennes. Pas de course à l’armement? Le doute persiste. John Lodgson, directeur de la Space Policy Institute à Washington, a explicité les enjeux de la prochaine étape dans un entretien pour la revue Space.com:

«L’espace a toujours été militarisé, il n’a simplement jamais été armé.»

Le 27 mars dernier, le Premier ministre indien Modi annonçait avoir avec succès détruit un satellite en orbite basse avec un missile lancé depuis le sol. Ce dernier annonçant avec un langage qui n’est pas sans rappeler celui de Florence Parly qu’à travers ce tir de missile,

«le but est d’établir la paix et pas de créer une atmosphère de guerre. Ceci n’est dirigé contre aucun pays.»

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Le traité de l’espace, adopté le 19 décembre 1966 par la Résolution no 2222 de l’Assemblée générale des Nations unies, pose comme principe fondateur l’usage pacifique de l’espace et l’interdiction de se l’approprier. Les signataires de ce traité se sont cependant laissé des portes de sortie leur permettant de plus grandes marges de manœuvre, comme l’explique Isabelle Sourbès-Verger dans l’émission 28’ d’Arte.

Les États-Unis avaient profité de ces ambiguïtés dès 1983 en mettant au point leur Initiative de Défense Stratégique (IDS). Un programme de défense antimissile depuis l’espace avec l’objectif sous-jacent de pousser l’URSS à dépenser des milliards dans des programmes visant à parer cette initiative. Si la «Guerre des Étoiles» d’alors n’avait finalement jamais vu le jour, elle avait rempli son objectif économique et poussé la recherche et développement dans le domaine de l’armement spatial.

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L’espace n’échappe donc pas aux règles qui régissent les relations internationales, et donc à la course aux armements. Dans un rapport datant de février 2019, appelée Défis à la Sécurité dans l’Espace, la Defense Intelligence Agency (l’agence de renseignement militaire américaine) fait état d’une inévitable course aux armements:

«Du fait de l’avantage américain dans l’espace –et notre dépendance perçue sur celui-ci– les acteurs continueront à améliorer leurs capacités à opérer dans et à travers l’espace», analyse le rapport.

Malgré les éléments de langage travaillés de Florence Parly, difficile donc de ne pas voir ici la réponse d’un gouvernement à son retard stratégique sur d’autres puissances dans le domaine militaire.

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