Belloubet à la Cour des comptes: «une nomination d’allégeance»?

© AP Photo / Christophe Enala garde des Sceaux Nicole Belloubet
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Nicole Belloubet, actuelle Garde des Sceaux, pourrait succéder à Didier Migaud à la tête de la Cour des comptes. Présentée comme en difficulté au gouvernement, la ministre n’en reste pas moins une fidèle d’Emmanuel Macron. Une proximité, couplée au manque de légitimité à occuper ce poste clef, qui interpelle le député LR Julien Aubert.

Nicole Belloubet, actuelle Garde des Sceaux du gouvernement Philippe, pourrait quitter son ministère pour rejoindre la Cour des comptes (CdC) à l’issue des Municipales, selon le Journal du Dimanche en date du 23 février. Une éventualité qui n’a pas manqué de faire réagir dans les rangs de l’opposition, à l’exemple de Patrick Hetzel, député Les Républicains (LR) du Bas-Rhin, qui a interpellé le Premier ministre à l’Assemblée nationale pour dénoncer une «connivence» au sein du gouvernement. «Connivence» qui passerait «avant la compétence».

Nicolle Belloubet bientôt à la place de Didier Migaud? La «rumeur» n’est également pas du goût de Julien Aubert, élu LR du Vaucluse, et ancien candidat à la tête du parti. Pour lui, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une «exfiltration» d’un ministre à la «position fragilisée» au sein du gouvernement, ce qui ne met pas vraiment à l’honneur la juridiction de la rue Cambon. Cette dernière n’étant «pas une charge royale qu’on donne à un courtisan,» assène-t-il à notre micro.

«La Cour des comptes, notamment depuis Philippe Seguin et Pierre Joxe, a besoin de personnalités politiques de premier plan, qui portent des messages à la cour, à équidistance entre l’exécutif et le législatif, capables aussi de résister aussi aux pressions», réagit Julien Aubert.

En somme, même s’il ne perçoit pas la Cour des comptes comme un contre-pouvoir à proprement parler, l’élu d’opposition estime que cette juridiction, en charge de s’assurer du bon emploi de l’argent public, doit être présidée par une personne capable de tenir tête tant à des ministres qu’au Président de la République lui-même si la situation l’impose et non à simplement «opiner du chef».

«Madame Belloubet, sans lui faire injure, est très nouvelle dans le secteur politique, elle n’a pas le même poids que pourrait avoir un Philippe Seguin», renchérit-il.

Aux côtés du nom de l’ancienne figure du gaullisme, décédée en 2010 alors qu’il occupait les fonctions de Premier président de la Cour des comptes, ou encore du ministre de Mitterrand, Pierre Joxe, lui-même issu de la Cour des comptes, le député LR évoque également le nom de son ancien homologue socialiste, Didier Migaud.

Nommé fin janvier par Emmanuel Macron à la tête de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), celui-ci avait été porté à la tête de la CdC par Nicolas Sarkozy, qui n’avait alors pas hésité à piocher dans les rangs de l’opposition. «Je crois que cela traduit quand même beaucoup de choses», commente Julien Aubert, alors que cet usage en faveur de l’équilibre démocratique pourrait être balayé par Emmanuel Macron.

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Un tel cas de figure serait-il pour autant étonnant? Emmanuel Macron est réputé avoir «horreur d’être contredit» et «horreur des contre-pouvoirs», comme le résumait au micro de nos confères de RTL l’éditorialiste Alain Duhamel, à l’occasion du premier anniversaire de l’accession d’Emmanuel Macron à présidence. Celui-ci évoquait alors l’«autoritarisme» d’un chef d’État qui «considère sa présidence comme un récit national». Une inimitié de la part de cet homme dont la carrière politique a été fulgurante, qui ne se limite pas qu’aux syndicats. En effet, l’actuel chef de l’exécutif ne porte pas le Parlement dans son cœur. Si l’affaire Benalla a retardé ses plans pour en limiter les pouvoirs, son gouvernement est revenu à la charge un an plus tard, tant directement à l’aide de sa majorité à l’Assemblée qu’avec plusieurs de projets de loi. Une réforme constitutionnelle portée par Christophe Castaner, mais surtout Nicole Belloubet.

Car si aujourd’hui cette dernière ne serait plus en odeur de sainteté au sein du gouvernement, l’actuel Garde des Sceaux n’en reste pas moins un fidèle soldat de la macronie, portant sur le front des réformes particulièrement stratégiques.

En effet, ses différents dérapages, au-delà de la récente affaire Mila, laissent transparaître les projets portés par l’exécutif. L’affaire de la réforme de la carte judiciaire en est un exemple. Fin octobre 2019, le Canard enchaîné avait publié un courriel de l’un des collaborateurs de Nicole Belloubet à la Chancellerie. Son contenu laissait entendre que les suppressions de postes de juges à venir dans les petits tribunaux seraient conditionnées par les scores des candidats LREM aux élections présidentielles, législatives et européennes.

Des «documents d’aide à la décision», avait dans un premier temps balayé la ministre, ne semblant pas comprendre où le bât pouvait bien blesser, avant de se rétracter face à l’ampleur que prenait la polémique et face aux sénateurs de la Commission des lois qui l’avaient convoquée pour une audition à ce sujet.

«Cela montre bien que le Président de la République, en réalité, ne conçoit pas cette nomination comme une nomination d’indépendance, mais comme une nomination d’allégeance. Il s’agit de nommer quelqu’un qui ne lui fera pas d’ombre et donc je pense qu’Emmanuel Macron n’aura pas le courage de nommer à la tête de cette institution quelqu’un qui pourrait éventuellement s’opposer à lui», estime le député Les Républicains du Vaucluse.

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En effet, si ce dernier évoque Philippe Seguin, qui a fortement marqué l’image de la Cour des comptes, que penser de celle qu’en a gardé Emmanuel Macron, lorsqu’en poste à la Direction générale des finances, il fut confronté aux remontrances de ce même Philippe Seguin à la fin des années 2000 pour un travail jugé bâclé sur la fraude fiscale…

Pierre Moscovici, actuel commissaire européen aux affaires économiques et ancien ministre de l’Économie de François Hollande était jusque-là pressenti pour prendre la succession de Didier Migaud. Si Belloubet, tout comme Moscovici, est passée par les bancs de l’ENA, ce dernier a comme différence, en plus d’être un personnage relativement connu de la scène politique, d’être issu de la Cour des comptes. «Il n’est pas stupide de nommer quelqu’un qui est issu de la Cour des comptes à la tête de la Cour des comptes», souligne Julien Aubert. Toutefois, l’ancien ministre de l’Économie aurait «commis un impair durant l’été 2019, traitant Emmanuel Macron de “populiste mainstream”», rappellent nos confrères de Valeurs actuelles, un «mauvais point pour lui» renchérit Le Point.

Julien Aubert estime «assez inquiétant» les faibles réactions dans la presse face à la révélation de cette potentielle nomination à la tête de la Cour des comptes.

«On parlerait du Président de la cour de cassation, du Procureur de Paris, tout le monde s’émouvrait que l’on nomme à la tête de cette institution judiciaire un proche du Président, quelqu’un qui est dans ses bons papiers. Tout le monde dirait que c’est une forme de politisation de la justice, qu’il y a risque pour l’indépendance. Et là, qu’à la Cour des comptes, on puisse nommer un profil similaire –alors que le rôle est encore plus prééminent– cela n’inquiète personne! Je trouve que cela en dit long sur l’état de notre démocratie…»
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